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Par une décision du 13 juillet 2016 (CE, Ass., 13 juillet 2016, M. Czabaj, n°387763), le Conseil d'Etat a jugé que « le principe de sécurité juridique (…) fait obstacle à que ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifié à son destinataire ».

Le Conseil d’Etat considère qu’ « en règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance ».

Il établit que le destinataire d'une décision individuelle auquel les voies et délais de recours n'ont pas été indiqué de manière complète ne pourra plus exercer un recours juridictionnel contre cette décision au-delà d'un délai raisonnable d’un an à compter de la date où il a eu connaissance de la décision individuelle par sa notification, sauf circonstance particulière.

En l'espèce, Monsieur Czabaj, ancien brigadier de police, avait reçu en 1991 la notification de l’arrêté lui concédant une pension de retraite, sans que soit indiqué la juridiction compétente. 23 ans plus tard, souhaitant procéder à une annulation de cet arrêté ne prenant pas en compte les bonifications pour enfant, il saisit le juge administratif en invoquant les dispositions de l’article R421-1 du Code de justice administrative selon lesquelles le délai de recours ne commence pas à courir lorsque la notification, incomplète, ne mentionne pas les voies et délais de recours.

Bien que cette disposition ait permis à de nombreux retraités d’obtenir satisfaction (voir par exemple CE, 24 juillet 2009, Grandry, req. n° 322806), le Conseil d’Etat met un terme à sa jurisprudence antérieure pour faire cesser les contestations très tardives de décisions individuelles dont les requérants avaient connaissance depuis plusieurs années.

Quoique réservée aux décisions individuelles, le fait que la décision Czabaj ait été jugée par le Conseil d’Etat réuni en Assemblée témoigne de son importance. Cependant, la portée de cette décision est à nuancer car bien que s’agissant du cas général des décisions individuelles, on peut raisonnablement penser que certains contentieux ou certaines situations spécifiques individuelles se verront attribuer des délais différents (« en règle générale et sauf circonstances particulières »), certainement supérieur à un an. En outre, ne seront pas concernés les contentieux pour lesquels le délai de recours est lui-même supérieur à un an, comme en matière fiscale où le délai de réclamation est en principe de deux années civiles après l'année du paiement de l'impôt, en vertu de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

Enfin, on relèvera que cette jurisprudence ne s'applique qu'aux décisions expresses.

En conclusion, la décision du Conseil d’Etat, limite drastiquement le délai de recours contre les décisions individuelles portées à la connaissance de leur destinataire mais dont la mention des voies et délais de recours n’aura pas été régulière, dorénavant et en principe fixé à un an. L’introduction de la notion de « délai raisonnable » induit une relative incertitude, s’agissant d’une notion particulièrement malléable, laquelle est aggravée par les applications particulières que pourrait réserver à cette règle le Conseil d’Etat. Une relative insécurité juridique vient donc d’être introduite pour combattre…l’insécurité juridique. Par ailleurs, il convient de noter que ce revirement jurisprudentiel est d’application immédiate, ainsi les contentieux en cours relatifs à des décisions individuelles se verront opposer immédiatement ce nouveau délai de recours. La sécurité juridique n’est pas acquise…