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Une décision du Tribunal des Conflits vient d’apporter une précision très intéressante relative à la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, dans le cas d’une allégation d’atteinte au droit moral d’un architecte (se rapportant à la propriété intellectuelle découlant du droit d’auteur), en raison de la prétendue dénaturation de son œuvre, couplée à une demande de voir ordonner des travaux de remise en état à la charge du maître de l’ouvrage  (TC, 5 septembre 2016, M. Nouvel c/ Association Philharmonie de Paris, n° 4069).

La décision est d’autant plus intéressante qu’elle s’insère dans un conflit plus général et bien plus vaste, opposant la « starchitecte » Jean Nouvel à l’établissement public de la Philharmonie de Paris dans le cadre de la construction de la Philharmonie de Paris (Pour davantage d'information sur cette affaire à rebondissement, voir par exemple le rapport de la Chambre Régionale des Comptes d'Île-de-France établi suite aux observations définitives délibérées le 9 mai 2016 ici ; pour un résumé des questions en jeu, voir le site de la Chambre Régionale des Comptes d'Île-de-France, ici).

Estimant que son œuvre a été dénaturée par une modification apportée par le maître de l’ouvrage s’agissant, notamment, d’une grande salle de concert, l’architecte a demandé au juge judiciaire de condamner l’établissement public, sous astreinte, à exécuter tous les travaux nécessaires à sa remise en état. Sa demande ayant rejetée en première instance, Monsieur Nouvel a fait appel. Le Préfet de la Région Île-de-France a alors présenté un déclinatoire de compétence, estimant que seule la juridiction administrative est compétente pour ordonner des travaux. La Cour d’appel ayant rejeté la demande du préfet, celui-ci a alors saisi le Tribunal des Conflits en adoptant un arrêté de conflit.

Le Tribunal des conflits a pour mission de résoudre les conflits de compétence entre les juridictions de l'ordre judiciaire et les juridictions de l'ordre administratif.

L’incertitude de compétence tenait à ce que la demande de travaux formulée par Jean Nouvel affectait un ouvrage public, savoir la Philharmonie de Paris.

Pour les juges, la répartition des compétences entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative est la suivante : il revient à la juridiction judiciaire de statuer sur l’existence de l’atteinte au droit moral et du préjudice, tandis que la juridiction administrative est la seule à pouvoir se prononcer sur la réalisation de travaux.

Cette répartition des compétences tient au caractère très protecteur du régime juridique des ouvrages publics, dont la finalité vise à préserver leur intégrité physique. Cependant, ce régime n’est applicable qu’autant que le juge a la certitude qu’un ouvrage public est en cause. Le Tribunal des Conflits rappelle, conformément à l’avis rendu le 29 avril 2010 (Beligaud, req. n° 323179), qu’il faut identifier trois conditions pour qualifier un ouvrage public : l’ouvrage doit présenter un caractère immobilier ; il doit résulter d’un aménagement ; enfin être affecté au service public. En l’espèce, s’agissant d’un équipement culturel ayant la consistance d’un immeuble construit, dont la finalité est d’y développer des actions culturelles, se rapportant donc à une mission de service public, la Philharmonie de Paris constitue bien un ouvrage public.

Pour trancher ce type de difficulté mêlant propriété intellectuelle et ouvrage public, le Tribunal des conflits a envisagé, afin de guider l’action des futurs recours, les différents cas de figure possibles :

  • Dans le cas où le juge judiciaire est saisi d’une demande tendant à ce qu’une atteinte au droit moral d’un architecte soit réparée par l’exécution de travaux sur un ouvrage public :

  1. Il est tenu de « statuer sur l’existence de l’atteinte et du préjudice allégués », le législateur l’ayant reconnu exclusivement compétent en application des dispositions de l’article L. 331-1 du Code de la propriété intellectuelle (TC, 7 juillet 2014, M. M. c/ Maison départementale des personnes handicapées de Meurthe-et-Moselle, n° 3954) ;

  2. « mais il doit se déclarer incompétent pour ordonner la réalisation de travaux sur l’ouvrage », au profit de la juridiction administrative.

  • Si le « juge administratif est directement saisi d’une demande de travaux sur un ouvrage public fondée sur l’existence d’une atteinte au droit moral, il lui incombe de ne statuer qu’après la décision du Tribunal de Grande Instance compétent, saisi à titre préjudiciel, sur l’existence de l’atteinte et du préjudice allégués ».

En conclusion, les deux ordres de juridiction, judiciaire et administratif, interviendront nécessairement dans la résolution d’un litige mêlant propriété intellectuelle et ouvrage public, introduit dans le but d’obtenir des modifications de celui-ci sur le fondement de la méconnaissance du droit moral de l’architecte, chacun en ce qui le concerne.