Une crèche de Noël est-elle un emblème religieux dont l'installation dans un bâtiment ou sur un emplacement public serait nécessairement interdite par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ?

Par deux décisions très attendues, le Conseil d’Etat réuni en Assemblée – sa plus importante formation – a livré le 9 novembre 2016 des clés d’analyse afin de déterminer si l’installation par une personne publique de crèches peut, sous certaines conditions, être autorisé au sein d’un bâtiment public (CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, req. n° 395122 ; Fédération de a libre pensée de Vendée, req. n° 395223).

Le Conseil d’Etat était saisi de deux arrêts des Cours administratives d'appel de Nantes (CAA Nantes, 13 oct. 2015, n° 14NT03400, Fédération de la libre pensée de Vendée) et de Paris (CAA Paris, 8 oct. 2015, n° 15PA00814, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne) qui avaient respectivement autorisé la présence d'une crèche au conseil général de Vendée et jugé illégale l’installation d’une crèche à la mairie de Melun.

Le Conseil d'Etat a dans un premier temps procédé au rappel du principe de laïcité, lequel impose aux personnes publiques d’assurer la liberté́ de conscience et de garantir le libre exercice des cultes ainsi que de veiller à la neutralité́ des agents publics et des services publics à l’égard des cultes, en particulier en n’en reconnaissant et en n’en subventionnant aucun.

Les dispositions relatives au principe de neutralité sont prévues par l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et elles interdisent l’installation, par des personnes publiques, de signes ou emblèmes qui manifestent la reconnaissance d’un culte ou marquent une préférence religieuse dans un emplacement public.

La question problématique – et récurrente – de l’installation de crèches dans l’espace public tient au fait que ces dernières peuvent revêtir une pluralité de significations, religieuses mais pas seulement.

Le Conseil d’Etat confirme ces significations plurales et définit dans sa décision une crèche de Noël comme « une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par-là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année ».

Il s’agit donc, pour le Conseil d’Etat, de différencier l’installation religieuse d’une crèche ou sa mise en place dans un seul but « culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse ». Il est déjà possible de saisir toute l’ambiguïté d’une telle définition, tant il est difficile de différencier parfois les éléments culturels des éléments religieux.

A l’évidence, le Conseil d’Etat marche sur des braises et a cherché une solution médiane susceptible de ne rien interdire ni autoriser par principe…et donc de laisser les juges du fond (tribunaux administratifs et cours administratives d’appel) trancher chaque litige futur – et il y en aura – en fonction des circonstances locales, donc par une appréciation concrète et strictement casuistique.

Ainsi pour déterminer dans quel but la crèche aura été installée, il conviendra de combiner plusieurs critères :

  • le contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme,

  • les conditions particulières de cette installation,

  • l'existence ou de l'absence d'usages locaux,

  • le lieu de cette installation.

Cette condition du lieu est particulièrement importante :

  • dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité́ publique ou d’un service public, l’installation d’une crèche par une personne publique porte atteinte au principe de neutralité́, sauf si des circonstances particulières permettent de lui reconnaitre un caractère culturel, artistique ou festif,

  • au contraire, sur les autres emplacements publics, en raison du caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d’année, l’installation d’une crèche par une personne publique ne méconnait pas le principe de neutralité́, sauf si elle constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.

Autrement dit, une crèche installée dans l’enceinte d’un bâtiment public est présumée méconnaître le principe de laïcité, tandis que les crèches implantées sur d’autres emplacements publics sont présumées respecter ce même principe, les présomptions étant bien évidemment susceptibles, dans les deux cas, d’être combattues et renversées.

Appliquant cette nouvelle série de critères, le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui avait jugé que le principe de neutralité́ interdisait toute installation de crèche de Noël. Après avoir procédé directement à un examen du fond de l’affaire, le Conseil d’Etat a relevé que la crèche se trouvait dans une mairie – donc dans l’enceinte d’un bâtiment public et à ce titre présumée illégale –, que cette installation ne résultait en rien d’un usage local, que, par ailleurs elle n’était pas accompagnée d’un environnement artistique, culturel ou festif qui pourrait justifier sa présence. Méconnaissant les exigences découlant du principe de neutralité́ des personnes publiques, la crèche installée dans ces conditions à l’intérieur de la mairie de Melun se voit donc interdite.

Le Conseil d’Etat a également censuré l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes au motif qu’elle n’avait pas examiné si l’installation de la crèche en cause résultait d’un usage local ou si des circonstances particulières permettaient de lui reconnaitre un caractère culturel, artistique ou festif. A la différence de la décision précédente, le Conseil d’Etat a toutefois renvoyé l’affaire devant cette même Cour afin que les juges du fond procèdent eux-mêmes à l’analyse de sa légalité par application des principes nouvellement dégagés.

 

En conclusion, cette décision rendue en assemblée a le mérite de livrer des outils d’analyse aux juges du fond. Pour autant, faute d'une interdiction ou d'une autorisation générale inconditionnelle, les contentieux continueront d’affluer chaque année devant les juridictions administratives, lesquelles seront toutefois, dorénavant, aidées par une grille d’analyse pour apprécier la légalité de l’installation des crèches. Il est donc possible d’espérer une convergence progressive des jurisprudences et – pourquoi pas ! – un apaisement de ces problématiques récurrentes lors des périodes de fêtes de fin d’année !

On pourra utilement retenir qu'une crèche installée dans l’enceinte d’un bâtiment public est présumée méconnaître le principe de laïcité, tandis que les crèches implantées sur d’autres emplacements publics sont présumées respecter ce même principe.