Le parfum est un art olfactif millénaire qui a traversé les âges et toujours occupé une place importante dans la culture humaine, des civilisations d’Egypte, de Grèce ou de Rome où son utilisation était principalement liée à des fins thérapeutiques, jusqu’à notre ère actuelle où il est un symbole d’identité personnelle et de luxe. Il représente sur le marché mondial environ 50 milliards en 2024[1] mais il est plus qu’un simple produit commercial : le parfum est une véritable œuvre d’art olfactive. Pourtant à ce jour le parfum n’est toujours pas reconnu comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur.

 

I. L’odorat : le sens délaissé par le droit

A. Une protection potentielle par la loi

L’article L112-2 CPI présente la liste des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont toutes des œuvres perceptibles par les sens de la vue et l’ouïe : sont absents les sens chimiques du gout et de l’odorat. Cependant l’emploi du verbe “notamment” laisse sous-entendre que la liste n’est pas fermée. Par ailleurs l’article L112-1 CPI interdit toute forme de discrimination entre les œuvres de l’esprit.

La fragrance est donc une œuvre qui serait susceptible d’être protégée par le droit de la propriété intellectuelle. Toutefois, sur l’application pratique la position actuelle des juges est assez opposée à cette possibilité.

B. Une protection refusée par la jurisprudence

En effet on remarque une grande opposition entre juges du fond et Cour de cassation. Dès 1975, les juges de la Cour d’appel de Paris affirmaient une absence d’exclusion par la loi des œuvres autres que celles perceptibles par la vue ou par l’ouïe incluant implicitement les trois autres sens.[2] De manière plus expresse les juges reconnaissaient en 2004 la fragrance comme œuvre de l’esprit.[3] Quant aux juges de la Haute Juridiction au contraire, ils se sont systématiquement opposés à la reconnaissance du parfum comme œuvre protégeable par le droit d’auteur. En effet, en 2006 la chambre civile de la Cour de cassation affirmait que la fragrance qui procède de la “simple mise en œuvre d’un savoir-faire » ne constitue pas la création d’une forme d’expression.[4] Enfin, la dernière jurisprudence en date issue de la chambre commerciale de la Cour de cassation s’aligne au précèdent arrêt, refusant la protection en se fondant sur le fait que le droit d’auteur ne peut protéger le parfum car il n’est pas identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication.[5] Pour être protégée l’œuvre doit être originale et être mise en forme : les juges de la Cour de cassation refusent la protection du parfum car ils estiment que la dernière condition fait défaut. 

Toutefois, c’est encore tôt pour désespérer : ces décisions laissent tout de même la porte ouverte à une potentielle protection. En effet, à écouter les juges il suffirait que la forme du parfum puisse être identifiable afin de permettre sa communication et donc sa protection. Néanmoins, cela nécessite forcément d’un progrès technique.

 

II. Un avenir de protection nécessitant un progrès technique

L’article L112-2 CPI présente la liste des œuvres protégées par le droit d’auteur qui sont toutes des œuvres perceptibles par les sens de la vue et l’ouïe : sont absents les sens chimiques du gout et de l’odorat. Cependant l’emploi du verbe “notamment” laisse sous-entendre que la liste n’est pas fermée. Par ailleurs l’article L112-1 CPI interdit toute forme de discrimination entre les œuvres de l’esprit.

La fragrance est donc une œuvre qui serait susceptible d’être protégée par le droit de la propriété intellectuelle. Toutefois, sur l’application pratique la position actuelle des juges est assez opposée à cette possibilité. 

Comme le citaient si justement en doctrine André et Henri-Jacques Lucas, « aucune objection, selon nous, ne justifie une exclusion de principe […] la démarche du créateur est bien de même nature que dans le domaine des arts plastiques et musicaux. » [6]

En effet, le parfum est une œuvre d’art à part entière. C’est un assemblage de chimie et de créativité, chaque composante du parfum étant choisie avec soin par le Maitre parfumeur :  de l’élaboration de sa formule avec des matières premières odorantes en passant par l’assemblage jusqu’à sa mise en flacon.  C’est une œuvre pourvue de la condition de l’originalité, les créateurs redoublant sans cesse d’effort pour s’adapter aux tendances actuelles. Néanmoins, sur la condition de la mise en forme la Cour en 2013 avait considéré – à notre avis à tort – que le parfum ne s’exprimait que par sa forme sensible et n’était pas suffisamment identifiable avec précision et donc inapte à être mis en forme.

Cette décision est critiquable car le sens de l’odorat se trouve exclu sans réel fondement : pourquoi ne pas l’admettre alors que les œuvres « de la vue et l’ouïe » possèdent la forme expressive ? Le seul fait que le parfum puisse être décrit autant par des professionnels appelés “Nez” que par un consommateur « moyen » démontre l’existence d’une forme expressive. Si on arrive à mettre des mots, des expressions, des émotions sur une fragrance, sur une odeur, sur quelque chose de pourtant abstrait, alors le parfum est bel et bien une œuvre créative pourvue d’une forme expressive identifiable, juger le contraire serait contra-legem[7] d’autant plus que concrètement le parfum possède un support matériel : le liquide, la cire de la bougie.[8]

Certes, tout le monde n’a pas la même perception des sens. L’odorat sera plus ou moins développé en fonction des personnes tout comme la vue ou l’ouïe peut l’être pour d’autres personnes. Est-ce que le fait que l’odorat est un sens compris et apprécié par une « élite » de personnes capables de le percevoir et décrire justifie sa mise à l’écart ? Ne mériterait-il d’être admis au même niveau que les autres sens ? Nous pensons que oui : il n’y a pas de raison de nier au parfum une protection par le droit d’auteur.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris en 2004 avait affirmé dans ce sens que peu importait que l’impression olfactive soit fugace et qu’elle varie selon les personnes.[9]

Toutefois, étant donné que l’appréciation et l’appréhension des caractéristiques originales et de la forme d’un parfum nécessitent de capacités spécifiques dont le juge ne dispose pas forcément, il conviendrait de faire appel à un expert en arômes et parfums. Cet expert agirait comme l’expert en graphologie qui a pour mission d’observer et comparer les lettres pour déterminer l’auteur d’une signature contestée.

Une fois reconnue comme œuvre, le parfum pourrait bénéficier d’une protection juridique par le droit d’auteur et cela ne pourrait intervenir que par un revirement de jurisprudence.

L’avenir de la protection du parfum peut donc encore être sauvé, d’autant plus que l’odeur est de plus en plus présente dans nos sociétés, le public est de plus en plus sensible aux mauvaises (nuisances olfactives) comme aux bonnes odeurs. L’odorat est sans cesse stimulé, le secteur de l’industrie/technologie irait même jusqu’à mettre au point des dispositifs permettant de humer différentes odeurs associées aux images émises par un casque de “réalité virtuelle” ou par la création d’imprimantes d’odeur “ISMELL” permettant de fabriquer des odeurs correspondant à ce qui se présente à l’écran. La reconnaissance unanime de l’odorat comme sens essentiel au même niveau que la vue et l’ouïe pourrait faire bouger les choses et amener les juges à admettre une protection juridique pour le parfum.

 

[1] Estimation à plus de 50 milliards pour l’année 2024 https://fr.statista.com/statistiques/505163/parfums-valeur-marche-mondial/

Estimation à 43,12 milliards pour l’année 2024 https://www.businessresearchinsights.com/fr/market-reports/perfumes-market-118192#:~:text=La%20taille%20du%20march%C3%A9%20des%20parfums%20%C3%A9tait%20%C3%A9valu%C3%A9e,compos%C3%A9%20%28TCAC%29%20d%27environ%208%2C5%25%20de%202025%20%C3%A0%202033.

[2] Paris, 4e ch., 3 juillet 1975.

[3] Paris, 4e ch., 17 septembre 2004 ; TGI Paris, 26 mai 2004.

[4] Cass. 1re civ., 13 juin 2006.

[5] Cass. Com., 10 déc. 2013.

[6] Traité de la propriété intellectuelle, LexisNexis, 4ème éd., 2012, p. 93

[7] Commentaire par Michel Vivant sous l’art L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle édition 2019 Lexis Nexis.

[8] Paris, 12 nov.2010 PIBD 2011, 931 III, 21/ V.ss 134 s. Manuel Droit d’auteur et droits voisins (2e édition) – Michel Vivant, Jean-Michel Bruguière- Dalloz-Grand format-Dalloz Librairie Paris.

[9] TGI Paris, 26 mai 2004.