L’indemnisation du dommage corporel repose sur un principe : la nécessaire réparation de l’intégralité des préjudices, sans perte ni gain pour la victime.

Les juges doivent donc prendre en compte les aspects anatomique, fonctionnel, physiologique mais également psychologique, professionnel et personnel pour établir très exactement le montant de l’indemnisation qui est due, étant précisé qu’au-delà des répercussions actuelles, il faut également prendre en compte celles, futures, dont l’existence est certaine.

Pour permettre une certaine unicité des décisions en matière de réparation du préjudice corporel, la nomenclature DINTILHAC, issue du rapport du même nom, liste tous les préjudices indemnisables.

Ceux-ci sont classés en deux grandes catégories : les préjudices patrimoniaux qui sont objectifs, et les préjudices extrapatrimoniaux qui sont subjectifs.

Chaque catégorie, regroupe des préjudices temporaires (qui existent entre la date du dommage et la consolidation) et des préjudices permanents (subsistant après consolidation).

Le juge a l’obligation de liquider les préjudices subis poste par poste (Civ. 2ème, 11 juin 2009, publié au bulletin, n°08-11510), notamment afin de permettre le recours des tiers-payeurs.

Si différents facteurs modifient l’évaluation qui sera faite du préjudice corporel – l’âge, la profession, les activités de loisir pratiquées, la situation familiale, la typologie des blessures ou leur origine etc. – certains principes sont communs.

Sans vocation à l’exhaustivité, il semble intéressant de relever un certain nombre de décisions de justice qui posent ou rappellent des principes essentiels.

 

A propos du préjudice indemnisable

Pour obtenir une indemnisation, la victime doit établir la relation de causalité entre l’événement et le préjudice dont elle demande réparation.

Comme en tout domaine, le préjudice doit être mesurable, direct, certain et licite. Les préjudices futurs sont donc indemnisables s’ils sont certains.

Quant aux préjudices des proches de la victime, ils sont soumis aux mêmes exigences pour permettre une indemnisation.

 

A propos des éventuelles réductions du droit à indemnisation

Il ressort de la jurisprudence que « le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable » (Civ. 2ème, 10 juin 1999, Bull. 1999, n°116, n° 97-20028 ; Civ. 2ème, 10 novembre 2009, Bull. 2009, n°263, n° 08-16920).

De plus, au visa des articles 16-3 et 1382 du code civil, la Cour de Cassation a eu l’occasion de réaffirmer récemment que « le refus d’une personne, victime du préjudice résultant d’un accident dont un conducteur a été reconnu responsable, de se soumettre à des traitements médicaux, qui ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant de l’infraction » (Crim., 27 septembre 2016, publié au bulletin, n°15-83309).

Ainsi, la victime n’a pas à minimiser son préjudice dans l’intérêt du responsable dès lors que cela supposerait qu’elle porte atteinte à son intégrité physique.

Dès 1997, la Cour de cassation avait déjà énoncé ce principe (Civ. 2ème, 19 mars 1997, publié au bulletin, n°93-10914) à propos de la réalisation d’une intervention chirurgicale.

Elle l’avait réaffirmé depuis (Civ. 1ère, 15 janvier 2015, n° 13-21180) dans les termes suivants : « le refus d’une personne, victime d’une infection nosocomiale dont un établissement de santé a été reconnu responsable (…), de se soumettre à des traitements médicaux, qui (…), ne peuvent être pratiqués sans son consentement, ne peut entraîner la perte ou la diminution de son droit à indemnisation de l’intégralité des préjudices résultant de l’infection ».

Notons en outre qu’en matière d’accident de la circulation, la Cour de Cassation a rappelé que « selon l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985, dont les dispositions sont d’ordre public, la victime d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut se voir opposer le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien de ce véhicule » ce qui interdit d’opposer à la victime de l’accident la faute médicale ayant aggravé son préjudice corporel (Crim., 21 octobre 1992, Bull. 1992 , n°331, n°91-84394).

 

A propos de l’aggravation de l’état de santé de la victime

Enfin, rappelons la victime d’un dommage peut toujours saisir la juridiction en cas d’aggravation de son état et ce quand bien même le préjudice initial a été liquidé sans que la survenance d’une telle aggravation ait été prévue.

Cependant, la Cour de Cassation a jugé que « le dommage est définitivement fixé à la date où le juge rend sa décision » ce qui interdit, « au cas où, après cette date, une aggravation survient dans l’état de la victime » que l’évaluation de cette aggravation remette en cause l’évaluation initiale du préjudice » (Civ. 2ème, 12 octobre 2000, Bull. 2000, n°141, n°98-20160).

 

A propos des frais d’aménagement du logement

Par ailleurs, il a récemment été jugé que « la réparation intégrale du préjudice lié aux frais de logement adapté prévue au contrat d’assurance commande que l’assureur prenne en charge les dépenses nécessaires pour permettre à la victime de bénéficier d’un habitat adapté à son handicap » (Civ. 2ème, 14 avril 2016, publié au bulletin, n°15-16625).

Par conséquent, le responsable est tenu d’indemniser non seulement les dépenses occasionnées par l’aménagement du logement dont la victime n’est pas propriétaire lors de la survenance de l’accident, mais également l’intégralité des dépenses occasionnées par l’achat d’un bien adapté au handicap.

 

A propos du déficit fonctionnel permanent

Le décès de la victime fait disparaître l’incapacité permanente partielle dont elle est atteinte et le préjudice personnel de celle-ci. Par conséquent, les héritiers qui ont repris l’instance ne sont fondés à réclamer l’indemnisation de ces préjudices que pour la période écoulée jusqu’au décès de la victime (Civ. 2ème, 24 juin 1998, Bull. 1998, n°226, n°96-18534 ; Crim. 2 novembre 2004, publié au bulletin, n°04-80665).

 

A propos de l’assistance par tierce personne

Les frais de tierce personne sont fixés en fonction des besoins de la victime et leur indemnisation n’est pas subordonnée à la production de justificatifs.

En effet, au visa du principe de la réparation intégrale, la Cour de Cassation a rappelé que « le montant d’une indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance bénévole par un membre de la famille » (Civ. 2ème, 15 avril 2010, n°09-14042).

De plus, l’auteur du dommage doit, même dans le cas d’une aide familiale, rembourser les charges sociales sans pouvoir exiger de justificatif de leur paiement effectif sous réserve qu’il soit tenu compte des exonérations des cotisations patronales prévues par le code de la sécurité sociale.

Par ailleurs, la Cour de Cassation a rappelé que lorsque le besoin en tierce personne de la victime est indemnisé, les juges du fond doivent néanmoins rechercher – si cela leur est demandé – si le membre de la famille qui assure les fonctions de tierce personne n’a pas été « obligée d’abandonner son emploi (…)et si, de ce fait, elle avait subi un préjudice économique personnel en lien direct avec l’accident, consistant en une perte de gains professionnels et de droits à la retraite qui ne serait pas susceptible d’être compensée par sa rémunération telle que permise par l’indemnité allouée à la victime directe au titre de son besoin d’assistance par une tierce personne » (Civ. 2ème, 14 avril 2016, n°15-16697).

 

A propos de la perte de gains

La perte de revenus se calcule en net (et non en brut) et hors incidence fiscale la Cour de Cassation ayant énoncé très clairement que « les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l’indemnisation de la victime » (Civ. 2ème, 8 juillet 2004, Bull. 2004, n°392, n°03-16173).

Par ailleurs, il faut déduire de la perte de gains les indemnités journalières perçues par la victime avant la consolidation, même en l’absence de recours de l’organisme social.

 

A propos du préjudice d’agrément

Il ressort de la rédaction du rapport DINTILHAC, et de la jurisprudence de la Cour de Cassation que « la réparation d’un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d’agrément vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » (Civ. 2ème, 28 mai 2009, n°08-16829).

Cependant, les juges du fond ne limitent pas l’indemnisation du préjudice d’agrément et considèrent qu’est indemnisable la difficulté à poursuivre l’activité.

L’appréciation se fait au cas par cas, en fonction des justificatifs fournis, de l’âge de la victime, du niveau de pratique de l’activité etc.

Par ailleurs, la Cour de cassation considère qu’il peut y avoir un préjudice d’agrément temporaire qui se cumule avec le déficit fonctionnel temporaire, mais il faut alors caractériser « l’impossibilité de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs » au cours de la période concernée (Civ. 2ème, 3 juin 2010, n°09-13246)

 

A propos du préjudice d’angoisse de mort imminente

Dans un récent arrêt, la Cour de Cassation a rappelé que « le préjudice d’angoisse de mort imminente ne peut exister que si la victime est consciente de son état » (Crim. 27 septembre 2016, publié au bulletin, n°15-83309).

Elle exclut ainsi que les proches d’une victime n’ayant pas repris conscience après un accident puissent prétendre à l’indemnisation des souffrances morales et psychologiques nées de l’angoisse d’une mort imminente puisque l’inconscience lui aurait interdit de se rendre compte de la gravité de son état et de l’imminence de sa mort.

Ainsi, si le préjudice d’angoisse lié à l’imminence du décès est aujourd’hui reconnu comme distinct des souffrances endurées (Crim., 15 octobre 2013, n°12-83055), il n’en reste pas moins que seule la conscience de l’imminence de la mort peut justifier son indemnisation.

 

A propos des pouvoirs du juge

Comme en toute matière, le juge doit se prononcer dans la limite des conclusions dont il est saisi (Crim., 30 septembre 2003, Bull. 2003, n° 173, n° 03-80039).

Cela implique, en matière d’indemnisation, qu’il ne peut allouer à la victime une somme inférieure au montant admis par le responsable et qu’il ne peut pas non plus allouer davantage que ce qui est demandé.

L’évaluation du préjudice doit être faite par le juge au moment où il rend sa décision « en tenant compte de tous les éléments connus à cette date » (Civ. 2ème, 11 octobre 2001, Bull . 2001, n° 154, n°99-16760 à propos du préjudice économique).

Quant à la perte de chance, sa réparation « doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Civ. 2ème, 9 avril 2009, Bull. 2009, n°98, n° 08-15977).

Enfin, le juge se doit « de fixer l’étendue du préjudice et de procéder à son évaluation selon les règles de droit commun, indépendamment des prestations versées par les organismes sociaux » (Civ. 2ème, 14 mars 2002, Bull. 2002, n°39, n°00-12823 et 00-12596).

 

A propos du recours des tiers payeurs

Naturellement, l’organisme social de la victime – en tant que tiers subrogé – doit être mis en cause dans la procédure car à défaut, le jugement ne lui sera pas opposable et il pourra en demander l’annulation pendant deux ans.

En matière pénale, la Cour de cassation applique à l’organisme social la même exigence d’intervention avant les réquisitions du ministère public sur le fond qu’elle impose aux parties civiles (Crim., 18 mai 2005, n°04-83920).

Cependant, cette mise en cause ne s’impose pas pour les postes de préjudice qui sont exclus de l’assiette du recours (Crim., 16 octobre 2012, n° 12-80441).

En vertu de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985, la Cour de Cassation retient que « seules doivent être imputées sur l’indemnité réparant l’atteinte à l’intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation » (Civ. 2ème, 7 avril 2005, Bull. n°90, n° 04-10563.).

C’est pourquoi, les indemnités versées au titre de la solidarité nationale (RSA, PCH, ARE…) ne viennent pas en déduction de ce droit à indemnisation (Civ. 2ème, 14 mars 2002, Bull. n° 47, n° 00-12716 – AAH ; Civ. 2ème, 7 avril 2005, préc. – chômage).