La Cour de Cassation – et plus particulièrement sa 3ème Chambre – a moult occasions de se prononcer pour permettre au droit de l’immobilier et de la construction de progresser.

Le mois de novembre 2016 en est, une nouvelle fois, la preuve.

Signalons toutefois, à titre liminaire, un arrêt du mois d’octobre 2016 qui rappelle que « lorsqu'une condition suspensive est stipulée dans l'intérêt exclusif de l'une des parties, seule celle-ci peut se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de cette condition » à propos de la non obtention d’un prêt dans le délai prévu à la promesse (Civ. 3ème, 27 octobre 2016, n°15-23727).

 

Compétence du Tribunal d’Instance pour le contentieux des baux mixtes professionnels et d’habitation

Aux termes de l’article R 221-38 du code de l’organisation judiciaire, « le tribunal d’instance connaît des actions dont un contrat de louage d’immeubles à usage d’habitation ou un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion ».

Il faut donc considérer que le Tribunal d’Instance a compétence exclusive pour tout contrat portant sur un logement.

Cependant, l’article R 211-4 du même code dispose que « le tribunal de grande instance a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent […] les baux professionnels ».

Lorsqu’un bail mixte à usage d’habitation et professionnel occasionne un litige, la question de la compétence est donc particulièrement délicate puisque deux compétences exclusives existent.

Dans un arrêt récent, la Cour de Cassation a énoncé de manière particulièrement claire que« le tribunal d’instance, qui connaît des actions dont un contrat portant sur l’occupation d’un logement est l’objet, la cause ou l’occasion, est compétent pour connaître des actions portant sur les baux mixtes, à usage d’habitation et professionnel » (Civ. 3ème, 17 novembre 2016, n°15-25265).

La question est donc tranchée et s’explique très certainement par l’applicabilité du statut très protecteur de la loi de 89 aux baux mixtes professionnels et d’habitation.

 

Incompétence du juge judiciaire pour réparer les dommages survenus à l’occasion de travaux publics

Par une décision du 16 novembre 2016, rendu au visa de la loi des 16 et 24 août 1790, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a jugé que « hormis le cas où le préjudice invoqué trouve sa cause déterminante dans l'action d'un véhicule, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics, fût-elle dirigée contre la personne privée ayant exécuté ces travaux » (Civ. 1ère, 16 novembre 2016, n°15-25370).

Cette solution implique donc la compétence du juge administratif pour connaître de l’action en réparation de dommages survenus à l’occasion de travaux publics et ce, même si cette action est dirigée contre la personne privée ayant exécuté ces travaux.

Il s’agissait, pour la Cour de Cassation, de faire application d’une jurisprudence bien établie du Tribunal des conflits en indiquant que « hormis le cas où le préjudice invoqué trouve sa cause déterminante dans l’action d’un véhicule, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l’action en réparation des dommages survenus à l’occasion de la réalisation de travaux publics » (TC, 12 février 2001, n°3243 ; 26 juin 2006, n°3510).

La Cour de Cassation pousse donc le raisonnement du Tribunal des Conflits jusqu’à son extrémité et, bien que cela puisse sembler choquant, cette solution a le mérite de permettre que l’ensemble du contentieux lié à la réalisation d’un ouvrage public soit porté devant une seule et même juridiction.

 

Baux commerciaux : fixation du loyer en renouvellement

Dans deux arrêts du 3 novembre 2016, (Civ. 3ème, 3 novembre 2016, n°15-16827 et 15-16826), la Cour de cassation a jugé que la stipulation selon laquelle le loyer d'un bail commercial est composé d'un loyer minimum et d'un loyer calculé sur la base du chiffre d'affaires du preneur n'interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative.

Dans ce cadre, le juge doit alors statuer selon les critères de l'article L 145-33 du Code de commerce, notamment au regard de l'obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l'abattement qui en découle.

L'existence d'une clause de loyer binaire n’implique donc pas une incompatibilité avec les règles statutaires relatives à la fixation du loyer au motif que celui-ci, dans un tel bail, ne serait pas fixé selon les critères définis à l'article L 145-33 du Code de commerce.

 

Responsabilité décennale : le maître d’ouvrage, garant lors de la vente

La garantie décennale vise les ouvrages rendus impropres à leur destination du fait de désordres survenant dans les dix ans de la réception des travaux.

Cette garantie est liée à l’ouvrage et suit, par conséquent, le bien en cas de transfert de propriété.

Dans un arrêt récent (Civ. 3ème, 10 novembre 2016, n° 15-24379), la Cour de Cassation rappelle qu’en matière de responsabilité décennale, le caractère apparent ou caché des désordres s’apprécie en la personne du maître de l’ouvrage constructeur et au jour de la réception, qui correspond pour celui-ci à l’achèvement des travaux.

Dès lors, s’il existait des vices cachés à la réception et que ceux-ci deviennent apparents à la vente, ils relèvent du régime des désordres cachés à la réception et l’acquéreur peut appeler le vendeur en garantie conformément à l’application de 1792-1 du code civil qui dispose qu’« est réputé constructeur de l’ouvrage : […] 2° toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire […] ».

Le principe de droit commun des vices connus de l’acquéreur comme excluant la responsabilité du vendeur ne trouvera pas à s’appliquer dans le cadre de la garantie décennale due par le vendeur constructeur de l’ouvrage.

Dans ce même arrêt, la Cour rappelle qu’un expert ne peut se contenter de constater un dysfonctionnement sans rechercher si celui-ci ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination.

 

Conséquences du retrait d'un permis de construire obtenu postérieurement à la vente

Aux termes d’un arrêt du 24 novembre 2016, la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation (Civ. 3ème, 24 novembre 2016, n°15-26226) a retenu que l'annulation ou le retrait du permis de construire obtenu après la vente est sans incidence sur l'erreur qui doit s'apprécier au jour de la formation du contrat.

Dès lors, l’annulation du permis de construire ne peut pas entraîner la nullité de la vente, ni donner lieu à la garantie des vices cachés.

Cette décision doit toutefois être analysée à la lumière des faits de l’espèce. En effet, non seulement le terrain était légalement constructible mais il était également classé en zone inondable et entrait dans le champ d’un plan de prévention des risques, tous ces éléments ayant été portés à la connaissance de l’acquéreur.

 

Caractère facultatif de l’article 49 de la loi du 10 juillet 1965

Pour se dispenser du paiement des charges de copropriété, les copropriétaires sont prêt à tout et lorsqu’ils sont défaillants la créativité n’a plus de bornes.

Dans un arrêt du 3 novembre 2016 (Civ. 3ème, 3 novembre 2016, n°15-24793), la Cour a donc eu l’occasion d’indiquer que « l’ancien article 49 de la loi du 10 juillet 1965 prévoyant une simple faculté d’adaptation du règlement de copropriété aux textes législatifs ou réglementaires intervenues depuis son établissement et n’édictant pas de sanction en cas d’absence de saisine de l’assemblée générale sur ce point », le défaut d’adaptation du règlement de copropriété n’est pas de nature à dispenser les copropriétaire du paiement des charges.

Cette affaire a permis à la Cour de cassation d’étoffer sa jurisprudence sur la portée de cet article 49 et de suivre les recommandations de la commission relative à la copropriété (recommandation n°23 relative aux modalités d’application de l’article 49 de la loi du 10 juillet 1965).

Dans son arrêt, elle précise que l’adaptation des règlements n’est que facultative et constate qu’aucune sanction n’est prévue en cas d’absence de saisine de l’assemblée générale.

Dès lors, copropriétaire ne peut pas se fonder sur l’absence de mise à jour du règlement de copropriété pour refuser l’application d’une clause qu’il jugerait illégale.

Dans cette même décision, la Cour de cassation valide la condamnation du propriétaire défaillant à verser au syndicat, outre des intérêts moratoires, des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi.

En effet, la Cour relève que ces dommages intérêts viennent réparer un préjudice financier certain et distinct de celui réparé par les intérêts moratoires (préjudice résultant du retard), préjudice qui résulte du comportement abusif de ce copropriétaire (spécifique toutefois à l’espèce).

 

Facture de travaux et retenue de paiement

Au visa de l’article 1er de la loi n°71-584 du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l'article 1779-3° du code civil, la Cour de Cassation a confirmé que la retenue de paiement sur une facture de travaux ne peut jamais dépasser 5% (Civ. 3ème, 10 novembre 2016, n°15-20273).

Cette retenue, qui est destinée à garantir l’exécution totale des travaux pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception, est évaluée de façon stricte et la Cour n’admet pas même un léger dépassement de quelques euros.

Rappelons que les travaux concernés sont de menus travaux liés à la garantie de parfait achèvement qui porte sur la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage -le propriétaire- lors de cette réception.

Cette retenue de garantie de 5% permet d'obliger l'entreprise défaillante à revenir pour remédier aux défauts ou de payer une nouvelle entreprise qui les réparera. Cette retenue n'est possible, précise la loi, que si elle a été expressément prévue par contrat signé entre l'entreprise et son client

 

Empiètement : Avec un voisin qui s'étend, mieux vaut transiger

En vertu du droit de propriété, personne n'est obligé de tolérer qu'une construction du voisin dépasse sa limite de propriété.

Selon ce principe, un empiètement de quelques centimètres ne peut pas être toléré au prétexte que le dommage serait faible.

Les juges tentent toutefois de trouver des arrangements.

Ainsi, dans un arrêt du 10 novembre 2016 (Civ. 3ème, 10 novembre 2016, n°15-25113 et 15-19561), la Cour de Cassation a rappelé que, si la démolition était exigible, elle ne devait pas être disproportionnée et qu’il appartenait dès lors de n’ordonner la démolition de l’ouvrage dans sa totalité que si aucune autre solution de rétablissement de la construction dans ses limites n’était possible.

De plus, il importe peu que le constructeur soit de bonne foi (Civ. 3ème, 30 octobre 2013, n°12-22169) ou le propriétaire victime de mauvaise foi car aucun abus de droit n’est possible en la matière (Civ. 3ème, 7 juin 1990, n°88-16277).

 

Obligation de l’agent immobilier

Il ressort d’un arrêt récent de la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation (Civ. 1ère, 16 novembre 2016, n°15-23790) que l’agent immobilier chargé de rechercher un locataire doit vérifier scrupuleusement sa solvabilité quand bien même il ne serait pas chargé de la gestion du logement ou n’aurait eu qu’un mandat sans exclusivité.

Bien plus, la Cour de cassation admet la responsabilité de l’agent, même si les difficultés de paiements surviennent plusieurs années après l'arrivée du locataire.

Ainsi, quelle que soit l'étendue de sa mission, l'agent immobilier qui négocie une opération locative doit s'assurer de la solvabilité réelle des candidats en réalisant des vérifications sérieuses.

Selon la Cour, la seule limite aux obligations de vérification du sérieux d'un candidat locataire se trouve dans la loi de 1989 qui énumère, de façon limitative, les justificatifs qui peuvent être exigés préalablement à la signature du bail.

 

Mandat exclusif de l’agent immobilier et faculté de dénonciation

Aux termes d’un arrêt du 3 novembre 2016 (Civ. 1ère, 3 novembre 2016, n°15-23534), la Cour de Cassation a rappelé que :

« lorsqu’il est assorti d’une clause d’exclusivité ou d’une clause pénale ou qu’il comporte une clause de garantie de rémunération en faveur de l’intermédiaire, le mandat doit rappeler la faculté qu’a chacune des parties, passé le délai de trois mois à compter de sa signature, de le dénoncer à tout moment, dans les conditions de forme et de délai réglementairement prescrites, et en faire mention, comme de la clause dont cette faculté de résiliation procède, en caractères très apparents »

et que cette disposition « influant sur la détermination de la durée du mandat, est prescrite à peine de nullité absolue de l’entier contrat ».

Rappelons que le mandat exclusif est celui par lequel le mandant ne peut contracter sans l’intermédiaire du mandataire.

Pour pallier les contraintes d’un tel mandat, le décret d’application de la loi Hoguet a prévu une faculté de dénonciation du contrat trois mois après sa signature, à charge pour celui qui s’en prévaut d’en aviser l’autre partie quinze jours au moins à l’avance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

En outre, la loi Hoguet oblige les contractants d’une convention comportant une clause d’exclusivité à mentionner cette faculté de dénonciation « en caractères très apparents ».

Dans le cas qui lui était soumis, le mandat exclusif stipulait, pour atténuer les contraintes de la faculté de dénonciation, une clause de reconduction tacite du contrat de trois mois en trois mois en plus d’une durée irrévocable de trois mois.

Cette possibilité est écartée par la Cour de cassation, qui considère qu’une telle clause a pour effet de restreindre « la faculté de résiliation à l’échéance du terme de chaque période trimestrielle de reconduction tacite ».

Dès lors, le mandat est frappé de nullité, ce qui implique que l’agent immobilier n’a plus droit ni à la rémunération ni à l’application de la clause pénale sanctionnant le non-respect de l’exclusivité du mandat.