Par une décision rendue ce jour (CE, 4 octobre 2023, 465341), le Conseil d’Etat a censuré, sur requête de l’Association des Maires de France (AMF), une partie du décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, et ce, en ce qui concerne la définition de l’échelle des zones artificialisées.
Plus de deux ans après la définition de l’objectif Zéro Artificialisation Nette en 2050 (ZAN) par la loi Climat et Résilience, peu de monde, y compris le Conseil d’Etat, ne semblent être en mesure de dire comment cet objectif s’appliquera concrètement sur les territoires.
D’abord annoncés pour fin 2021, les décrets d’application concernant le ZAN ont péniblement été adoptés fin avril 2022. Au lieu de rassurer les collectivités territoriales sur les modalités d’application de cet objectif de sobriété foncière, ces décrets ont mis en lumière le vide juridique et opérationnel qui se trouvait derrière la démarche ZAN, aussi louable soit-elle dans son principe.
Rappelons que l’urgence de diminuer l’artificialisation des sols est réelle. Sur les dix dernières années, la consommation annuelle d’espaces naturels agricoles et forestiers (ENAF) est en moyenne de 30 000 hectares par an, ce qui représente, par exemple, près de 55 % du territoire de la Métropole de Lyon avec ses 59 communes et ses 1,4 millions d’habitants (Cf. le fil d’information sur « X » rédigé par le Président de la Métropole de Lyon).
1- Donner un cadre règlementaire clair pour l’application du ZAN : un exercice d’équilibriste inachevé
S’agissant du mécanisme de calcul de l’objectif ZAN, l’article 101-2-1 du code de l’urbanisme dispose que « l'artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l'artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnés » et renvoie au pouvoir règlementaire, le soin de fixer, par décret en Conseil d’Etat, les conditions d’application de cet article, notamment en établissant « une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme ».
C’est cette "échelle" qui manquait incontestablement à la nomenclature fixée dans le décret n° 2022-763 du 29 avril 2022. En effet, l’article R. 101-1 du code de l’urbanisme dispose notamment que :
- « Les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d'urbanisme portent sur les surfaces terrestres jusqu'à la limite haute du rivage de la mer ».
- Une nomenclature des sols artificialisés est créée afin de calculer le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées ;
- Précisions faites que « le classement est effectué selon l'occupation effective du sol observée, et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d'urbanisme », laquelle « est mesurée à l'échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence précisés par arrêté ».
Le classement des surfaces artificialisées est donc décorrélé des zonages règlementaires applicables sur un territoire donné et doit être effectué selon l’occupation effective des sols.
À ce jour, la nomenclature annexée à l’article R. 101-1 du code de l’urbanisme est la suivante :
Toutefois, cette nomenclature n’est accompagnée d’aucun seuil de référence permettant de déclencher le classement de telle ou telle partie du territoire dans les catégories susvisées.
Cette absence de définition de l’échelle des zones artificialisées a logiquement été censurée par le Conseil d'Etat qui a jugé que :
«4. En se référant à la simple notion de « polygone », et en renvoyant, pour la définition de la surface de ces derniers, à un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme et aux standards du Conseil national de l’information géographique, lesquels ne font pas l’objet d’une définition par décret en Conseil d’Etat, les auteurs du décret attaqué ne peuvent être regardés comme ayant établi, comme il leur appartenait de le faire en application des dispositions citées ci-dessus du dernier alinéa de l’article L. 101-2-1 du code de l’urbanisme, l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme »
2- Compléter le mécanisme ZAN (et se créer de nouveaux problèmes ?)
Conscient de la faiblesse de son décret du 29 avril 2022, le Gouvernement a tenté de prendre les devants et a mis un nouveau projet de décret en consultation publique pendant l’été 2023 (du 13 juin au 4 juillet), lequel a notamment affiné la nomenclature initiale et fixé des seuils de référence clairs pour répondre aux critiques soulevées par l’AMF.
Cette nouvelle nomenclature, remplaçant la première qui n’a jamais été appliquée, est donc envisagée comme suit :
Sont donc enfin intégrés les seuils de référence à partir desquels pourront être qualifiées les surfaces artificialisées ou non artificialisées (50 m² pour le bâti et 2 500 m² pour les autres catégories de surface ; 5 mètres de large pour les infrastructures linéaires et au moins 25% de boisement d'une surface végétalisée pour qu'elle ne soit pas considérée comme "herbacée").
La publication imminente de ce nouveau décret (initialement attendu pour septembre 2023) devrait donc permettre de répondre à la censure du Conseil d’Etat.
Le mécanisme de calcul de l’objectif ZAN semble donc enfin être stabilisé et il ne manque plus que la publication de ce nouveau décret pour y voir plus clair.
Pour autant, cette nouvelle nomenclature et ces seuils de références ouvrent un champ de nouvelles questions, lesquelles vont très rapidement et très concrètement se poser pour les collectivités territoriales.
Par exemple, et à lire ce projet de décret, l’on en déduit que, dans les quartiers peu denses et arborés, les polygones de couverts végétalisés de plus de 2 500 m² devraient être considérés comme non artificialisés (catégorie 10). Sera-t-il possible de construire dans son grand jardin arboré ? Pas sûr, sauf s’il s’agit d’un bâtiment de moins de 50 m² d’emprise au sol (un pool house, abris de jardin, une Tiny House pour les invités ? …).
Dans les quartiers pavillonnaires denses, les seuils de référence de la nomenclature ne seront pas atteints et les espaces libres existants en fond de parcelle seront donc vraisemblablement considérés comme artificialisés. Sera-t-il ici possible de diviser en fond de parcelle pour construire ? Très certainement, car il n’y aura aucun flux d’artificialisation (on passe de la catégorie 4° à 1°).
La densification des espaces semble donc fléchée vers les quartiers déjà relativement denses suivant le principe BIMBY (« Build in My Back Yard », littéralement, « construire dans mon jardin ») et stopper l’artificialisation des sols là où le bâti est moins dense et plus arboré.
Une chose est certaine, l’objectif ZAN n’a pas fini de faire parler de lui…
Pas de contribution, soyez le premier