Une lecture un peu trop rapide des dispositions du code civil relative à la vente pourraient le laisser penser.

En effet, l’article 1596 du code civil dispose :

Ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées :

Les tuteurs, des biens de ceux dont ils ont la tutelle ;

Les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre ;

Les administrateurs, de ceux des communes ou des établissements publics confiés à leurs soins ;

Les officiers publics, des biens nationaux dont les ventes se font par leur ministère ;

Les fiduciaires, des biens ou droits composant le patrimoine fiduciaire.

Mais, un examen plus réfléchi permet d’affirmer que ce que pose cet article 1596 du code civil c’est l’interdiction pour le mandataire de se rendre adjudicataire personnellement.

Il n’interdit nullement à l’avocat poursuivant d’enchérir pour le compte d’un client, à la condition que n’existent ni lien de subordination, ni lien de parenté avec lui.

L’ancien code de procédure civile ne disait rien d’autre dans l’article 711 :

« Les avocats ne pourront enchérir pour les membres du tribunal devant lequel se poursuit la vente, à peine de nullité de l'adjudication ou de la surenchère, et de dommages-intérêts.

Ils ne pourront, sous les mêmes peines, enchérir pour le saisi ni pour les personnes notoirement insolvables. L'avocat poursuivant ne pourra se rendre personnellement adjudicataire ni surenchérisseur, à peine de nullité de l'adjudication ou de la surenchère, et de dommages-intérêts envers toutes les parties ».

C’est ainsi que l’analysaient les premiers commentateurs du décret-loi du 17 juin 1938

« Les avoués ne peuvent se rendre cessionnaire de droits en litige devant le tribunal où ils occupent, mais ils peuvent se porter enchérisseurs dans les ventes d’immeubles qui se font par devant lui ; par exception, l’avoué poursuivant ne peut être adjudicataire de l’immeuble qu’il fait vendre (article 711). Ce n’est là qu’une application de l’article 1596 du code civil ».

(Traité théorique et pratique de la saisie immobilière, commentaire du décret-loi du 17 juin 1938, Charles Cézar-Bru, Recueil Sirey 1939, n° 196, page 178)

Et c’est d’ailleurs ce quavait jugé la cour de cassation, notamment dans un arrêt du 30 novembre 1988, publié au Bulletin (Civ.2, 30 novembre 1988, n° 87-18445, Bull.civ.II, n° 232, page 126).

Dans l’espèce soumise à la cour de cassation, l’avocat poursuivant avait porté les enchères pour le compte de l’un de ses clients.

La cour de cassation a jugé ce qui suit :

« Mais attendu que l'avocat poursuivant ayant porté les enchères en se réservant de faire la déclaration de l'adjudicataire dans le délai prescrit, ce dont il lui a été donné acte, c'est, hors de toute violation du premier des textes susvisés, que l'immeuble saisi lui a été adjugé ; 

Et attendu que les dispositions du décret susvisé ne sont pas sanctionnées par la nullité des enchères portées par l'avocat pour le compte de l'un de ses clients ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé »

En revanche, la cour de cassation sanctionne l’avocat poursuivant s’il est personnellement adjudicataire et non pour le compte de l’un de ses clients, même par personne interposée, ici un collaborateur, en raison de l’existence de lien de subordination ou de hiérarchie (dans ce sens Civ.2, 26 novembre 1986, n° 85-14647).

La réforme de la procédure de saisie immobilière issue de l’ordonnance du 21 avril 2006 et du décret du 27 juillet 2006, textes aujourd’hui codifiés au code des procédures civiles d’exécution n’a rien modifié sur le sujet.

L’article R.322-29 du code des procédures civiles d’exécution reprenant peu ou prou les termes de l’article 711 du l’ancien code de procédure civile :

« Ne peuvent se porter enchérisseurs, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées :
1° Le débiteur saisi ;
2° Les auxiliaires de justice qui sont intervenus à un titre quelconque dans la procédure;
3° Les magistrats de la juridiction devant laquelle la vente est poursuivie 
»

Là encore, la lecture de ce texte permet de mesurer qu’il n’existe pas d’interdiction pour l’avocat poursuivant d’enchérir mais seulement de se porter enchérisseur pour lui même.

Allons même plus loin dans l’analyse du texte. L’alinéa premier de l’article L.322-6 du code des procédures civiles d’exécution envisage le cas d’une absence d’enchère le jour de la vente et précise qu’alors, le créancieur poursuivant est déclaré adjudicataire d’office sur le montant de la mise à prix.

Or, n’est-il pas représenté par son mandataire, lequel n’est autre que l’avocat poursuivant ?

Mêmement, l’article R.322-46 du même code ne précise-t-il pas que l'avocat dernier enchérisseur est tenu de déclarer au greffier l'identité de son mandant avant l'issue de l'audience ?

En reprenant les dispositions de l’article 1596 du code civil, on mesure que le mandataire ne peut acquérir personnellement mais que pour le compte de son mandant il n’existe nulle exclusion ou interdiction.

Enfin, sur la notion de conflit d’intérêts, il convient de se reporter aux règles régissant la profession d’avocat et notamment celles édictées dans le Règlement intérieur national précisément celles relatives aux enchères (article 12.2 du RIN) qui stipulent :

12.2 Enchères

« L’avocat doit s’assurer de l’identité́ de son client, de sa situation juridique, et s’il s’agit d’une personne morale, de la réalité́ de son existence, de l’étendue de son objet social et des pouvoirs de son représentant.

L’avocat ne peut porter d’enchères pour des personnes qui sont en conflit d’intérêts.

L’avocat ne peut notamment porter d’enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants.

Lorsqu’un avocat s’est rendu adjudicataire pour le compte d’une personne, il ne peut accepter de former une surenchère au nom d’une autre personne sur cette adjudication, à défaut d’accord écrit de l’adjudicataire initial.

En cas d’adjudication d’un lot en copropriété́, il appartient à l’avocat poursuivant de le notifier au syndic de copropriété ».

La lecture de ces règles permettent d’affirmer qu’elles n’interdisent pas à l’avocat poursuivant de se porter adjudicataire sur la vente qu’il poursuit, à la condition d’être mandaté par un client dont il s’est assuré de l’identité et de la solvabilté dans les proportions exigés par le texte (R.322-41).

Elles permettent même à l’avocat de l’adjudicataire de former une surenchère (voire une réitération des enchères) contre son propre client sous réserve d’un accord écrit de ce dernier.

En résumé et en contemplation de ces divers éléments, il est incontestable que l’avocat poursuivant peut parfaitement être mandaté par un client pour porter des enchères sur la vente qu’il poursuit.

Le créancier poursuivant ou le liquidateur qui poursuit la vente souhaite que le bien se vende au meilleur prix, par conséquent il a intérêt à voir le plus d’amateurs possibles participer à la vente, en ce compris par l’intermédiaire de son avocat si ce dernier est mandaté par un client avec lequel il n’a aucun lien de subordination ou de hiérarchie.