Lorsqu’un demandeur de permis de construire projette d’implanter sa future habitation à proximité d’une zone d’activité artisanale ou industrielle, il doit s’assurer que la construction envisagée sera compatible avec l’environnement industriel existant. Les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) situées dans ces secteurs, qu’elles relèvent ou non du régime « Seveso », peuvent générer des nuisances ou présenter des risques importants (émissions de gaz, bruit, stockage de produits dangereux, etc.). Il appartient donc tant au pétitionnaire qu’à l’autorité administrative chargée d’instruire la demande d’intégrer ces risques dans la décision d’octroi ou de refus du permis.
La problématique est ainsi double : d’un côté, protéger la sécurité et la santé des futurs occupants, et de l’autre, veiller à ne pas compromettre l’exploitation des installations industrielles déjà en place. À ce titre, l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme rappelle que le permis de construire peut être refusé ou accordé sous réserve de prescriptions spéciales lorsque le projet de construction risque de porter atteinte à la sécurité, à la salubrité publique ou à la santé publique.
Saisi d’un contentieux, le juge administratif a eu l’occasion de préciser la portée de cet article, en annulant certains permis ou en validant des refus motivés par l’existence de risques majeurs liés à des installations industrielles. Toutefois, à l’inverse, il peut juger légal un permis situé non loin d’une ICPE, dès lors que le projet respecte les servitudes de protection et qu’aucun risque significatif n’est établi.
Après avoir examiné l’obligation de prise en compte des risques (I), nous analyserons les enseignements jurisprudentiels permettant de mieux appréhender le contrôle effectué par le juge administratif (II).
I. L’obligation de prendre en compte les risques liés à la proximité d’une installation classée
1. Le fondement juridique : l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme
Le Code de l’urbanisme, en son article R. 111-2, donne compétence à l’autorité administrative pour rejeter une demande de permis de construire ou pour l’assortir de prescriptions spéciales, lorsque la construction envisagée pourrait porter gravement atteinte à la sécurité, à la salubrité ou à la santé publique. Cette compétence s’applique selon un principe de « réciprocité » :
- D’une part, l’autorité administrative doit s’assurer que l’installation classée voisine ne présente pas de risque inacceptable pour le pétitionnaire.
- D’autre part, le porteur de projet doit démontrer que son projet ne vient pas s’exposer à des nuisances graves ou ne compromet pas les conditions d’exploitation de l’installation existante.
En pratique, lorsqu’il existe un Plan de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) ou des servitudes d’utilité publique (SUP) autour des ICPE, l’instruction du permis doit vérifier que les prescriptions afférentes (distances minimales, règles constructives, etc.) sont respectées. À défaut, l’annulation du permis pourra être prononcée en cas de contestation.
2. Les conséquences pour le demandeur du permis de construire
Avant de déposer sa demande, le pétitionnaire a tout intérêt à :
- Analyser la situation exacte de son terrain vis-à-vis des installations classées environnantes.
- Consulter l’exploitant de l’ICPE ou, le cas échéant, solliciter un avis technique des services de la préfecture (DREAL, pompiers).
- Vérifier que la destination du projet (habitation, établissement recevant du public vulnérable, etc.) est compatible avec les risques identifiés.
- Prendre connaissance des documents d’urbanisme applicables (PLU, PPRT, etc.) et y intégrer des mesures spécifiques (parois coupe-feu, respect des distances réglementaires, etc.).
Cette démarche proactive permet de limiter les risques de contentieux et d’éviter une éventuelle annulation du permis pour méconnaissance des servitudes d’utilité publique ou des prescriptions essentielles de sécurité.
II. Les enseignements jurisprudentiels : un contrôle exigeant du juge administratif
Après avoir évoqué les principes posés par l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, il convient d’examiner la manière dont les juridictions administratives appliquent et interprètent ces dispositions. Nous examinerons d’abord les décisions contraignantes, qui aboutissent à une annulation du permis ou à un refus validé par le juge (1). Nous étudierons ensuite les cas où le juge retient au contraire la légalité du permis, dès lors que le pétitionnaire respecte scrupuleusement les obligations qui lui incombent (2). Enfin, nous soulignerons les principaux critères d’appréciation employés par le juge, afin de mieux cerner la logique de contrôle (3).
1. La jurisprudence exigeante : annulation ou refus des permis à risque
a) Annulation de permis pour les projets jugés incompatibles
Dans un premier temps, la jurisprudence sanctionne l’implantation de projets particulièrement vulnérables ou mal adaptés à la proximité d’une ICPE. Ainsi :
- CAA Bordeaux, 5 juill. 2012, n° 12BX00270 : Une maison de retraite, compte tenu de la fragilité de son public, ne peut être autorisée au voisinage immédiat de diverses installations (silo à céréales, déchetterie, centrale d’enrobage…), faute de garanties suffisantes.
- CAA Nantes, 16 mai 2014, n° 13NT00621 : Un lotissement dans un rayon de 500 m autour d’une sphère de propane classée en « zone de dangers graves pour la vie humaine » a vu son permis annulé, le pétitionnaire n’ayant pas respecté les distances de sécurité issues de l’étude de dangers.
b) Validation du refus de permis pour insuffisance de mesures préventives
Dans un second temps, les juridictions confirment parfois un refus de permis lorsque la localisation et la nature du projet présentent un risque majeur, que le pétitionnaire n’a pas pu ou su pallier. Par exemple :
- CAA Paris, 3 déc. 2015, n° 14PA00381 : Le juge a considéré légal le refus de permis pour des bureaux et un entrepôt de matières combustibles, situés près de deux sites « Seveso seuil haut ». L’insuffisance des mesures de prévention (notamment contre l’extension d’un incendie) justifiait pleinement la décision de l’administration.
2. La possibilité de validation du permis : un projet hors des zones à risques effectifs
À l’inverse, lorsque le pétitionnaire respecte toutes les servitudes et distances réglementaires, le permis peut être jugé régulier. Le Conseil d’État (CE, 24 oct. 2023, n° 465360) a validé un permis de construire pour l’implantation d’une antenne-relais. En l’espèce, le projet se situait en dehors du périmètre d’inconstructibilité instauré autour d’un stockage de produits dangereux. Le juge a relevé qu’aucun risque significatif ne persistait, la zone se trouvant hors champ des prescriptions imposées.
Ainsi, dans la mesure où l’étude de dangers et les prescriptions légales (PPRT, PLU, SUP, etc.) ne révèlent pas d’incompatibilité formelle, et que le pétitionnaire a pris les dispositions nécessaires pour se prémunir contre tout danger, l’administration ne peut refuser le permis de construire.
3. Les critères d’appréciation retenus par le juge administratif
Enfin, il importe de souligner que le juge se fonde sur un faisceau d’indices pour déterminer la légalité d’une autorisation d’urbanisme :
- La localisation précise du projet et la distance vis-à-vis de l’ICPE, avec prise en compte d’éventuelles servitudes d’utilité publique (zone inconstructible, marge de recul obligatoire, etc.).
- Le degré de danger présenté par l’installation classée (établissement « Seveso seuil haut », stockage de substances inflammables, etc.).
- La destination et la vulnérabilité du public visé par la construction (habitation, maison de retraite, école, etc.).
- Les mesures de prévention envisagées par le pétitionnaire (plans de sécurité, murs pare-feu, dispositifs d’alerte, etc.).
- L’avis des services compétents (DREAL, pompiers) et le contenu des études de dangers, qui éclairent la nature et l’ampleur des nuisances.
Conclusion
La proximité d’une ICPE avec un projet d’habitation au sein d’une zone d’activité artisanale ou industrielle impose une vigilance accrue, tant pour le demandeur du permis que pour l’autorité administrative. L’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme confère à l’administration un large pouvoir d’appréciation, lui permettant de refuser ou de conditionner l’autorisation de construire, lorsque la sécurité ou la santé publique est menacée.
La jurisprudence récente démontre l’exigence du contrôle judiciaire : en cas d’absence de prise en compte sérieuse des risques (étude de dangers lacunaire, non-respect d’un périmètre d’isolement, etc.), l’annulation du permis ou la validation d’un refus s’avèrent inéluctables. Toutefois, lorsque le demandeur apporte des garanties suffisantes et s’implante en dehors des zones à risques effectifs, les juridictions confirment la validité de l’autorisation d’urbanisme.
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