L’échec récent des négociations onusiennes pour parvenir à un traité international contraignant ne signifie pas l’absence d’outils juridiques pour lutter contre la pollution plastique au niveau national et européen. En effet, associations et particuliers disposent de plusieurs leviers contentieux pour faire respecter, voire renforcer, les réglementations en vigueur. Nous présenterons, ci-après, les différentes voies de recours envisageables, ainsi que leur domaine d’application et leur degré d’efficacité.


I. Les recours devant le juge administratif

I.1. Le recours pour excès de pouvoir contre les actes réglementaires insuffisants ou non conformes

Les associations et les particuliers peuvent engager un recours pour excès de pouvoir (article R. 421-1 du Code de justice administrative) à l’encontre :

  • des décrets, arrêtés ou circulaires par lesquels le gouvernement ou les ministres mettent en œuvre la législation relative à la réduction du plastique (loi AGEC, loi Climat et Résilience, etc.) ;
  • des actes pris par les collectivités territoriales (arrêtés préfectoraux, règlements locaux de collecte et de gestion des déchets).

Objectif : sanctionner l’illégalité des actes administratifs qui méconnaîtraient la loi ou la directive européenne. Par exemple, si une collectivité est tenue, en vertu de la loi « AGEC », de mettre en place un dispositif de tri sélectif plus strict et qu’elle n’émet pas l’arrêté ou le règlement nécessaire, une association pourrait attaquer cet acte pour carence ou insuffisance.

Efficacité :

  • Le juge peut annuler l’acte illégal et enjoindre à l’administration de prendre de nouvelles mesures conformes aux prescriptions légales ou réglementaires.
  • Cette voie contentieuse, dite de « légalité », est puissante juridiquement, mais suppose que l’association ou le particulier prouve l’existence d’un acte irrégulier ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires pertinentes (ex. art. L. 541-10 et s. du Code de l’environnement).

I.2. Le recours en carence pour insuffisance des mesures réglementaires

Les associations environnementales peuvent également choisir d’attaquer l’État ou une collectivité pour carence fautive(ou carence illégale) lorsqu’une autorité publique n’adopte pas les mesures requises par la loi ou ne respecte pas les objectifs fixés (par exemple, en matière de réduction du plastique à usage unique).

Exemples :

  • Carence de l’État dans l’adoption de décrets d’application prévus par la loi AGEC.
  • Carence d’une collectivité qui tarde à appliquer les consignes de tri étendu.

Efficacité :

  • Le juge administratif peut ici encore enjoindre à l’administration de prendre les mesures nécessaires dans un délai qu’il fixe (article L. 911-1 et s. du Code de justice administrative).
  • Des astreintes financières peuvent être infligées en cas de non-respect de l’injonction (article L. 911-3 du CJA).

I.3. Le contentieux de l’environnement et la jurisprudence « Grande-Synthe »

Même si la pollution plastique n’était pas directement visée, la décision du Conseil d’État, Commune de Grande-Synthe (n° 427301, 1er juillet 2021) a consacré la possibilité de sanctionner l’État pour inaction dans la lutte contre le changement climatique. Cette jurisprudence laisse entrevoir un élargissement des actions fondées sur l’obligation pour l’administration de respecter ses engagements environnementaux.

Transposition possible :

  • Les associations pourraient fonder un recours sur le fait que l’État, via la loi AGEC ou la directive 2019/904/UE, s’engage à réduire l’incidence des plastiques, et que l’inaction ou l’insuffisance de certaines mesures viole ces engagements.
  • Elles pourraient réclamer l’adoption de mesures plus contraignantes (par exemple, accélérer l’interdiction de certains plastiques à usage unique).

II. Les actions devant le juge civil ou pénal

II.1. L’action en responsabilité civile (troubles anormaux de voisinage, ou faute quasi-délictuelle)

Un particulier ou une association peut engager la responsabilité civile d’une entreprise ou d’un producteur de déchets plastiques en se fondant sur :

  • Le régime de la faute, prévu aux articles 1240 et suivants du Code civil (anciennement art. 1382 et s.), en démontrant que l’émetteur de pollution a enfreint la réglementation sur les plastiques (ex. rejets illégaux, manquement à l’obligation de traitement des déchets).
  • Le régime des troubles anormaux de voisinage, lorsqu’une pollution plastique massive crée un préjudice direct à des riverains (ex. contamination de sols, de cours d’eau).

Efficacité :

  • Difficile à mettre en œuvre, car il faut prouver le lien direct de causalité entre la pollution et le dommage.
  • Si la preuve est rapportée (via expertises, contrôles de l’administration, etc.), le juge civil peut condamner l’auteur du dommage à réparer intégralement le préjudice (dommages et intérêts, mesures de dépollution).

II.2. L’action pénale pour infractions environnementales

Le Code de l’environnement et le Code pénal comportent plusieurs infractions réprimant les atteintes à l’environnement :

  • Rejet ou abandon illégal de déchets (articles L. 541-3 et suivants du Code de l’environnement pour la compétence du Maire).
  • Mise en danger de l’environnement (infractions plus ciblées, parfois difficile à caractériser, mais renforcées par la loi Climat et Résilience, notamment avec la notion d’écocide discutée puis introduite sous le nom de « délit d’écocide » dans une version restreinte).

Efficacité :

  • Les associations agréées au titre de la protection de l’environnement (articles L. 142-1 et s. du Code de l’environnement) peuvent se porter partie civile et déclencher l’action publique ou intervenir aux côtés du ministère public.
  • Les sanctions pénales (amendes, peines d’emprisonnement pour les personnes physiques, sanctions spécifiques pour les personnes morales) peuvent avoir un effet dissuasif notable, mais la charge de la preuve et la lenteur des procédures constituent parfois des freins.

III. Les actions collectives (class actions environnementales)

En France, depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, il est possible d’introduire une action de groupe dans plusieurs domaines, principalement la consommation et la santé. Toutefois, l’action de groupe « environnementale » reste encore limitée (le législateur n’a pas ouvert la voie de manière aussi large que pour la consommation).

  • Action de groupe en matière de consommation : si la pollution ou la non-conformité à la réglementation plastique porte atteinte à un grand nombre de consommateurs (ex. commercialisation d’emballages non conformes, tromperie sur la composition), une action de groupe peut être lancée par une association agréée de consommateurs (articles L. 623-1 et s. du Code de la consommation).
  • Initiatives législatives pour élargir l’action de groupe environnementale : plusieurs propositions de loi ont vu le jour, mais sans aboutir à un cadre très large. En l’état, l’action de groupe est encore cantonnée à des hypothèses peu fréquentes en matière de pollution plastique (nécessité d’établir un préjudice individuel pour chaque membre du groupe).

IV. Les recours devant les juridictions européennes

1. La plainte auprès de la Commission européenne

Une association ou un particulier peut adresser une plainte à la Commission européenne lorsque la France ou tout autre État membre n’a pas correctement transposé ou appliqué une directive (par exemple la directive 2019/904/UE sur les plastiques à usage unique).

  • La Commission peut alors ouvrir une procédure d’infraction contre l’État concerné (articles 258 et 260 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).
  • Efficacité : potentiellement dissuasive, puisqu’une condamnation de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) peut entraîner des sanctions financières. Toutefois, la procédure est longue et dépend du bon vouloir de la Commission.

2. Le recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

  • Les associations n’ont pas un accès direct à la CJUE aussi large que les institutions ou les États membres. Cependant, un juge national peut saisir la CJUE par le biais d’une question préjudicielle (article 267 TFUE) s’il existe un doute sur l’interprétation de la directive « plastiques » ou de son application.
  • Efficacité : la CJUE rend des arrêts d’interprétation contraignants, ce qui peut obliger les États à réviser leur législation ou leur pratique administrative.

Conclusion : Quel degré d’efficacité ?

  1. Poids croissant du contentieux environnemental Les contentieux climatiques et environnementaux se multiplient ces dernières années, sous l’impulsion d’associations de défense de l’environnement de plus en plus structurées. Les juges (administratifs, civils, parfois pénaux) montrent une sensibilité accrue à ces problématiques.

  2. Effet dissuasif et pédagogique Les actions en justice, qu’elles soient administratives, civiles ou pénales, ont un effet dissuasif pour les acteurs économiques. Elles encouragent des pratiques plus vertueuses et incitent les pouvoirs publics à une mise en conformité plus rapide et plus stricte.

  3. Limitations et contraintes

    • Les délais de procédure peuvent être longs, nécessitant des moyens humains et financiers importants (expertises, avocats spécialisés, etc.).
    • En droit civil, il faut prouver le préjudice et la causalité, ce qui n’est pas toujours aisé dans les affaires de pollution diffuse.
    • L’action de groupe environnementale n’est pas pleinement opérationnelle en France, contrairement à d’autres pays.
  4. Perspectives d’évolution

    • Les associations militent pour un élargissement de l’action de groupe à la protection de l’environnement, afin d’impliquer les citoyens et faciliter la reconnaissance de préjudices collectifs.
    • Les juridictions supérieures (Conseil d’État, CJUE) pourraient durcir leur contrôle sur l’application des normes en matière de pollution plastique, renforçant la jurisprudence et créant un socle solide de décisions de référence.

En somme, même si l’échec récent d’un traité mondial montre les difficultés à obtenir des normes internationales ambitieuses, le système juridique français et européen offre une palette d’actions judiciaires qui, correctement exploitées par les associations et les particuliers, peuvent aboutir à des avancées significatives dans la lutte contre la pollution plastique. L’efficacité de ces actions repose autant sur la vigilance juridique (veille législative et réglementaire) que sur la capacité à prouver la violation de la réglementation et les dommages induits par la pollution plastique.