Lorsqu'un site ayant accueilli une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) est cédé, même dans le cadre d'un transfert d'obligation de dépollution à un tiers ou d'une reprise par un nouvel exploitant, le dernier exploitant conserve une responsabilité résiduelle vis-à-vis de l'administration et des tiers. Cette responsabilité, bien que limitée, est encadrée par des dispositions strictes du Code de l'environnement.


1. Fondement juridique de la responsabilité résiduelle

La responsabilité du dernier exploitant est ancrée dans le principe pollueur-payeur, tel qu'énoncé à l'article L. 110-1 II 3° du Code de l'environnement, et dans les dispositions spécifiques relatives aux ICPE (articles L. 512-6-1 et L. 512-21).

Même après la cessation d'activité et la réalisation des travaux de réhabilitation ou de dépollution, l'exploitant reste juridiquement responsable pour les pollutions ou risques environnementaux découlant de son exploitation. Cette responsabilité s’applique dans deux cas principaux :

  • Lorsque les obligations de remise en état n’ont pas été respectées.
  • Lorsque des pollutions ou nuisances, non identifiées lors de la cessation d'activité, se manifestent ultérieurement.

2. Étendue de la responsabilité résiduelle

a. Responsabilité envers l'administration

Le dernier exploitant reste responsable pendant 30 ans après la cessation d’activité (article L. 512-6-1 du Code de l’environnement), même si un tiers a pris en charge la dépollution. Ce délai permet à l’administration de se retourner contre l’exploitant en cas de manquements ou de découvertes ultérieures :

  • Non-conformité des travaux de dépollution : Si les travaux de réhabilitation ne respectent pas les prescriptions fixées par l’arrêté préfectoral, l’exploitant peut être tenu d’intervenir à nouveau.
  • Découverte de pollutions résiduelles : Si des pollutions sont détectées après les travaux de dépollution, l'administration peut exiger une intervention corrective.

b. Responsabilité envers les tiers

Le dernier exploitant peut également voir sa responsabilité civile engagée à l’égard des tiers (nouveaux propriétaires ou riverains) pour des dommages environnementaux ou sanitaires causés par les pollutions résiduelles. Cette responsabilité repose sur les articles 1246 et suivants du Code civil, relatifs à la réparation du préjudice écologique.

Exemple : Si une pollution des eaux souterraines affectant les riverains est découverte plusieurs années après la cession du site, le dernier exploitant peut être tenu de financer les mesures correctives ou de verser des indemnisations.


3. Limites et transfert de responsabilité

a. Transfert partiel de responsabilité

Le transfert de la responsabilité de dépollution à un tiers, comme prévu par l’article L. 512-21 du Code de l’environnement, ne décharge pas entièrement le dernier exploitant :

  • Le tiers (souvent un aménageur ou un nouvel exploitant) assume les obligations de dépollution en vertu de la convention passée avec l'administration.
  • Cependant, en cas de défaillance du tiers, l'administration peut se retourner contre le dernier exploitant, en raison de son rôle initial dans la pollution.

b. Garanties financières exigées

Pour limiter les risques pesant sur l’administration et les tiers, le dernier exploitant doit fournir des garanties financières lors de la cessation d’activité. Ces garanties, prévues à l’article R. 512-66-1, visent à couvrir :

  • Les coûts des travaux de dépollution non réalisés.
  • Les éventuelles interventions d’urgence en cas de découverte de nouvelles pollutions.

c. Clauses contractuelles dans les cessions

Dans les contrats de cession de site, il est fréquent d’intégrer des clauses de "garantie de passif environnemental" ou des "clauses d’exclusion de responsabilité". Ces clauses permettent de répartir les responsabilités entre le cédant (dernier exploitant) et le cessionnaire, mais elles ne lient pas l'administration ni les tiers.


4. Exemples jurisprudentiels illustrant la responsabilité résiduelle

La jurisprudence illustre régulièrement le maintien de la responsabilité résiduelle du dernier exploitant, notamment :

  • CE, 10 février 2016, n° 372624 : Le Conseil d’État a rappelé que la responsabilité du dernier exploitant peut être engagée pour des pollutions historiques, même après un transfert des obligations de dépollution, si les travaux réalisés étaient insuffisants ou inappropriés.

5. Mesures pour limiter la responsabilité résiduelle

Pour limiter les risques liés à cette responsabilité, les derniers exploitants peuvent adopter plusieurs stratégies :

  1. Anticiper la dépollution : Réaliser des études approfondies pour identifier toutes les sources de pollution avant la cessation d'activité.
  2. Collaborer avec des tiers fiables : Sélectionner des tiers (aménageurs, nouveaux exploitants) disposant de garanties financières solides et d’une expertise avérée.
  3. Négocier des clauses contractuelles protectrices : Intégrer des clauses limitatives de responsabilité ou des garanties d’exécution dans les contrats de cession.
  4. Recourir à l’obligation réelle environnementale (ORE) : Inscrire dans le contrat des engagements sur le long terme pour répartir équitablement les obligations entre les propriétaires successifs.
  5. Fournir des garanties financières solides : Garantir à l’administration que les fonds nécessaires à la dépollution resteront disponibles, même après la cessation d’activité.

Conclusion

La responsabilité résiduelle qui pèse sur le dernier exploitant en matière de dépollution constitue un mécanisme de sécurité visant à éviter que les coûts liés aux pollutions historiques ne soient transférés à la collectivité. Bien que les récents outils juridiques, comme l’ORE et les garanties financières, permettent de sécuriser les opérations de cession et de réhabilitation, les derniers exploitants doivent rester vigilants et proactifs dans leur gestion des obligations environnementales. Une anticipation des risques et une rédaction rigoureuse des clauses contractuelles sont essentielles pour limiter leur exposition à cette responsabilité.