La décision rendue le 21 mai 2025 par le tribunal administratif de Nice concernant un permis de construire à Spéracèdes illustre avec force la manière dont les juridictions administratives utilisent les outils du droit de l’urbanisme pour contrôler l’urbanisation diffuse.

Le projet en cause semblait modeste : deux bâtiments, huit logements et vingt-quatre places de stationnement sur une oliveraie du chemin de Saint-Antoine. Mais le site était sensible : en limite d’un bois classé, situé sur un corridor écologique et en zone de montagne.

Saisie par l’ASPIC (Association spéracèdoise pour l’information des citoyens), la juridiction a prononcé une annulation totale du permis, en mobilisant principalement la règle de non-discontinuité de l’urbanisation en zone montagne(article L. 122-5 du code de l’urbanisme), tout en relevant les atteintes aux protections environnementales locales et l’artificialisation excessive du sol.

Ce jugement, qui fait écho à une annulation prononcée dès 2020 dans l’affaire du Clos des Rouvres, dépasse le cas d’espèce : il souligne les contradictions persistantes entre documents locaux d’urbanisme, instruction administrative des permis et exigences légales de protection, dans un contexte marqué par la pression immobilière et l’objectif de zéro artificialisation nette.

On peut analyser la décision à travers deux angles complémentaires :

I. un contrôle strict du juge sur les protections locales et la règle de non-discontinuité en zone montagne II. une illustration des tensions entre politiques de logement, objectifs ZAN et cohérence administrative


I. un contrôle strict du juge sur les protections locales et la règle de non-discontinuité

1. La protection des espaces identifiés au PLU Le tribunal a rappelé que la parcelle était attenante à un bois classé et située sur un itinéraire écologique. Ces protections, inscrites dans le PLU, ne peuvent être neutralisées par l’octroi d’un permis : toute construction qui les compromet directement est illégale.

2. La règle de non-discontinuité de l’urbanisation en zone montagne C’est l’« argument massue » retenu par le juge. La loi Montagne impose que toute nouvelle urbanisation s’inscrive en continuité avec les bourgs et villages existants. Le projet, isolé dans une oliveraie, constituait une forme de mitage, même s’il était proche du village. La juridiction a donc jugé que le permis méconnaissait les dispositions impératives de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme, justifiant une annulation totale.

3. La résonance avec une affaire antérieure L’ASPIC rappelle qu’un raisonnement identique avait conduit, en 2020, à l’annulation d’un autre projet immobilier de 22 logements (« Clos des Rouvres ») implanté dans un bois de chênes. Cette continuité jurisprudentielle montre que le juge niçois s’inscrit dans une ligne de vigilance constante face aux risques d’urbanisation diffuse.


II. les tensions entre politiques locales, artificialisation et cohérence administrative

1. La problématique de l’artificialisation Au-delà du droit applicable, le débat est porté sur le terrain politique : selon l’association, près de 2 hectares d’espaces naturels et forestiers ont déjà été consommés depuis 2021, soit l’équivalent du quota autorisé pour toute la décennie 2021-2030 (Enaf). Ce chiffre met en lumière l’incohérence d’un urbanisme local « non raisonné », où chaque opération peut paraître mineure mais s’ajoute à un cumul irréversible.

2. Les contradictions administratives Le maire de Spéracèdes souligne une contradiction : le PLU en vigueur autorisait la construction, l’agglomération du Pays de Grasse a instruit le permis en le jugeant conforme, mais le tribunal administratif l’annule. Cette situation révèle la complexité du contrôle : un projet peut être conforme aux documents locaux, tout en étant contraire à des normes législatives supérieures. De surcroît, la commune n’a pas défendu son propre permis : l’absence de mémoire en défense a laissé le promoteur seul face aux requérants, ce qui interroge sur la stratégie municipale et la répartition des responsabilités.

3. La perspective de révision du PLU La présidente de l’ASPIC rappelle enfin que la modification n° 1 du PLU, adoptée en 2025, vise précisément à renforcer la protection du patrimoine naturel. L’affaire illustre donc aussi un moment de transition : le droit local se met à jour, mais trop tard pour sécuriser ce type de projets.


conclusion

Ce jugement illustre avec clarté les tensions inhérentes au droit de l’urbanisme :

  • les communes cherchent à répondre à la demande de logements,

  • mais les juridictions rappellent que la loi Montagne, les protections écologiques locales et l’objectif de lutte contre l’artificialisation imposent des limites strictes.

L’affaire de Spéracèdes souligne que, dans les zones sensibles, chaque permis est susceptible de devenir un contentieux emblématique, où associations et riverains trouvent un appui solide dans la jurisprudence.

En arrière-plan, c’est une question politique qui demeure : à qui profite le doute ? Aux communes qui veulent construire, ou aux espaces naturels que la loi cherche à préserver ?