Depuis la réforme du code de commerce en 2019, puis la loi du 30 mars 2023, la rupture brutale d’une relation commerciale est encadrée par un texte simplifié : l’article L. 442-1, II.
Ce texte impose qu’avant de mettre fin à une relation économique durable, il faut respecter un préavis écrit suffisant.
Mais la grande nouveauté, confirmée par plusieurs décisions récentes de la cour d’appel de Paris (27 septembre 2023 et 11 septembre 2024), c’est que la loi protège désormais toutes les relations d’affaires régulières, même sans contrat formel.
Autrement dit, il ne s’agit plus d’un dispositif réservé aux relations commerciales classiques entre sociétés : toute activité économique suivie et stable peut être concernée.
1. La loi s’applique à toutes les relations économiques, pas seulement aux contrats
La cour d’appel de Paris l’a rappelé très clairement :
« La relation, notion propre au droit des pratiques restrictives de concurrence, n’implique aucun contrat et n’est soumise à aucun formalisme. »
En pratique, cela veut dire qu’une relation commerciale peut exister :
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même sans contrat écrit ;
-
dès lors qu’il y a des échanges réguliers (commandes, prestations, livraisons, factures) ;
-
et que l’un des partenaires pouvait raisonnablement penser que la collaboration allait continuer.
Exemple concret :
Une entreprise de transport qui travaille depuis plusieurs années avec le même client, sans contrat mais avec des commandes mensuelles, est protégée par la loi.
Si le client cesse brutalement de lui confier des missions, sans préavis ni explication, il engage sa responsabilité.
➡ Ce qu’il faut retenir :
Le droit ne protège pas seulement le contrat signé, mais la relation économique réelle.
C’est la stabilité et la confiance dans la durée qui comptent.
2. Une relation commerciale, au sens large
La notion de “relation commerciale” est également entendue très largement.
Elle ne concerne pas uniquement les échanges entre commerçants :
« Sa nature commerciale est entendue plus largement que la commercialité des articles L. 110-1 et suivants du code de commerce. »
En clair, cela peut viser :
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des fournitures de produits,
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des prestations de service,
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des coopérations récurrentes,
qu’elles soient conclues entre sociétés, associations, professions libérales, voire établissements publics à caractère économique.
➡ Ce qu’il faut retenir :
Le texte s’applique à toute activité économique durable, même si elle n’est pas strictement “commerciale”.
Il protège la fidélité économique, plus que la “commercialité” au sens juridique.
3. La durée du préavis : une règle plus claire et prévisible
Le nouvel article L. 442-1, II impose un préavis écrit qui tienne compte :
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de la durée de la relation,
-
des usages du secteur,
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et désormais, des conditions économiques du marché.
Depuis 2023, une règle simple s’applique :
Si le préavis est d’au moins 18 mois, l’auteur de la rupture ne peut plus être poursuivi pour rupture brutale.
Cette limite fixe un cadre clair :
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moins de 18 mois, le juge peut estimer que la durée est insuffisante selon le cas ;
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18 mois ou plus, la rupture est juridiquement sécurisée.
➡ En pratique :
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Les entreprises doivent anticiper leurs ruptures et prévoir un préavis raisonnable.
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Un délai trop court peut coûter cher (perte de marge, indemnisation du partenaire évincé, etc.).
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Mieux vaut un préavis écrit, progressif et justifié par des raisons économiques (baisse d’activité, changement de stratégie, etc.).
4. La date de la rupture détermine la loi applicable
Autre point précisé par la cour d’appel de Paris (27 septembre 2023) :
les nouvelles règles ne s’appliquent qu’aux ruptures intervenues après le 26 avril 2019 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance).
Cela signifie que :
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si la rupture a eu lieu avant cette date, l’ancien texte (L. 442-6, I, 5°) s’applique ;
-
si elle est postérieure, c’est le nouveau régime (L. 442-1, II).
➡ Conseil pratique :
Pour tout dossier en cours, il est essentiel de dater précisément la notification de la rupture, car cela détermine le texte applicable.
5. Ce que cela change pour les entreprises
Pour le partenaire qui rompt la relation :
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Toujours notifier la rupture par écrit (courrier ou mail formel).
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Respecter un préavis proportionné à la durée de la collaboration.
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Être en mesure de justifier la décision (motifs économiques, restructuration, etc.).
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Anticiper les conséquences sur le partenaire pour éviter toute désorganisation brutale.
Pour le partenaire qui subit la rupture :
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Conserver toutes les preuves de la régularité de la relation (bons de commande, factures, courriels).
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Réagir rapidement en cas de rupture sans préavis : une action en réparation est possible.
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Documenter le préjudice subi (perte de marge, désorganisation, salariés inoccupés, etc.).
Conclusion – Un droit de la prévisibilité plus qu’un droit du contrat
Le nouveau cadre de la rupture brutale des relations commerciales marque un tournant :
il ne protège plus seulement le partenaire lié par contrat, mais toute relation économique stable.
Les juges privilégient désormais la réalité économique plutôt que le formalisme.
Ce qui compte, c’est la loyauté dans la manière de rompre, non la nature du lien juridique.
➡ Pour les entreprises, cela impose une discipline simple :
prévoir, écrire, expliquer.
C’est le meilleur moyen d’éviter un contentieux et de préserver une réputation de partenaire fiable et loyal.
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