Prologue.
Au cap d’Antibes, une parcelle de 3 695 m², classée UDe et insérée dans le périmètre du site patrimonial remarquable (SPR), avait été frappée, par l’empilement de règles du PLU et du SPR, d’une interdiction totale de construire. Deux propriétaires ont demandé l’abrogation de ces dispositions « zéro construction » ; un adjoint au maire l’a refusée. Saisi, le juge d’appel annule ce refus et enjoint d’inscrire à l’ordre du jour du conseil municipal l’abrogation en tant que ces règles font obstacle à toute construction, remettant au centre du jeu la proportionnalité des protections (C. urb., L. 151-19 et L. 151-23 ; C. patr., L. 631-1 ; C. env., L. 371-1), et rappelant les règles de compétence communale (CGCT, L. 2121-9, L. 2121-10, L. 2122-18).


I. la thèse des propriétaires : une protection absolue vidant la zone urbaine de sa substance

Le plaidoyer des propriétaires se déploie en deux temps.

1. L’irrégularité de la main qui signe.
Refuser d’inscrire à l’ordre du jour du conseil une abrogation du PLU/SPR relève du maire, non d’un adjoint dépourvu de délégation ad hoc (CGCT, L. 2121-10 et L. 2122-18). L’illégalité incompétence entache donc la décision initiale.

2. Le fond : l’excès de la « protection zéro ».
Au regard des textes, le règlement du PLU peut protéger et mettre en valeur des éléments de paysage (L. 151-19) et, pour motifs écologiques, localiser des espaces nécessaires aux continuités écologiques (L. 151-23), allant jusqu’à l’inconstructibilité lorsque c’est le seul moyen d’atteindre l’objectif. Or, soutiennent-elles, la parcelle est urbaine, entourée de villas ; elle n’est ni réservoir ni corridor au sens de la trame verte (L. 371-1 C. env.) ; le SPR la situe en zone GC (sensibilité moyenne) ; et la zone UDe limite déjà l’emprise au sol à 15 %. L’interdiction absolue serait donc disproportionnée, méconnaissant le standard rappelé par la jurisprudence : on ne protège pas « mieux » en interdisant tout, lorsque des prescriptions moins radicales peuvent suffire (gabarits, retraits, biotope, palette végétale, avis ABF).


II. la thèse de la mairie : la cohérence du couple PLU/SPR et la respiration verte du cap

La défense municipale assume une logique de planification et de préservation.

1. Le discours de la cohérence.
La parcelle figure comme unité de paysage n° 83 (« jardin des deux villas ») dans les documents du PLU et, en miroir, comme jardin remarquable dans les annexes du SPR (ex-AVAP devenu SPR : C. patr., L. 631-1 et loi du 7-7-2016). Les cartes graphiques identifient des « jardins à créer ou à protéger » par référence expresse à L. 151-23 ; le préambule des annexes enjoint de les « préserver de toute urbanisation ». Le continuum de milieux ouverts au cap d’Antibes justifierait la zéro constructibilité.

2. La marge d’appréciation locale.
Le PLU est l’outil de la mise en forme du territoire. Dans un site d’exception, la commune revendique une marge d’appréciation pour maintenir des respirations paysagères ; la superposition PLU/SPR serait la traduction normative d’un intérêt général constant : l’esthétique, l’histoire et l’écologie du cap.


III. la décision de la CAA : double ciseaux, compétence et proportionnalité

La Cour tranche avec une rigueur sobre.

1. Le ciseau externe : la compétence.
Par combinaison de R. 153-19 C. urb. (l’abrogation relève du conseil) et de L. 2121-10 CGCT (l’ordre du jour relève du maire), la Cour juge que seul le maire peut refuser d’inscrire une telle abrogation ; un adjoint, sans délégation expresse, ne le peut. Incompétence confirmée.

2. Le ciseau interne : la proportionnalité comme pierre angulaire.
La Cour rappelle le standard : localisation, délimitation et prescriptions doivent être proportionnées ; l’interdiction de toute construction n’est licite que si elle est le seul moyen d’atteindre l’objectif (pt. 7). Appliqué aux faits :
– parcelle UDe, en secteur entièrement urbanisé, non boisée et en friche ;
– zone GC du SPR (sensibilité moyenne) ;
– documents du PLU/SPR ne l’identifient ni comme réservoir ni comme corridor ;
– l’expertise versée par les propriétaires, bien qu’unilatérale, est prise en compte comme élément d’information et non utilement contredite ;
– l’existence d’alternatives moins restrictives n’est pas discutée par la commune (les garde-fous du droit commun existent déjà : emprise 15 %, contrôle de l’ABF en SPR).

Conclusion : disproportion des prescriptions du PLU/SPR « en tant qu’elles font obstacle à toute construction » (pt. 11). Sur le pouvoir d’injonction, la Cour fait application du couple L. 243-2/L. 911-1 CJA : annulation du refus et injonction d’inscrire à l’ordre du jour l’abrogation ciblée, dans un délai de quatre mois (pt. 15). Rien de plus, rien de moins : la Cour retire l’excès, elle ne fabrique pas un droit automatique à bâtir.


conclusion – les échappatoires (légales) de la commune pour protéger réellement le secteur

La défaite n’interdit pas la protection ; elle proscrit seulement la paresse normative. Quatre issues solides s’offrent à la mairie.

1. réécrire une protection proportionnée et démontrée
Abroger seulement l’« interdiction totale » sur la parcelle CL 288, puis remplacer par des prescriptions de résultat fondées sur L. 151-19 et L. 151-23 :
– plafonds de gabarit (hauteur/volumétrie), retraits paysagers, coefficients de pleine terre et de biotope ;
– palette végétale locale, perméabilité des sols, transparence des clôtures ;
– préservation de cônes de vue identifiés et annexés aux documents graphiques.
Le tout motivé par des cartes, photomontages et une note méthodologique jointe.

2. mobiliser le filtre patrimonial
Actualiser le règlement et le cahier de prescriptions du SPR, et s’appuyer explicitement sur l’accord de l’ABF (C. patr., L. 632-2) comme garde-fou qualitatif : insertion, matériaux, teintes, toitures, lumière nocturne. L’ABF n’est pas une formalité, c’est un verrou de qualité.

3. prouver l’écologie plutôt que l’invoquer
Commander une contre-expertise naturaliste/paysagère contradictoire : protocole public, saisons pertinentes, espèces cibles, continuités. Si des enjeux avérés ressortent (noyaux, corridors), calibrer des mesures d’évitement/réduction/compensation opposables. À défaut, ne pas surclasser la sensibilité.

4. sanctuariser par des moyens assumés
Si l’objectif politique est de maintenir l’espace vert, employer les outils adéquats :
– emplacement réservé “espace vert public” assorti d’un DPU et, si nécessaire, acquisition (la protection coûte, c’est sa vérité) ;
– à défaut, servitude conventionnelle de non-aedificandi (indemnisée) avec plan de gestion.
Éviter les classements d’EBC sans boisement réel : fragiles et aisément contestables.

En un mot : l’arrêt n’ouvre pas la porte à n’importe quoi, il referme celle de l’interdiction paresseuse. La commune peut encore protéger – mais par des règles fines, motivées et proportionnées, et, lorsque la protection absolue est voulue, par des choix assumés : expertise, acquisition, ou servitude. C’est le prix d’un droit de l’urbanisme crédible.