Par une décision du 26 juin 2019 (n°417386), le Conseil d’État indique dans quelles conditions des recettes perçues par un cocontractant de l’administration peuvent être considérées comme une gestion de fait.

Faits :

La mairie du 4ème arrondissement de Paris avait mis à disposition d’une association une salle polyvalente, contre versement d’une redevance. Cette association avait à une trentaine de reprises sous-loué cette salle à des tiers aussi contre rémunération. La chambre régionale des comptes d’Ile de France s’est saisie du dossier et a considéré, par un jugement de 14 octobre 2016 que ces faits caractérisaient une gestion de fait, mais avait conclu au défaut d’intérêt pratique d’en juger les responsables comptables de fait.

La Cour des comptes s’était saisie de ce dossier et avait infirmer le jugement de la chambre régionale sur le dernier point. C’est contre cet arrête que deux requérants se sont pourvus.

Question de droit :

Les recettes perçues par une association au titre de la sous-location du domaine public doivent—elles être considérées comme des recettes publiques ?

Considérant de principe :

« 4. Pour déterminer si les recettes perçues par un cocontractant de l'administration sont susceptibles de caractériser une gestion de fait, il appartient au juge des comptes de rechercher si, au regard de l'objet du contrat et de l'action du cocontractant, les recettes que ce dernier perçoit peuvent recevoir la qualification de recettes publiques. Tel est le cas lorsque l'administration a entendu confier à un organisme public ou privé l'encaissement de produits ou de revenus correspondant à la fourniture d'un bien ou d'un service par l'administration elle-même, un tel encaissement ne pouvant alors être organisé que dans les conditions prévues par la loi. En revanche, ne peuvent être qualifiées de recettes publiques les sommes correspondant au produit que le cocontractant tire de son activité propre d'exploitation d'un bien ou d'une prestation de services. »

Enseignement n°1 :

On le sait, la gestion de fait est définie par L'article 60-XI de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963, qui dispose que :

« XI - Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés.

Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n'appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d'exécuter en vertu de la réglementation en vigueur.

Les gestions de fait sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent les mêmes obligations et responsabilités que les gestions régulières. Néanmoins, le juge des comptes peut, hors le cas de mauvaise foi ou d'infidélité du comptable de fait, suppléer par des considérations d'équité à l'insuffisance des justifications produites.

Les comptables de fait pourront, dans le cas où ils n'ont pas fait l'objet pour les mêmes opérations des poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l'article 433-12 du Code pénal, être condamnés aux amendes prévues par la loi. »

Il s’évince donc de cette définition que la gestion de fait résulte de la perception de recettes destinées ou affectées à un organisme en lieu et place du comptable public compétent. Il est de jurisprudence constante que - exception faite des régies, des mandats et cas autorisés par la loi- les collectivités publiques et leurs groupements ne peuvent faire exécuter leurs recettes par un tiers (CE avis, 13 février 2007, n°373788). Dès lors que l’organisme ne disposera pas de mandat ou de titre pour encaisser les recettes, la perception de ces dernières sera considérée comme une gestion de fait (CE, 12 juin 1991, Epoux Sitbon, n°77590).

Enseignement n°2 :

Concernant la nature des recettes, il est de jurisprudence constante que celles qui sont de nature domaniale sont considérées comme des recettes devant être affectées à un comptable public (C. comptes 21 mars 1996, Musée Rodin, Rev. Trésor 1997. 118).

En termes de sanctions, la gestion de fait peut avoir des conséquences très importantes. En premier lieu, la personne sanctionnée peut être condamnée à une amende calculée sur le montant et la durée de détention ou de maniement des deniers publics. En second lieu, la gestion de fait est réprimée par les dispositions de l’article 433-12 du code pénal.

Enseignement n°3 :

En l’espèce, si le juge financier avait estimé que les recettes perçues par l’association étaient des recettes publiques, le Conseil d’État rappelle les termes de la jurisprudence « Société Prest’Action » (CE, 6 novembre 2006, n°297877) et en conclut que les recettes en cause sont tirées de l’activité de l’association. A ce titre, ces recettes ne pouvaient être considérées comme des recettes publiques, partant il annule la décision de la Cour des comptes.