Le Conseil d’État, dans un arrêt du 28 juin 2019 (n°416735), indique qu’un constructeur qui manque à ses obligations contractuelles n’engage sa responsabilité trentenaire que si sa faute n’est pas assimilable à une fraude ou à un dol.

Faits :

Le groupement d'intérêt public (GIP) Vitalys a conclu en janvier 2000 un marché public avec la société SCIC Développement, devenue Icade Promotion, pour la construction d'une unité centrale de production culinaire sur le territoire de la commune de Pluguffan (Finistère). En raison de désordres affectant les revêtements des sols de la construction, le GIP a saisi le juge administratif sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, ou à défaut sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou un dol. La cour administrative d'appel de Nantes a cependant jugé que le manquement de la société Lucas Gueguen à ses obligations contractuelles ne constituait pas une faute assimilable à une fraude ou à un dol.

Icade se pourvoit en cassation

Question de droit :

Dans quelle condition la faute de l’entrepreneur peut-elle considérée comme une fraude ou un dol ?

Considérant de principe :

«Si la société Icade Promotion soutient que la destination de la centrale culinaire était, contrairement à ce qu'a estimé la cour, durablement compromise compte tenu de la gravité des désordres résultant de l'utilisation de cette colle inadaptée, cette seule circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser une faute assimilable à une fraude ou à un dol du constructeur en l'absence de violation intentionnelle, par ce dernier, de ses obligations contractuelles. Il résulte de ce qui précède que la cour n'a pas procédé à une qualification juridique inexacte des faits qui lui étaient soumis en estimant que le manquement de la société Lucas Gueguen à ses obligations contractuelles ne constituait pas une faute assimilable à une fraude ou à un dol. »

Enseignement n°1 :

Il est relativement rare que la responsabilité d’un constructeur puisse être recherchée au-delà du délai de la garantie décennale. Toutefois, dans certaines circonstances, le juge judiciaire et administratif reconnait cette possibilité.

L’engagement de cette responsabilité trentenaire ne peut se fonder que sur la faute dolosive dont le régime juridique est distinct de celui de la responsabilité décennale ou de la théorie des vices intermédiaires.

La Cour de cassation a déjà consacré ce principe (Civ.3e, 12 juill. 2018, FS-P+B+I, n° 17-20.627). Dans un autre arrêt du 2 juillet 2018 (Civ. 3ème, 12 Juillet 2018, n° 17-20627), la Cour de cassation sanctionne le constructeur d’avoir gardé le silence au moment de la remise des clefs de l’habitation au Maître d’ouvrage, alors même qu’il ne pouvait ignorer que la structure ne pouvait correspondre aux projets de celui-ci. La faute dolosive est ainsi consacrée mais a nécessité un effort probatoire plus important.

Enseignement n°2 :

En droit administratif, le juge a aussi eu l’occasion de faire application de cette théorie par un arrêt du 26 novembre 2017 (n°266423). Dans cette décision, le Conseil d’État indique :

« Considérant que l’expiration du délai de l’action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu’ils peuvent encourir, en cas de fraude ou de dol dans l’exécution de leur contrat et qui n’est soumise qu’à la prescription qui résulte des principes dont s’inspire l’article 2262 du code civil ; que, même sans intention de nuire, la responsabilité trentenaire des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu’ils puissent en ignorer les conséquences » 

Enseignement n°3 :

La décision que nous commentons n’est donc pas nouvelle mais vient, sans aucun doute, rappeler que le dol a pour effet d’engager la responsabilité du constructeur au-delà du délai décennal. D’ailleurs, dans cette décision, il rappelle de manière fort opportune que « l'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat, ou bien d'une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences. »