Par une décision du 11 juillet 2019 (aff. C-697/17), la CJUE indique que les dispositions de l’article 28§2, première phrase, de la directive 2014/24/UE ne s’opposent pas à ce qu’un candidat absorbant un autre candidat puisse présenter une offre.

Faits :

Au mois de mai 2016, Infratel a lancé, au nom du ministère du Développement économique, une procédure restreinte aux fins de l’attribution de marchés publics pour la construction, l’entretien et la gestion d’un réseau passif public à bande ultra-large dans les zones dites « blanches » de plusieurs régions d’Italie (Abruzzes, Molise, Émilie-Romagne, Lombardie, Toscane et Vénétie). Cette procédure comportait 5 lots et trois phases. Pour chacun de ces cinq lots, des demandes de participation ont été présentées par Telecom Italia ainsi que, notamment, par Metroweb Sviluppo Srl et par Enel OpEn Fiber SpA (ci-après « OpEn Fiber »). Bien qu’ayant été présélectionnée, Metroweb Sviluppo n’a finalement pas soumis d’offre. Infratel a publié, le 9 janvier 2017, la liste des soumissionnaires admis et, le 24 janvier 2017, le classement provisoire des adjudicataires. OpEn Fiber occupait la première place pour chacun desdits cinq lots, Telecom Italia étant classée en deuxième position, sauf pour le lot no 4, où elle occupait la troisième place.

Cette dernière a demandé communication des documents du marché et a constaté qu’entre phase de présélection et le 17 octobre 2016, date limite de soumission des offres, Enel SpA et Metroweb Italia SpA, sociétés holdings, ont conclu, le 10 octobre 2016, un accord-cadre contraignant qui prévoyait qu’OpEn Fiber acquerrait la totalité des actions de Metroweb SpA, qui détenait Metroweb Sviluppo, cette acquisition entraînant, ainsi, la fusion par absorption de Metroweb SpA et, par conséquent, de Metroweb Sviluppo, par OpEn Fiber. En application de cet accord-cadre, l’absorption de Metroweb Sviluppo par OpEn Fiber a été décidée le 23 janvier 2017. L’opération de concentration a été notifiée à la Commission européenne, qui ne s’est pas opposée.

Telecom Italia a contesté l’adjudication des cinq lots concernés par cinq recours introduits devant le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie), lequel les a tous rejetés. Par la suite, Telecom Italia a interjeté appel des décisions ainsi rendues par cette juridiction devant le Consiglio di Stato.

C’est dans ces conditions que le Conseil d’État italien saisit la CJUE pour lui poser la question préjudicielle suivante :

« Convient-il d’interpréter l’article 28, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2014/24 en ce sens qu’il impose une totale identité juridique et économique entre les opérateurs présélectionnés et ceux qui présentent les offres dans le cadre de la procédure restreinte et convient-il, en particulier, d’interpréter cette disposition en ce sens qu’elle s’oppose à un accord conclu entre les sociétés holdings qui contrôlent deux opérateurs présélectionnés à un moment compris entre la présélection et la présentation des offres, lorsque : a) cet accord a pour objet et pour effet (entre autres) la réalisation d’une fusion par absorption d’une des entreprises présélectionnées dans une autre (opération par ailleurs autorisée par la Commission) ; b) les effets de l’opération de fusion se sont produits après la présentation de l’offre par l’entreprise absorbante (raison pour laquelle, au moment de la présentation de l’offre, sa composition était inchangée par rapport à celle existant au moment de la présélection) ; c) l’entreprise ensuite absorbée (dont la composition était inchangée à la date d’échéance du délai pour la présentation des offres) a en tout état de cause renoncé à participer à la procédure restreinte, probablement en exécution du programme contractuel prévu par l’accord conclu entre les sociétés holdings ? »

Considérant de principe :

« Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 28, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, eu égard à l’exigence d’identité juridique et matérielle entre les opérateurs économiques présélectionnés et ceux qui présentent les offres, il ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’une procédure restreinte d’attribution d’un marché public, un candidat présélectionné qui s’engage à absorber un autre candidat présélectionné, en vertu d’un accord de fusion conclu entre la phase de présélection et celle de présentation des offres et exécuté après cette phase de présentation, puisse présenter une offre. »

Enseignement n°1 :

Dans un premier temps, la CJUE rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences d’un tel changement (arrêt du 24 mai 2016, MT Højgaard et Züblin, C‑396/14) non pas au regard de la directive de 2014 mais, c’était au regard des dispositions de la directive 2004/17).

Dans cet arrêt, la CJUE avait déjà énoncé «  qu’une entité adjudicatrice ne viole pas ce principe lorsqu’elle autorise l’un des deux opérateurs économiques qui faisaient partie d’un groupement d’entreprises ayant été, en tant que tel, invité à soumissionner par cette entité à se substituer à ce groupement à la suite de la dissolution de celui‑ci et à participer, en son nom propre, à une procédure négociée d’attribution d’un marché public, pourvu qu’il soit établi, d’une part, que cet opérateur économique satisfait seul aux exigences définies par ladite entité et, d’autre part, que la continuation de sa participation à ladite procédure n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires. »

Enseignement n°2 :

Dans un second temps, la CJUE explique que cette lecture trouve son fondement dans l’article 28§2 de la directive 2014/24 qui indique que :

« seuls les opérateurs économiques invités à le faire par le pouvoir adjudicateur à la suite de l’évaluation par celui-ci des informations fournies peuvent soumettre une offre »

Toutefois, comme l’annonce l’arrêt du 24 mai 2016, une modification de la personnalité juridique n’est pas de nature à empêcher la poursuite de la procédure si les conditions établies par la Cour étaient respectées.

Enseignement n°3 :

Enfin, la CJUE indique que, en l’espèce, l’opération d’absorption était parfaitement légale et la Commission a choisi de ne pas s’y opposer. En conséquence, rien n’empêche une société ayant absorbé un autre candidat présélectionné puisse présenter une offre pour cette procédure.