Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Emmanuel Macron, une réaction en chaine s’est enclenchée avec la publication d’un décret qui définit les modalités des futures élections législatives Après un bref rappel des précédentes dissolutions sous la Ve République, nous reviendrons sur les fondements constitutionnels de cette procédure, les modalités des élections à venir et les éventuels recours dont elles pourraient faire l’objetEnfin, nous évoquerons les conséquences institutionnelles qui résultent de cette dissolution

Prenant acte des résultats des élections européennes qui ont vu le Rassemblement national arriver largement en tête devant le parti présidentiel (31,37 % RN, 14,6 % Renaissance), le président de la République Emmanuel Macron a décidé, le 9 juin dernier, de dissoudre l' Assemblée nationale .

 

Ce mécanisme institutionnel, classique dans les régimes parlementaires contemporains, est un instrument mis à la disposition du pouvoir exécutif pour contrebalancer la motion de censure qui permet aux députés de renverser le Gouvernement. La dissolution peut être définie comme « l'acte juridique par lequel [le président de la République] met fin par anticipation à l'ensemble des mandats des membres d'une assemblée parlementaire pour des motifs politiques » (J. Padovani, P. Jensel-Monge, « Dissolution », in Dictionnaire encyclopédique du Parlement, Larcier-Bruylant, p. 413). Ce dernier point doit être souligné dans la mesure où le Président n'a pas à justifier sa décision sur le fondement d'arguments juridiques . Il pourra déclencher cette procédure au moment qu'il estimera le plus opportun.

 

Rétrospectivement, la procédure de dissolution a été déclenchée à cinq reprises sous la Ve République :

 

• Le 9 octobre 1962, le Général de Gaulle a dissous l' Assemblée nationale à la suite d'une motion de censure qui avait poussé le Premier ministre Georges Pompidou et son gouvernement à démissionner ;

 

• Le 30 mai 1968, l' Assemblée nationale a été à nouveau dissoute à l'initiative du Général de Gaulle en réponse aux événements survenus en 1968 et à la crise politique qui en a résulté ;

 

• Le 22 mai 1981, à la suite de son élection à la présidence de la République, François Mitterrand a décidé de dissoudre l' Assemblée nationale afin d'obtenir une majorité de députés ;

 

• Le 14 mai 1988, François Mitterrand use à nouveau de la dissolution à la suite de son élection dans l'optique d'obtenir une majorité favorable à l' Assemblée nationale .

 

• Le 21 avril 1997, Jacques Chirac a mis en œuvre la procédure de l'article 12 de la Constitution, préférant anticiper sur les élections législatives de 1998. Cette stratégie s'est néanmoins soldée par un échec, puisqu'une majorité de députés de gauche a finalement été élue.

 

S'il n'est pas possible de dresser une typologie des dissolutions à proprement parler, deux tendances semblent se dégager de ces cinq expériences : la dissolution est employée soit en réponse à une crise politique (1962 et 1968), soit en vue d'obtenir ou de réaffirmer une majorité favorable pour le camp présidentiel (1981, 1988, 1997). La dissolution du 9 juin dernier semble s'inscrire dans cette deuxième tendance, même si la défaite aux élections européennes n'est assurément pas un contexte politique favorable pour provoquer de nouvelles élections législatives.

 

Après avoir précisé les fondements juridiques de la procédure de dissolution (1), il convient d'aborder les modalités d'organisation des élections législatives à venir (2) et d'envisager les conséquences qui en découleront sur le plan institutionnel (3).

 

1. Les fondements juridiques de la dissolution : une prérogative présidentielle encadrée

L'article 12 de la Constitution relatif à la procédure de dissolution dispose que « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l' Assemblée nationale ». Il s'agit donc d'un pouvoir discrétionnaire du président de la République qu'il « peut » mettre en œuvre. La consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées n'est que formelle et ne contraint en rien le Président. Un décret de dissolution viendra ensuite acter la décision du chef de l'État. Tel est le cas du décret publié au Journal officiel le 10 juin dont le premier article dispose que « l' Assemblée nationale est dissoute ».

 

La question a pu se poser de savoir si ce décret de dissolution pouvait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative dans sa décision n° 88-4 ELEC du 4 juin 1988, en considérant « [qu'] aucune disposition constitutionnelle ne [lui] donne cette compétence ». Le Conseil d'État a également abondé en ce sens dans une décision du 20 février 1989, dans laquelle il estime « qu'il n'appartient pas au Conseil d'État statuant au contentieux de se prononcer sur la légalité des actes relatifs aux rapports entre le Président de la République et l' Assemblée nationale ». Partant, il a rejeté la requête qui tendait à l'annulation du décret du 14 mai 1988 portant dissolution de l' Assemblée nationale (CE, 20 févr. 1989, n° 98538, Allain : JurisData n° 1989-640299 ; Rec. CE 1989, p. 60).

 

Néanmoins, ce pouvoir de dissolution a des limites. Tout d'abord, il ne peut viser que l' Assemblée nationale et jamais le Sénat. Ensuite, aucune dissolution ne pourra être prononcée lorsque l'article 16 de la Constitution qui accorde des pouvoirs exceptionnels au chef de l'État est mis en œuvre ou lorsque le président du Sénat assure l'intérim en cas d'empêchement du Président. Enfin, le dernier alinéa de l'article 12 prévoit une limite temporelle, puisqu'il ne peut y avoir de nouvelle dissolution dans l'année qui suit les élections législatives anticipées. L'article 12 encadre également les délais dans lesquels se dérouleront ces élections : « vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Emmanuel Macron a fait le choix du délai le plus court, comme l'atteste le décret récemment publié qui définit les modalités des élections à venir.

 

2. Les modalités des futures élections législatives : le risque de confondre vitesse et précipitation

Le décret n° 2024 -527 portant convocation des électeurs pour l'élection des députés à l' Assemblée nationale , publié au Journal officiel le 10 juin 2024 et pris dans l'urgence comme le mentionnent les visas, définit les modalités des futures élections législatives. Son article 1er fixe l'organisation du premier tour au 30 juin pour le territoire métropolitain. Par dérogation, les électeurs sont convoqués à aller voter le 29 juin dans les territoires d'outre-mer et dans les bureaux de vote sur le continent américain. L'article 6 poursuit cette logique pour le second tour, fixant respectivement le second tour le 7 juillet en métropole et le 6 juillet dans les territoires précédemment évoqués.

 

Le délai très restreint retenu a pu susciter des interrogations quant à sa conformité avec l'article L. 157 du Code électoral qui impose davantage de temps avant l'organisation de l'élection. Toutefois, le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision du 11 juin 1981 n° 81-1 ELEC que les « dispositions de nature constitutionnelle prévalent nécessairement, en ce qui regarde les délais assignés au déroulement de la campagne électorale et au dépôt des candidatures, sur les dispositions législatives du code électoral, qui d'ailleurs ne concernent point le cas d'élections consécutives à la dissolution de l' Assemblée nationale ». Partant, ce sont les délais prévus par l'article 12 de la Constitution (vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ) qui s'imposent. Or, les trois recours dont a été récemment saisi le Conseil constitutionnel remettent en cause le respect de ces délais. En effet, les requérants estiment que le délai de vingt jours prescrit par la Constitution n'est pas respecté, car, comme évoqué précédemment, le décret prévoit que les élections outre-mer et sur le continent américain auront lieu 29 et non le 30 juin . S'il revient aux juges constitutionnels de trancher cette question, d'autres problématiques s'y ajoutent.

 

Ces délais très courts contraignent également les candidatures et les conditions dans lesquelles va se dérouler la campagne. Romain Rambaud estime à cet égard que « ces dispositions d'urgence seront profitables aux partis organisés et structurés » (R. Rambaud, Élections législatives : le décret de dissolution et le décret de convocation des électeurs publiés au JO ! Vers une campagne en accéléré bénéficiant aux partis préparés et structurés, Blog du droit électoral, 10 juin 2024 ). En effet, l'article 2 du décret prévoit que «les déclarations de candidatures seront reçues par le représentant de l'État à partir du mercredi 12 et jusqu'au dimanche 16 juin 2024 ». Pour le second tour, les déclarations seront déposées à partir de la proclamation des résultats jusqu'au 2 juillet. La campagne électorale qui sera ouverte à partir du lundi 17 juin sera donc, comme le souligne Patrick Lingibé, « la campagne la plus courte de la Ve République » (P. Lingibé, Dissolution de l' Assemblée nationale : quelles conséquences entraîne-t-elle ?, Actu-juridique.fr, 11 juin 2024 ). Par ailleurs, l'Association des maires de France a alerté sur les difficultés matérielles et le manque de personnel pour organiser ces élections législatives dans des conditions satisfaisantes (AMF, communiqué, 10 juin 2024 ). Une telle précipitation ne peut qu'être préjudiciable à la qualité de l'élection.

 

3. Les conséquences de la dissolution : un système institutionnel à l'arrêt

Outre la fin anticipée du mandat des députés, la dissolution de l' Assemblée nationale a pour conséquence de mettre à l'arrêt l'ensemble du système institutionnel. Si cela ne remet pas en cause le mandat des sénateurs, la coutume républicaine veut que le Sénat suspende ses travaux le temps que la nouvelle assemblée soit élue. Les réformes en cours, dont le projet de loi constitutionnelle controversé relatif au corps électoral en Nouvelle-Calédonie qui a déclenché une crise politique majeure, sont donc mises en attente. Pour sa part, le Gouvernement doit se limiter à gérer les affaires courantes jusqu'aux résultats des élections. Cela implique qu'il ne pourra pas entreprendre de réformes ou engager des dépenses importantes. À la suite des élections, le Premier ministre présentera sa démission et celle du Gouvernement. Puis, le président de la République nommera un nouveau Premier ministre et son Gouvernement en vertu de l'article 8 de la Constitution.

 

À cet égard et sans entrer dans d'hasardeuses conjectures sur les résultats des futures élections, il faut envisager l'hypothèse d'une cohabitation, c'est-à-dire la situation dans laquelle la majorité à l' Assemblée nationale ne serait pas du même bord politique que le président de la République. Ce dernier se verrait alors contraint de composer un Gouvernement à l'image de cette majorité. Cette situation s'est déjà produite à trois reprises sous la Ve République (1986-1988 : Mitterrand/Chirac, 1993-1996 : Mitterrand/Balladur, 1997-2002 : Chirac/Jospin).

 

Le recours à la dissolution a, en principe, pour objectif d'assurer ou de renforcer la majorité présidentielle et donc d'éviter les cohabitations. Par cette dissolution , Emmanuel Macron prend le risque de perdre la majorité dont il disposait jusqu'à présent qui, même si elle n'était que relative, ne l'a pas empêché de mener ses réformes depuis le début de son mandat.

 

Par ailleurs, l’autre hypothèse qui peut être envisagée, car elle a marqué l’histoire constitutionnelle de la IIIe et de la IVe République, est l’instabilité gouvernementale qui résulterait d’une absence de majorité claire à l’ Assemblée nationale . En effet, étant responsable politiquement devant le Parlement, le Gouvernement peut être contraint de démissionner par le vote d’une motion de censure d’une majorité de députés. Cette procédure a été souvent déclenchée, mais n’a abouti à la démission d’un Gouvernement qu’une seule fois sous la Ve République, en 1962. Si les conditions de mises en œuvre prévues à l’article 49 de la Constitution sont assez strictes, c’est surtout la présence du fait majoritaire (c’est-à-dire le fait que le président de la République, le Gouvernement et la majorité à l’ Assemblée nationale soient du même bord politique) qui a fait échouer ces tentatives. Or, cette configuration qui était devenue la norme pourrait être remise en cause si le Gouvernement nommé à la suite de l’élection est le reflet de coalitions éphémères et de majorités mouvantes en fonction des réformes.

 

Ainsi, cette dissolution soudaine de l’ Assemblée nationale le 9 juin dernier fait ressurgir plusieurs questions constitutionnelles relatives à l’équilibre des pouvoirs qui semblaient tombées en désuétude.( La Semaine Juridique - Administration et collectivités territoriales n° 24 du 16 juin 2024. Libres propos par Mathias Revon.)