Il s’agit, « à chaud », de faire une première analyse de la jurisprudence de ce matin, arrêt de la Cour de Justice de l’union européenne du 11 septembre 2018, C‐68/17, ECLI:EU:C:2018:696  ayant pour objet une demande de décision préjudicielle introduite par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) 

 

Le principe de Laïcité introduit, en France comme aussi en Belgique et au Portugal, une séparation claire et une absence d’interdépendance entre les activités professionnelles et religieuses (incluant dans un souci d’économie de texte les croyances et les convictions autres que politiques). Ce principe n’appartient à personne sauf aux Peuples qui l’ont reconnu et inscrit dans leurs Constitutions. Il n’est pas idéologique il est pragmatique. Il a l’intérêt d’être clair.

Pour autant ce principe n’existe juridiquement que rarement dans les pays membres de l’Union européenne.

L’Union européenne n’est pas laïque. Elle ne fait pas non plus référence à un Code de droit religieux, quel qu’il soit.

Elle ne fonde pas sa construction et son évolution sur une articulation ou une séparation affirmée et interdépendante entre les activités politiques et les activités religieuses ou les croyances, ni entre les activités professionnelles et les activités religieuses ou les croyances. 

Pour autant elle n’est pas exempte de bases juridiques et jurisprudentielles allant dans le sens de la séparation entre les activités professionnelles et religieuses préférant plutôt la référence à la « neutralité ».

L’Union européenne affirme sa « neutralité » en la matière au travers de l’article 17 du TFUE, de la façon suivante :« L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations. »

« Dialogue » n’est pas participation et encore moins intervention dans le système juridique et la construction législative.

L’article 17 TFUE exprime donc la neutralité de l’Union à l’égard de l’organisation par les États membres de leurs rapports avec les églises et les associations ou communautés religieuses.

Cela est constant ; mais ce n’est pas pour autant de nature à faire échapper à un contrôle juridictionnel effectif le respect des critères qui sont ou seraient énoncés par le droit de l’Union européenne et notamment par l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, points 56 à 58 ; jurisprudence de ce jour point 48.) du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

Par un arrêt de ce jour, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu que dans les établissements religieux employant des salariés pour mener des activités autres que religieuses, les Codes de droit religieux ou les contrats de travail incluant des clauses faisant référence aux dits codes, ne sont pas supérieurs au droit de l’Union européenne et ne peuvent justifier que dans ces lieux ne soit pas appliquées lecadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion  (ou les convictions, l'handicap , l'âge ou l'orientation sexuelle) en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vue de mettre en oeuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité de traitement, même si ce cadre est adapté.

Cet arrêt est important car la directive 2000/78 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail  prévoit que dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu'une caractéristique liée à la religion (ou aux convictions, à un handicap, à l'âge ou à l'orientation sexuelle) constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. 

Ces circonstances doivent être mentionnées dans les informations fournies par les États membres à la Commission.Les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour exercer une activité professionnelle, mais la Cour de Justice rappelle que ce droit n’est pas sans limite. Elle en définit les limites que la jurisprudence vient d’éclairer.

Dans ce sens l’article 4-2 de la directive prévoit que les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueurà la date d’adoption de la directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions . 

Cette différence ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentiellelégitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. 

Cette différence de traitement doit s’exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des États membres, ainsi que des principes généraux du droitde l’Union européenne, et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif.

 Il en est donc de même pour un contrat de travail comportant dans ces établissements, des clauses faisant référence à un Code de droit religieux.

En effet il était opposé au salarié concerné deux règles du droit Canonique à savoir le canon 1085 du Codex Iuris Canonici (code de droit canonique) et le Grundordnung des kirchlichen Dienstes im Rahmen kirchlicher Arbeitsverhältnisse (règlement fondamental applicable au service ecclésial dans le cadre des relations de travail au sein de l’Église), du 22 septembre 1993 Amtsblatt des Erzbistums Köln, p. 222, appelé « GrO 1993 ». Une telle base juridique n'avait jusque là jamais été soumise à la Cour.

Restaient à préciser ces conditions de façon plus précise.

Toute une jurisprudence s’est développée en la matière. Nous n’avons pas pour objet d’y revenir dans cette « alerte » à jurisprudence.

Apportons seulement les points importants ajoutés : 

La Cour de Justice rappelle bien qu’il découle expressément de cette disposition que c’est en considération de la « nature »des activités concernées ou du « contexte » dans lequel elles sont exercées que la religion ou les convictions peuvent, le cas échéant, constituer une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’église ou de l’organisation en cause au sens de ladite disposition (arrêt d’aujourd’hui point 54).

Puis elle rappelle que rien ne peut se faire sans que soit possible et accessible le contrôle juridictionnel effectif « dans l’Union européenne, une église ou une autre organisation dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, et qui gère un établissement hospitalier constitué sous la forme d’une société de capitaux de droit privé, ne saurait décider de soumettre ses employés exerçant des fonctions d’encadrement à des exigences d’attitude de bonne foi et de loyauté envers cette éthique distinctes en fonction de la confession ou de l’absence de confession de ces employés, sans que cette décision puisse, le cas échéant, faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif . »

Elle rappelle que ce contrôle porte sur trois points :

  1. La « nature »des activités concernées ou du « contexte » afin de savoir si elle constitue bien une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’église ou de l’organisation en cause au sens de ladite disposition (arrêt point 54) ;
  2. L’existence objectivement vérifiable d’un lien direct entre l’exigence professionnelle imposée par l’employeur et l’activité concernée. Un tel lien peut découler soit de la nature de cette activité, par exemple lorsque celle-ci implique de participer à la détermination de l’éthique de l’église ou de l’organisation en cause ou de collaborer à sa mission de proclamation, soit des conditions dans lesquelles ladite activité doit être exercée, telles que la nécessité d’assurer une représentation crédible de l’église ou de l’organisation à l’extérieur de celle-ci (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, points 62 et 63 ; arrêt d’aujourd’hui point 50) ;
  3. Le fait que la religion constitue une exigence professionnelle essentiellelégitime et justifiée eu égard à l’éthique de cette église ou de cette organisation, en sachant que :
  • ​L'adjectif « essentielle »signifie que l’appartenance à la religion ou l’adhésion aux convictions sur lesquelles est fondée l’éthique de l’église ou de l’organisation concernée doit apparaître nécessaire en raison de l’importance de l’activité professionnelle en cause pour l’affirmation de cette éthique ou l’exercice par cette église ou cette organisation de son droit à l’autonomie, tel qu’il est reconnu à l’article 17 TFUE et à l’article 10 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, points 50 et 65; arrêt d’aujourd’hui point 51).
  • La Cour a indiqué que l’emploi, par le législateur de l’Union, du terme « légitime » démontre qu’il a entendu assurer que l’exigence portant sur l’appartenance à la religion ou l’adhésion aux convictions sur lesquelles est fondée l’éthique de l’église ou de l’organisation en cause ne serve pas à poursuivre un but étranger à cette éthique ou à l’exercice par cette église ou cette organisation de son droit à l’autonomie (arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 66; arrêt d’aujourd’hui point 52).
  • Le terme « justifiée »implique non seulement que le contrôle du respect des critères figurant à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2000/78 puisse être effectué par une juridiction nationale, mais également que l’église ou l’organisation ayant émis une exigence professionnelle ait l’obligation de démontrer, à la lumière des circonstances factuelles du cas d’espèce, que le risque allégué d’atteinte à son éthique ou à son droit à l’autonomie est probable et sérieux, de telle sorte que l’instauration d’une telle exigence s’avère nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 67; arrêt d’aujourd’hui point 53).

La Cour en a conclu que : « Une différence de traitement, en termes d’exigences d’attitude de bonne foi et de loyauté envers ladite éthique, entre employés occupant des postes d’encadrement, en fonction de leur confession ou de l’absence de confession, n’est possible que si, au regard de la nature des activités professionnelles concernées ou du contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’église ou de l’organisation en cause et conforme au principe de proportionnalité, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.»

Attention, rappelons afin que cet arrêt ne soit pas mal interprété ou mal utilisé, que l’article 4, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2000/78 s’applique uniquement aux églises et aux autres organisations publiques ou privées « dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions » (arrêt d’aujourd’hui point 41) et ne  fait référence qu’aux « personnes travaillant » pour de telles églises ou organisations, ce qui signifie que le champ d’application de cette disposition couvre, les activités professionnelles de celles-ci (arrêt d’aujourd’hui point 42) et ne concerne donc pas toutes les entreprises et certainement pas le secteur hospitalier public au sein duquel les dérogations de l’article 4.2 ne sont pas applicables .