Arrêt de référence : CE, Sect., 21 septembre 2016, req. N°399656, 399699

Par cet arrêt du 21 septembre 2016, le Conseil d’Etat apporte des précisions sur la délimitation du périmètre d’une convention de délégation de services publics, qui portent sur plusieurs services publics.

Dans l’affaire commentée, sous le vocable du service public de la « mobilité », la Communauté urbaine du Grand Dijon avait lancé une procédure de DSP pour la passation d’un contrat unique portant sur les services de transport urbain, le stationnement et la mise en fourrière.

Le regroupement de l’ensemble de ces activités n’est pas illégal, nous dit le Conseil d’Etat, dès lors que l’ensemble concoure à l’organisation de la mobilité des habitants sur le territoire de la communauté urbaine, que les activités présentent entre elles un lien suffisant, permettant d’assurer une coordination efficace entre les différents modes de transport et de stationnement, dont une partie significative des usagers est identique (précision importante).

Il énonce que « aucune disposition législative ni aucun principe général n’impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu’il y a de services distincts ; qu’elle ne saurait toutefois, sans méconnaître les impératifs de bonne administration ou les obligations générales de mise en concurrence qui s’imposent à elle, donner à une délégation un périmètre manifestement excessif ni réunir au sein de la même convention des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ».

La réponse n’était pas évidente et faisait débat.

En effet, selon l’article L.1411-1 du CGCT, « une délégation de service public est un contrat de concession au sens de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, conclu par écrit, par lequel une autorité délégante confie la gestion d'un service public à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix ».

Les termes de loi pouvaient conduire à considérer que chaque service doit donner lieu, en principe, à la conclusion d’un contrat spécifique (Délégation de service public, Ed. Le Moniteur, n°III.203-1).

Cette assertion n’est pas erronée, il ne saurait en effet avoir un seul contrat portant sur plusieurs activités de service public totalement distinctes (exemple : transports en commun et traitement des déchets) qui « qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ». Conclure une délégation de services publics, dans un tel cas, serait méconnaitre  « les obligations générales de mise en concurrence qui s’imposent » aux autorités délégantes, en restreignant la concurrence.

Mais lorsque les activités de services publics ont un lien, et que le regroupement des activités n’est pas excessif, il est possible de les regrouper au sein d’une même convention.

A notre connaissance, le juge administratif n’avait pas clairement tranché la question et posé les limites.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux avait cependant admis le cas de regroupement de services distincts portant sur le stationnement sur la voirie et le stationnement dans les parcs (CAA Bordeaux 29 mai 2009, Sté auxiliaire de parcs, AJDA, 2000, p. 956). Dans cette décision, comme dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, la question relève davantage de la gestion globale de plusieurs activités relevant du même service.

Outre les termes de loi qui conduisent à considérer que chaque service public = une convention de délégation de service public, l’exigence de transparence financière, notamment du point de vue des relations financières entre le délégataire, les usagers et le délégant milite aussi en faveur d’une séparation de la gestion de services publics.

Ce principe a été rappelé dans une réponse ministérielle en date du 2 août 1993 (Rép. Ministérielle Intérieur n°1671, JOAN Q. 2 août 1993, p.2352), dans une hypothèse où était envisagée la gestion déléguée, dans une même convention d'un théâtre et d'un parking : « La jurisprudence a toujours considéré que chaque service public distinct devait faire l’objet d’une convention propre, et qu’était contraire aux règles de la gestion déléguée l’exploitation, sous une même convention, de deux ou plusieurs services publics distincts. Il s’agit là d’une règle de saine gestion et de transparence destinée à éviter qu’une activité déficitaire dans un service public soit financée par les usagers d’un autre service ».

La réponse ministérielle ajoutait : "La séparation se justifie d'autant plus que l'un des services publics en cause, l'exploitation d'un théâtre, est à caractère administratif, tandis que l'autre, la gestion d'un parc de stationnement, est à caractère industriel et commercial".

La différence de régime juridique des services en cause pouvait conduire à considérer qu'ils fassent l'objet d'une dévolution séparée.

La loi peut apporter une dérogation au principe d'unicité de la dévolution du service public. L'article L.2224-6 du Code général des collectivités territoriales[1] permet ainsi une gestion unique pour les services de l'eau et de l'assainissement dès l'instant où les règles de TVA sont identiques.

En dehors des dérogations légales, la doctrine reconnaissait qu’un contrat unique puisse être conclu pour l’exploitation d’un ensemble de services ou d’équipements présentant entre eux une évidente complémentarité (Jscl administratif, fasc. 664, n° 23), comme la gestion d’un réseau de chaleur et d’une unité d’incinération dans le cadre d’un contrat unique (Droit des services publics locaux, Ed. le Moniteur, VI.210.3. L.RICHER) en raison de la complémentarité forte existant entre ces deux équipements : "Lorsque la production d'énergie calorifique est faite à partir de l'incinération de déchets, le même contrat peut confier la réalisation et l'exploitation, ou seulement l'exploitation des deux installations."

La Cour administrative d’appel de Marseille, dans un arrêt du 23 mai 2016 (req. N° 14MA03579) admet qu’une convention de délégation de service public peut porter sur l’exploitation d’une usine d’incinération et la gestion d’un réseau de chaleur dont la simple production de chaleur est issue de la combustion des déchets traités par l'UVE, dès lors que la chaleur trouve son origine dans le fonctionnement même de l'UVE et que cette activité commerciale peut être regardée, notamment au regard de son volume et de son étendue, comme complémentaire de celle de l'UVE.

Dès lors que le réseau de chaleur n’est pas autonome et distinct de l’activité de l’usine d’incinération, une convention de DSP portant sur l’exploitation de l’usine peut porter sur une activité de distribution et de vente d'énergie qui, au regard de son volume et de ses dimensions apparaît comme un complément de celle de l'UVE.

Conseil aux autorités délégantes : Lorsqu’il s’agit de regrouper des activités connexes qui participent à la gestion d’une même activité de service public, on prendra cependant les précautions suivantes :

Au nom du principe selon lequel le tarif payé à l’usager doit correspondre au coût du service rendu et ne doit pas comprendre de dépenses étrangères à l’objet du service dont il bénéficie, les clauses financières du contrat global devront impérativement différencier ces deux services. On relève que le Conseil d’Etat prend soin de préciser, dans l’affaire commentée, qu’une part significative des usagers est identique. Si ce n’est pas le cas, il conviendrait alors de veiller à ce que les services publics ne comprennent pas de dépenses relatives aux autres services publics.

Pour reprendre l’exemple précité de l’usine d’incinération et du réseau de chaleur qui y est adossé, les usagers du service de traitement des déchets ne sont pas identiques aux usagers de la distribution de chaleur. Les abonnés au réseau de chaleur ne doivent pas financer le traitement des déchets.

Dans ces cas de services connexes et complémentaires avec des usagers différents, la conclusion d’une convention unique de délégation des services publics impliquerait de :

  • revoir, de manière globale sur les deux services, les modes de rémunération du délégataire, afin d’apprécier la question de savoir si le critère relatif à l’existence d’une rémunération substantiellement liées aux résultats de l’exploitation est remplie ;
  • mettre en place, à la charge du délégataire, une comptabilité analytique sur les deux services publics concernés ;
  • différencier, dans le contrat, les clauses financières relatives à l’exploitation de chacun des services.

 

 

 

 


[1]           L.2224-6 du CGCT : Les communes de moins de 3 000 habitants et les établissements publics de coopération intercommunale dont aucune commune membre n'a plus de 3 000 habitants peuvent établir un budget unique des services de distribution d'eau potable et d'assainissement si les deux services sont soumis aux mêmes règles d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée et si leur mode de gestion est identique.

Le budget et les factures émises doivent faire apparaître la répartition entre les opérations relatives à la distribution d'eau potable et celles relatives à l'assainissement.