Par une délibération du 21 septembre 2022 le conseil de l’institut d’enseignement à distance (IED) de l’université Paris-VIII a pris la décision d’externaliser l’organisation des examens en ligne en utilisant le logiciel d'une société privée.
Or, l'analyse de la documentation publiée par la société Testwe qui développe l’application du même nom sur son site internet démontre que l’utilisation de cette application rend possible notamment :
- la vérification automatisée de l’identité du candidat
- l’analyse continue de son visage filmé
- l’analyse continue de son regard
- l’accès à l’ensemble des données stockées sur son ordinateur
- la captation et l’analyse automatisée de l’environnement sonore et visuel
Tout ceci constitue en conséquence un traitement de "données à caractère personnel" et en l'occurrence de nature "sensible". Les caractéristiques physiques ou biologiques permettant d’identifier une personne sont désignées comme des "données biométriques".
Or, les dispositifs biométriques sont strictement encadrés par la loi Informatique et Libertés et par le règlement européen sur la protection des données.
Aux Etats-Unis, pays pas franchement réputé pour la protection des données personnelles de ses citoyens, a connu une affaire similaire à l'été 2022 où une Court a jugé "inconstitutionnel" le recours à la télésurveillance avec traitement biométrique et autres données sensibles de plusieurs sociétés privées :
"U.S. district court decided : Room scans are unconstitutional" sur fondement du Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis qui garantie la protection des citoyens des atteintes excessives des autorités contre notamment leur personne et leur domicile. Les pratiques de collecte de données durant les examens y ont été jugées "invasives" et "trompeuses".
En Europe, le RGPD, le règlement général sur la protection des données, texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union Européenne en application le 25 mai 2018 prohibe le traitement des données biométriques, en principe interdit sauf à s’inscrire dans l’une des exceptions limitativement prévues par le texte, que ne sont pas l'organisation et la télésurveillance des examens au sein d'une université.
A la demande des étudiants de l’institut d’enseignement à distance (IED) de l’université Paris-VIII, plus d'une cinquantaine, notre cabinet a saisi le Tribunal administratif de Montreuil en référé-suspension, cette procédure d'urgence visant à suspendre les décisions administratives dès lors qu'une condition d'urgence est remplie et qu'en l'état de l'instruction, un doute sérieux apparait quant à la légalité de la décision.
A cette mobilisation des étudiants, s'est jointe l'association La Quadrature Du Net (LQDN) qui a pour objet de lutter pour que les États et ses autorités administratives ne nous surveillent pas de façon arbitraire ou massive, notamment à des fins politiques. Elle s’emploie à faire connaître ces pratiques illégitimes et à changer le droit, tant au Parlement que devant les juges.
Au cours de l'instruction ayant eu lieu pendant 2 semaines début décembre 2022, devant l'importance du dossier et des enjeux de la question soulevée, le Tribunal administratif de Montreuil a désigné une formation collégiale de 3 juges pour statuer.
Au cours de l'audience qui a eu lieu le 6 décembre 2022, les débats ont été riches et intéressants. Maître VERDIER, le porteur du recours a plaidé pour la suspension de la décision d’avoir recours pour l’organisation et la surveillance des examens en ligne à l'application TestWe de la société privée du même nom.
Par ordonnance du 15 décembre 2022 n°2216570, le Tribunal administratif en sa forme des référés a fait droit à cette demande et a suspendu la décision contestée d’avoir recours pour l’organisation et la surveillance des examens en ligne à l'université de Paris 8 et au sein de l'IED à une application du type de celle proposée par la société Testwe en considérant que :
"(...) Le moyen tiré de ce que par la décision du 21 septembre 2022 le conseil de l’institut d’enseignement à distance de l’université Paris-VIII a adopté des modalités d’organisation et de surveillance des examens en ligne de nature à porter atteinte au principe de minimisation des données (...) du règlement général sur la protection des données apparaît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" "L’exécution de la délibération du 21 septembre 2022 par laquelle le conseil de l’institut d’enseignement à distance de l’université Paris-VIII a décidé d’avoir recours pour l’organisation et la surveillance des examens en ligne à une application du type de celleproposée par la société Testwe est suspendue. L’université Paris-VIII versera une somme de 1 000 euros à Mme M. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative".
L'université en cause n'a pas formé de pourvoi en cassation et les examens ont eu lieu début janvier 2023 avec l'application interne Moodle. Des difficultés ont été recensées à cause de l'inadéquation des serveurs utilisés au nombre de connexions simultanées. Un potentiel défaut d'organisation du service public pourrait bien être reproché à l'établissement universitaire mais c'est une autre histoire.
Face à la suspension de la décision de recourir à TestWe, le président de la société concernée a cru approprié d'insulter les étudiants de l'IED sur un réseau social professionnel bien connu, en les traitant de "cancres", "d'anti-vax", "de tricheurs", dans une publication repartagée par... une professeure de l'IED. Tout ce qui est excessif étant insignifiant, cette sortie de route démontre seulement une incompétence juridique notoire et une méconnaissance manifeste du droit des données personnelles alors que la problématique posée est d'intérêt public qui mérite une certaine hauteur et une dignité dont son auteur a cruellement manqué.
La procédure contentieuse de référé-suspension a ceci de particulier qu'elle doit nécessairement être accompagnée d'une requête en annulation de la même décision devant le Tribunal administratif saisi en référé. Cette procédure dite "au fond" donnera lieu à un deuxième acte, à l'issue d'une instruction qui a de grande chances d'aboutir favorablement.
Au jour de la rédaction des présentes lignes, l'instruction est en cours et nous sommes dans l'attente du mémoire en défense de l'autorité administrative universitaire. A suivre...
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