La Cour de cassation a exercé, à nouveau, son pouvoir de contrôle à large spectre en matière de presse, à l'occasion d'un arrêt rendu le 8 janvier 2019 (C. cass., Crim., 8 janv. 2019, n° 17-81.396), rendu sur pourvoi du prévenu qui, sur le réseau social Twitter, s'en était pris vertement à "L'Institut pour la Justice" et à la pétition que cet "institut" avait mis en ligne pour promouvoir un "Pacte pour la Justice", sorte de condensé de thèses sécuritaires et répressives, en vue de l'élection présidentielle de 2012.

Le prévenu, avocat de son état et célèbre blogueur et utilisateur du réseau Twitter, avait mis en cause l'authencité et l'exactitude du nombre de signatures de cette pétition, et avait notamment publié les messages suivants : "L'Institut pour la justice en est donc réduit à utiliser des bots pour spamer sur Twitter pour promouvoir son dernier étron ?" et "Que je me torcherais bien avec l'Institut pour la Justice si je n'avais pas peur de salir mon caca".

"L'Institut pour la Justice", piqué au vif, avait alors déposé une plainte avec constitution de partie civile des chefs de diffamation et d’injure publique.

Le Tribunal correctionnel de Nanterre avait cru déclarer coupable le blogueur des faits de diffamation et injures publiques, pour le condamner à une amende avec sursis et indemniser la partie civile. La Cour d'appel de Versailles avait en revanche relaxé le prévenu du chef de diffamation, en faisant notamment appel à la particularité présentée par le réseau social en question, dont la concision imposée aux messages ne permettait pas de développer une opinion de la même façon qu'un article de fond.

En revanche, l'injure était retenue en ce qu'elle dépassait "la dose d'exagération et de provocation admissible".

Mais c'est une cassation sans renvoi qu'a décidé la Cour de cassation, faisant une nouvelle fois la démonstration de son large pouvoir d'appréciation en matière de presse, ce qui est salutaire en l'espèce.

Pour la Haute Cour, il n'y a pas matière à retenir une quelconque injure dans les propos imputés au prévenu, étant rappelé que la loi du 29 juillet 1991 définit l'injure comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait" (qu'il est dommage que le législateur du XXIe siècle n'ait plus la plume de celui du XIXe...).

La Cour de casssation a ainsi retenu que les propos incriminés "s’inscrivaient dans la même controverse sur l’action de la Justice pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne aux élections présidentielles de 2012, constitutive d’un débat public d’intérêt général", et surtout, que "l’invective qu’ils comportaient répondait également de façon spontanée à l’interpellation d’un internaute sur les thèses défendues par la partie civile et ce, sur un réseau social imposant des réponses lapidaires, et, quelles que fussent la grossièreté et la virulence des termes employés, ils ne tendaient pas à atteindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation, mais exprimaient l'opinion de leur auteur sur un mode satirique et potache, dans le cadre d'une polémique ouverte sur les idées prônées par une association défendant une conception de la justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et débatteur public, entendait lui-même promouvoir, de sorte qu'en dépit de leur outrance, de tels propos n'excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique".

La liberté d'expression est donc une notion loin d'être figée, mais qui doit être appréciée à l'aune du médium qui en est le support.

Si le moyen du pourvoi reposait notamment sur l'excuse de provocation, en faisant valoir que les thèses prônées par l'IPJ heurtaient frontalement les opinions défendues publiquement par le prévenu sur son blog et sur le réseau social Twitter, la Cour de cassation ne retient pas explicitement cette excuse, mais fait plutôt appel à un élargissement de la liberté d'expression au regard du contexte, de la volonté de l'auteur et ses qualités (praticien et débatteur public), et du fait que le réseau en question impose des réponses "lapidaires".

Il est heureux que la Cour de cassation n'ait de cesse de faire évoluer les contours de la liberté d'expression, pour l'adopter précisément aux nouveaux modes d'expression. Les attentes ne sont pas les mêmes selon qu'il s'agisse d'un article de fond, d'un billet de blog, d'un "post" Facebook ou d'un "tweet".

Les juges du droit n'ont pas hésité à relever que les propos litigieux constituaient bien une "invective", qu'ils étaient "grossiers" et "virulents", mais au visa de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ils ont considéré qu'ils n'excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique.