Dans un contexte de vigilance accrue quant à la préservation de l’environnement, les situations d’urgence environnementale mobilisent de plus en plus fréquemment les communes. Tel est le cas lorsque, confrontée à une pollution dangereuse causée par une propriété privée, la commune se trouve dans l’obligation impérieuse de mandater sans délai une entreprise spécialisée pour dépolluer le site, sans l'accord préalable du propriétaire et en l’absence de procédure de marché formalisée, afin de préserver la salubrité publique et d’éviter l’aggravation du dommage environnemental.
Ce scénario, bien que pragmatique sur le terrain, interroge quant au régime juridique applicable et à la répartition des responsabilités financières. La collectivité peut-elle engager de tels frais sans être ultérieurement tenue de les supporter définitivement ? Quelle articulation entre l'obligation d’agir du maire au titre de ses pouvoirs de police administrative et le principe du pollueur-payeur ?
La réponse à cette problématique impose de croiser les sources du droit administratif, du droit civil et du droit de l’environnement, afin de déterminer les conditions dans lesquelles la commune peut — et doit — agir, tout en préservant son équilibre budgétaire par des actions récursoires appropriées.
Nous analyserons ainsi successivement :
I. Le fondement juridique des interventions d’urgence de la commune en cas de pollution causée par un tiers
II. Les mécanismes de recours de la commune contre le responsable de la pollution
III. Les risques juridiques pour la commune et les précautions à prendre pour limiter son exposition financière
I. Le fondement juridique des interventions d’urgence de la commune en cas de pollution causée par un tiers
La protection de l'environnement et de la salubrité publique est une mission essentielle dévolue au maire, en sa qualité d'autorité de police administrative. Deux fondements coexistent et doivent être distingués.
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La police spéciale du maire en matière de terrains non entretenus
L'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales (CGCT) permet au maire de mettre en demeure un propriétaire de terrain non entretenu, de réaliser à ses frais des travaux de remise en état. En cas de carence et à l’issue d’une procédure contradictoire, la commune peut faire exécuter les travaux d’office.
Il est cependant indispensable que la procédure soit régulière, sous peine de voir la commune devoir supporter définitivement le coût des travaux, faute d’opposabilité de sa créance au propriétaire. -
La police générale du maire en matière de salubrité publique et de prévention des pollutions
Plus largement, l’article L. 2212-2 CGCT assigne au maire la mission de « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, (…) les pollutions de toute nature » (article L. 2212-4 CGCT).
Dans l’urgence, et notamment lorsque la procédure de police spéciale s’avère inadaptée ou trop lente, le maire peut intervenir sur une propriété privée pour organiser des opérations de dépollution afin de prévenir un danger grave pour la salubrité publique ou la sécurité des habitants.
La jurisprudence administrative valide de telles interventions, sous réserve qu’elles soient justifiées par l'urgence et la nécessité d’éviter une aggravation des dommages (voir CE, 11 juillet 2014, Copropriété Les Hauts de Riffroids, req. n° 360835).
Il importe de souligner que le caractère urgent de l’intervention est déterminant pour justifier une commande publique passée sans formalisation préalable, le principe de sécurité juridique imposant toutefois d’établir a posteriori un ordre de service ou une régularisation contractuelle avec le prestataire.
II. Les mécanismes de recours de la commune contre le responsable de la pollution
L'action du maire, même dictée par l'urgence, n'exonère pas le propriétaire privé de sa responsabilité juridique. Plusieurs fondements permettent à la commune d’agir en recouvrement des sommes engagées.
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Le recours en responsabilité civile fondé sur le principe du pollueur-payeur
Consacré par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ce principe est au cœur de la politique environnementale française : le pollueur doit assumer les coûts des mesures de prévention et de réparation de la pollution.
Sur ce fondement, la commune peut solliciter le remboursement des frais avancés, notamment en mobilisant l’article 1248 du code civil, qui inclut les dépenses exposées pour éviter l’aggravation du dommage ou en réduire les conséquences dans le périmètre du préjudice réparable. -
L'action en réparation du préjudice écologique
Introduite par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, cette action est désormais ancrée à l’article 1246 du code civil, qui précise que toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer.
La commune, en exposant des frais pour remédier à la pollution, subit ainsi un préjudice indirect, mais juridiquement réparable, d’autant que le coût des opérations de dépollution entre dans la catégorie des préjudices réparables. La décision précitée du Conseil d’État du 11 juillet 2014 en est une belle illustration. -
L'action pénale et la constitution de partie civile
La commune peut également se constituer partie civile sur le fondement de l’article L. 142-4 du code de l'environnement, pour obtenir réparation du préjudice direct ou indirect subi par son territoire.
Cela présente l’avantage de cumuler la recherche de responsabilité pénale et l’indemnisation des dommages matériels et moraux subis par la collectivité.
III. Les risques juridiques pour la commune et les précautions à prendre pour limiter son exposition financière
Si la loi offre des outils de recouvrement efficaces, la commune reste exposée à des risques significatifs, qu’elle doit anticiper par la mise en œuvre de bonnes pratiques juridiques.
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L’impératif de respecter les procédures contradictoires
Même en situation d’urgence, la collectivité doit, autant que possible, formaliser son intervention par une mise en demeure adressée au propriétaire responsable, en s'assurant de conserver les preuves de la situation d'urgence ayant motivé son action. -
La nécessité de sécuriser la relation avec l’entreprise prestataire
Il est fortement recommandé de procéder à la régularisation postérieure de la commande auprès de l’entreprise de dépollution, par l’établissement d’un bon de commande ou d’un marché formalisé a posteriori, afin de limiter les risques de contentieux contractuels. -
L’importance de la preuve pour exercer les actions récursoires
La commune devra veiller à constituer un solide dossier probatoire comprenant :
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les constats de pollution établis par des experts ;
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les courriers de mise en demeure envoyés au propriétaire ;
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les factures détaillées des opérations réalisées ;
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et le cas échéant, les éléments attestant du péril imminent ou de la nécessité d’intervention urgente.
Ces éléments seront décisifs pour obtenir la reconnaissance du préjudice et le remboursement des sommes engagées.
Conclusion
En définitive, face aux pollutions environnementales engageant la responsabilité d’un propriétaire privé défaillant, la commune, garante de la salubrité et de la sécurité publique, dispose d’une légitimité incontestable pour intervenir dans l’urgence. Toutefois, pour éviter que la collectivité ne supporte indûment les conséquences financières de la défaillance du tiers, il est essentiel que la commune agisse dans le respect des règles de procédure et veille à engager, sans délai, les actions en recouvrement adaptées.
La responsabilité du pollueur, civile et pénale, reste en effet le corollaire indispensable d’une politique publique efficace de prévention et de réparation des dommages environnementaux.
Références utiles
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CGCT, articles L. 2212-2, L. 2212-4 et L. 2213-25
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Code de l’environnement, articles L. 110-1 et L. 142-4
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Code civil, articles 1246 et 1248
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CE, 11 juillet 2014, Copropriété Les Hauts de Riffroids, req. n° 360835
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Sénat, Question écrite n° 08514 de Mme Christine Herzog, JO Sénat du 17/10/2024, p. 4048
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Réponse ministérielle publiée au JO Sénat du 03/04/2025, p. 1553
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