OUI : généralement, une dépression nerveuse est une maladie qui résulte d’un processus à évolution lente au point de départ très difficile à déterminer, rendant ainsi plus complexe la recherche de son imputabilité au service. Mais il peut arriver que dans certains cas elle résulte d’un évènement soudain survenu à un moment précis daté (entretien d’évaluation, réunion de service, comité de direction, entretien préalable, conseil de discipline …) dans l’exercice des fonctions de l’agent public. Dans un pareil cas, elle est régie par les dispositions relatives à l’accident de service. Ainsi, il peut exister un vrai choix d’opportunité car un même état dépressif peut être qualifié de maladie contractée en service ou d’accident de service. Ainsi, comme la déclaration d’accident de service n’est limitée par aucun délai, alors que la demande d’imputabilité est encadrée pour les fonctionnaires de l’Etat par un délai de 4 ans à compter de la première constatation médicale de la maladie, il n’est  peut-être pas trop tard pour déclarer un accident de service suite à une altercation ou un évènement dont vous vous souvenez encore très bien du fait générateur et pour lesquels vous disposez encore de toutes les pièces probantes.

1 ) Absence de délai de déclaration d’un accident de service :

Conseil d'Etat, 3 / 5 SSR, du 20 mai 1977, 02961, publié au recueil Lebon

« Si l'intéressée n'a déclaré que le 5 octobre 1973 l'accident survenu le 14 avril 1973, ce retard ne pouvait par lui-même, en l'absence de texte réglementaire imposant un délai pour demander à peine de forclusion le bénéfice des dispositions de l'article 36-2' de l'ordonnance du 4 février 1959, la priver du bénéfice du régime des accidents de service. »

Le fonctionnaire devra démontrer les liens de causalité existant entre son état physique et son accident de service.

2) La demande tendant à ce que la maladie soit reconnue comme ayant été contractée dans l'exercice des fonctions doit être présentée dans les quatre ans qui suivent la date de la première constatation médicale de la maladie.

Article 32 du décret n°86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : « Lorsque le congé de longue durée est demandé pour une maladie contractée dans l'exercice des fonctions, le dossier est soumis à la commission de réforme. Ce dossier doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. La demande tendant à ce que la maladie soit reconnue comme ayant été contractée dans l'exercice des fonctions doit être présentée dans les quatre ans qui suivent la date de la première constatation médicale de la maladie.

La commission de réforme n'est toutefois pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration.

L'avis de la commission de réforme et le dossier dont elle a disposé sont transmis à l'administration dont relève l'agent intéressé. »

EXEMPLES :

M.C..., fonctionnaire de France Télécom depuis 1978, technicien de niveau 2.2 occupant en dernier lieu les fonctions de coordonnateur de production au sein de l'Unité Intervention Affaires, soutient avoir été victime sur son lieu de travail, le 25 juin 2009, d'un malaise, qui, après une prise en charge par le service des urgences de l'Hôtel Dieu, a été suivi d'arrêts de travail régulièrement renouvelés.

Le 22 juin 2010, France Télécom, suivant l'avis de la commission de réforme du 10 juin 2010, a refusé de reconnaître l'imputabilité au service du malaise du 25 juin 2009.

La société Orange relève appel du jugement du 22 mai 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 22 juin 2010 et lui a enjoint de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une décision reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident survenu le 25 juin 2009.

La Cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête de la société Orange et confirmé la décision du tribunal administratif de Paris.

CAA de PARIS, 1ère chambre , 31/12/2015, 14PA03160, Inédit au recueil Lebon

M. C... a sollicité, le 25 juin 2009 à 10h44, l'intervention des sapeurs-pompiers de Paris sur son lieu de travail et que ceux-ci, présents sur place jusqu'à 11h55, ont constaté chez lui " de l'angoisse, de l'anxiété et du stress " .

M. C... a été conduit à l'Hôtel Dieu où a été diagnostiquée une crise d'angoisse et prescrit dans un premier temps un arrêt de travail jusqu'au 26 juin 2009 inclus.

Si la société Orange fait valoir que les policiers arrivés sur les lieux avec les pompiers sont repartis sans investigations complémentaires, que les collègues de M. C... n'avaient remarqué aucun comportement anormal de sa part et qu'il n'a pas sollicité leur aide avant d'appeler les secours, qu'enfin l'enquête diligentée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a exclu toute situation d'alerte, ces éléments ne permettent pas de contredire les éléments médicaux réunis au dossier qui établissent la réalité d'une crise d'angoisse survenue sur le lieu de travail. En l’espèce M. C... impute cette crise d'angoisse à un harcèlement par son supérieur hiérarchique qui était venu lui remettre en main propres, à 10h30, une convocation à un entretien disciplinaire, la société Orange soutient que l'intéressé souffrait de troubles dépressifs antérieurs dépourvus de lien avec le service et que la théâtralisation de l'incident s'inscrit dans le cadre de relations conflictuelles avec sa hiérarchie, alimentées par la personnalité et par le comportement de M. C... constitutifs de fautes disciplinaires.

 Dans son arrêt en date du 31 décembre 2015, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé qu'il ne ressort toutefois nullement des circonstances ainsi décrites ni de l'ensemble des pièces du dossier qui font état d'un contexte conflictuel entre M. C... et son employeur depuis 2005 au moins que le malaise du 25 juin 2009, survenu sur le lieu et dans le temps de travail, trouverait son origine exclusive dans la personnalité de l'intéressé ou résulterait d'une pathologie antérieure dépourvue de tout lien avec le service. Dans ces circonstances, cet accident ne peut être regardé comme détachable du service. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orange n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 22 juin 2010 par laquelle la société France Telecom a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident dont M. C... a été victime le 25 juin 2009, lui a enjoint de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une décision reconnaissant l'imputabilité au service de l'accident survenu le 25 juin 2009 et a mis à sa charge les frais de l'expertise ordonnée avant dire droit et une somme de 1 500 euros à verser à M. C... au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Un agent hospitalier lors d’un incident l’opposant à ses collègues en raison des conditions de travail a été victime d’une tétanie suivie d’un état dépressif de plusieurs mois.

Conseil d'Etat, 8 SS, du 4 décembre 1995, 146256, inédit au recueil Lebon

« Considérant que le tribunal administratif de Toulouse, pour annuler la décision implicite par laquelle le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL DE TOULOUSE a refusé de faire application à M. X... des dispositions précitées, a estimé, par son jugement en date du 11 décembre 1992, que l'état dépressif de l'intéressé, qui avait motivé un congé pendant 6 mois du 1er février au 15 juin 1985, était en relation directe avec l'incident qui l'avait opposé à l'un de ses collègues du laboratoire de pharmacocinétique et qui trouvait son origine dans les conditions de travail offertes par ledit laboratoire ; que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL DE TOULOUSE ne présente en appel aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges ; que, par suite, il y a lieu, par adoption des motifs du jugement attaqué, de rejeter sa requête ; »

Un professeur victime d’une agression physique et verbale de la part de l’un de ses élèves qui, non blessé physiquement mais très choqué, souffre d’un état anxio-dépressif aigu puis a été placé en arrêt de maladie pour dépression nerveuse.

Tribunal administratif de Paris, 27 janvier 2010, requête n° 0713591/5

Dans le « privé » aussi :

Un simple entretien d' évaluation porteur de mauvaises nouvelles peut provoquer un accident du travail

M. X... avait été atteint d'une dépression nerveuse soudaine au cours d'un entretien d'évaluation pendant lequel son supérieur hiérarchique lui avait fait savoir qu'il ne donnait pas satisfaction et qu'il était rétrogradé dans des fonctions d'agent de maîtrise suppléant. M. X... a fait constater par son médecin traitant une dépression nerveuse, dont la Caisse primaire d'assurance maladie a refusé la prise en charge en tant qu'accident du travail, bien que l'expert médical technique ait admis la relation de cause à effet entre l'entretien et l'apparition de la dépression. La Cour de cassation dans un arrêt de la 2ème Chambre civile du 1er juillet 2003 n° 02-30576 a confirmé qu'il s'agissait bien d'un accident du travail et qu'il appartenait d'ailleurs aux juges du fond d’apprécier si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail.

Cour de cassation 2ème Chambre civile 1er juillet 2003, pourvoi n° 02-30576 publié au bulletin.