EN BREF : en général,  la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Cependant, dans un arrêt en date du 14 avril 2016, le Conseil d’Etat précise qu’il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération. Ainsi, en matière de responsabilité administrative, il faudra prouver une faute du mairie ou du préfet, des préjudices réels et certains (chiffrés et justifiés par des pièces) et un lien de causalité entre la faute et les préjudices.

En l’espèce, en se bornant, pour accorder une somme de 180 000 euros de ce chef, à faire référence aux conclusions d'un rapport d'expert évaluant à ce montant le préjudice subi, par comparaison avec une opération présentant des caractéristiques similaires et réalisée, à la même époque, dans une commune voisine, sans rechercher si les circonstances particulières de l'espèce permettaient de faire regarder ce préjudice comme ayant un caractère direct et certain, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

EXEMPLES :

  • S'agissant du préjudice résultant de la privation de bénéfices attendus de l'exploitation du commerce à construire :

Conseil d'Etat, 1 / 4 SSR, du 15 juin 1983, 33670, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Si le pétitionnaire a droit au remboursement des frais exposés pour les honoraires d'architecte et de géomètre qu'il a engagés pour l'élaboration de son projet de construction, il ne peut prétendre en revanche à la réparation du préjudice commercial résultant pour lui de la privation des bénéfices qu'il espérait retirer de l'exploitation du commerce projeté, la réalisation de ce bénéfice ne présentant qu'un caractère purement éventuel. »

  • S'agissant d'un refus d'autorisation de créer un centre commercial :

Conseil d'Etat, 4 / 1 SSR, du 22 janvier 1993, 82358, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Les honoraires dus à l'architecte et les dépenses de conception et de promotion, exposés inutilement, présentent le caractère d'un préjudice direct et certain. En revanche, le préjudice qui découlerait de la perte de bénéfice n'est ni actuel ni certain et n'ouvre donc pas droit à indemnisation. »

Conseil d'Etat, 6 / 2 SSR, du 11 mai 1983, 33370, mentionné aux tables du recueil Lebon

« Dans les circonstance de l'espèce, le préjudice comprend les bénéfices que la société pouvait raisonnablement attendre de la vente des appartements des immeubles dont le permis a été illégalement refusé.
60-04-01-03[2], 68-03-08[2] L'immobilisation alléguée pendant quinze mois des fonds destinés à acquérir le terrain, qu'il appartenait à la société de faire fructifier pendant ce délai sans les engager à long terme, ne présente pas un lien direct avec les fautes commises par l'administration. Absence de préjudice de ce chef. »

  • S'agissant du préjudice résultant du retard de réalisation des bénéfices :

Conseil d'Etat, 2 / 6 SSR, du 26 octobre 1988, 79400, publié au recueil Lebon

« La demande d'indemnité présentée par la société civile immobilière "Les Moulins d'Hyères" et M. F. tend à obtenir réparation du préjudice qui leur aurait été causé par les décisions des 20 juillet 1981 et 6 juin 1983 leur refusant le permis de construire. La décision du 20 juillet 1981 a été annulée le 14 mars 1982 par le tribunal administratif de Nice et la décision du 6 juin 1983 a été annulée par le même tribunal le 18 avril 1985. Si le refus irrégulier de permis de construire constitue une faute de service susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, il n'ouvre cependant droit à indemnité que dans la mesure où le requérant justifie d'un dommage actuel, direct et certain. Le permis de construire a finalement été accordé. Ainsi le préjudice subi par les requérants tient au retard de quatre ans avec lequel ils ont pu réaliser leur projet le 22 juillet 1985.
Ce retard a entraîné pour la société civile immobilière l'immobilisation pendant plus de quatre ans de la somme de 300 000 F qu'elle avait payée à M. F. au moment de la signature de l'acte de vente conditionnel et la perte des revenus qu'elle aurait pu tirer, pendant la même période, du réemploi du bénéfice réalisé en cas de vente. Elle a de ce fait subi un préjudice dont elle est fondée à soutenir que les premiers juges ont fait une insuffisante évaluation en fixant l'indemnité à 170 000 F tous intérêts compris. Dans les circonstances de l'espèce et compte tenu du caractère partiellement aléatoire de ce bénéfice, il y a lieu de porter cette somme à 300 000 F tous intérêts compris.
Le retard apporté à la délivrance du permis de construire a entraîné pour M. F., qui devait être payé du solde du prix de la vente de son terrain par la dation d'appartements dont la livraison a été retardée et qui a été ainsi privé des loyers de ces appartements, un préjudice dont les premiers juges ont fait une juste évaluation en le fixant à 500 000 F tous intérêts compris. »

SOURCE : Conseil d'État, 6ème / 1ère SSR, 15/04/2016, 371274