Dans mes précédents billets, je vous avais fait part de ma situation délicate du moment et de mon immense gratitude pour tous les confères parisiens, de banlieue et de province qui m’ont soutenu dans l’épreuve que je vis aujourd’hui. Pour exprimer ma reconnaissance, peut-être de façon maladroite, j’avais réservé aux confrères qui le souhaitaient la gratuité totale d’accès à mon site Internet. Certains, parmi tous les confrères qui me soutiennent m’ont fait part de leurs points de vue sur cette gratuité, me faisant justement remarquer que tout ce qui est gratuit est insignifiant et sans valeur. Elle(s) et (ils) ont également regretté que je me dévalorise à ce point en « bradant » ainsi mes compétences. Comme vous le savez, je produis beaucoup de commentaires actualisés sur des problématiques de droit public sur Internet et je propose également des astuces procédurales et des modèles types commentés de requêtes et de mémoires. Malgré une audience très importante de mon site Internet, force est de constater que la « monétisation » de ce site juridique est pour moi le « fiasco » de ma vie, et que les retours clients solvables représentent environ 10 clients sur un million de visiteurs par an.

Aussi, me suis-je posé la question suivante : « Est-ce que ton site Internet est très fréquenté parce qu’il contient des informations intéressantes ou simplement parce que ces informations sont en grande partie accessibles gratuitement ? ». Cette interrogation lancinante est aussi liée au fait, que même si le montant de l’abonnement annuel pour accéder à l’intégralité du contenu du site n’est que de 12 euros par an (1 euro par mois), force est de constater que malgré la modicité de cette somme, pratiquement aucun visiteur internaute ne s’abonne, (et pourtant çà m’aurait bien aidé), préférant contourner l’obstacle « pécuniaire » en téléphonant à mon cabinet pour tenter de m’extorquer quelques informations gratuites ou tout simplement en m’envoyant des courriels parfois larmoyants, sur ma messagerie professionnelle, auxquels très ému, j’ai souvent la faiblesse de répondre. Vous voyez bien maintenant vers quel abîme cette spirale du tout gratuit m’a plongé.

Il faut remarquer que jusqu’à présent, à part quelques rares exceptions très ponctuelles, je n’avais aucun retour sur la qualité de mon travail, à part bien sûr les mécontents déçus qui me demandaient sèchement de retirer leur nom de la liste des membres du site, trouvant anormal d’être obligés de s’inscrire pour accéder à certains contenus gratuits mais protégés, et craignant je ne sais quelle turpitude de ma part. Il y avait aussi les commentaires désobligeants de certains procéduriers compulsifs, commençant par attaquer leur employeur et finissant par leur avocat, allant même jusqu’à me traiter d’ « escroc » et de « braconnier du droit » parce que j’avais l’audace de  leur demander le paiement de 14 euros pour une requête rare non disponible ailleurs que sur mon site Internet.

Alors, j’en concluais, peut-être de façon trop hâtive, qu’il y avait certainement beaucoup de « pillards » du net, où de gens peu recommandables, qui téléchargeaient pour leur plaisir obsessionnel, sans vergogne, des quantités de documents dont ils n’avaient d’ailleurs pas l’utilité.

Mais je me disais aussi que de toute façon, toutes ces visites se convertiraient un jour peut-être en clients solvables et je continuais contre vents et marées, obsédé par cette passion débordante du métier d’avocat et du droit public.

11 ans après, force est de constater que je me suis lourdement trompé.

Je me suis fourvoyé, mais ce qui évolue, c’est que ma situation inquiète aujourd’hui aussi les administrations territoriales, hospitalières et d’Etat, qui utilisent gratuitement, en « off » et à mon insu, par le biais de ses agents, mon site Internet, et qui craignent de voir se tarir une source d’informations juridiques de droit public importante et gratuite, matérialisée par presque 5000 questions réponses correspondant à leur problématiques du moment.

C’est tout de même paradoxal que ces administrations, qui parfois me poursuivent ou dont je suis souvent l’adversaire par clients interposés, qui me refusent de m’accorder des délais de paiements, qui m’assignent en liquidation judiciaire, qui consultent régulièrement mes chroniques et qui parfois appliquent à mon encontre des règles que je leur ait méthodiquement expliquées, n’aient pas la délicatesse ou la déontologie de me demander mon accord pour une utilisation professionnelle de mes données personnelles. Mais peut-être ne veulent-ils pas que cela se sache, préférant se mettre personnellement en avant pour séduire leur hiérarchie et en retirer toute la considération et l’estime indispensable à une promotion méritée.

Mais maintenant que je suis professionnellement agonisant, se refusant peut-être à assister à la tuerie de la « poule aux œufs d’or », ne souhaitant pas voir se tarir une source gratuite d’informations juridiques de droit public fiable, qui de plus labellisée « avocat », inquiets de la disparition d’une base d’informations de 5000 références, certaines petites langues administratives se délient.

Je vous communique le message de soutien de l’un de ces cinq millions de fonctionnaires, qui composent cette administration française que le monde entier nous envie, intitulé « Remerciements ».

 « Je suis très peiné d'apprendre vos difficultés actuelles. Vous avez fait beaucoup pour améliorer les droits des fonctionnaires en relayant les jurisprudences les concernant. C'est vrai que beaucoup de fonctionnaires et de RH consultent votre site gratuitement et se servent de vos informations mais cela permet de les sensibiliser sur les questions juridiques. Puis, les chefs vous connaissent aussi et ne sont pas dupes sur les sources des informations. Vous êtes devenu une bible. Je pense au contraire que cela sert les avocats. Beaucoup d'avocats ne sont pas spécialisés et appellent le CNFPT, les centres de gestion, l'AMF, l'ADF etc. pour obtenir des réponses. Vos publications démontrent que certains avocats, dont vous, avez une analyse fine et une spécialité en matière de fonction publique. Puis, vous donnez des pistes mais pas des consultations. Aussi, les personnes qui lisent vos publications et qui ne sont pas juristes auront envie de faire appel à un avocat. Un grand bravo et j'espère sincèrement que vos problèmes se régleront. Vous êtes devenu très connu et même une star dans le milieu. »

Aux dires de ce fonctionnaire, que je remercie pour sa gentillesse mais qui « exagère » un peu en bon méridional qu’il est, je serai devenu « une star dans le milieu », je serais également « devenu une bible » et « je donne envie de faire appel à un avocat ».

N’en jetez plus, la cour est pleine, et face à ces qualificatifs laudatifs qu’il m’attribue et que je ne mérite absolument pas, il y a l’envers du décor.

Une star du droit public, assignée en liquidation judiciaire par l’URSSAF pour retard de paiement de charges, poursuivie à coup d’avis à tiers détenteur par la DGFIP pourtant consultant gratuit de son site Internet, traquée par nos amis huissiers de justice du Val de Marne, interdit bancaire par le LCL de Villejuif, sans plus aucune autorisation de découvert bancaire, relancé par l’APHP de Paris pour des factures d’hospitalisation pourtant indues, humilié par sa situation, obligé de dévoiler précisément sa maladie lorsqu’il a l’audace de demander un renvoi d’audience à un tribunal administratif, exigeant les preuves des fois qu’il mentirait (attestations de dialyses par exemple), parce que trop fatigué par sa dialyse du matin et avec en prime une insuffisance rénale terminale nécessitant trois séances d’hémodialyse de 4 heures par semaine.

Je vous avoue que j’éprouve beaucoup de lassitude, de tristesse et de rancœur lorsqu’un fonctionnaire de catégorie B ou C, greffier d’un tribunal administratif francilien, voulant certainement bien faire son métier, me demande des justificatifs couverts par le secret médical pour étayer une simple demande de renvoi d’audience.

J’ai parfois envie de dire : « ça suffit ! » Je n’ai pas forcément envie qu’on dévoile ma maladie, un petit avocat de banlieue a aussi le droit au respect de sa vie privée et au secret médical, même quand il a l’audace de demander un renvoi d’audience à un tribunal administratif parce qu'il est trop fatigué.

J’avoue humblement que ce n’est vraiment pas l’idée de la starisation que je me faisais et j’en conclus avec un peu d’humour que les « stars » du barreau n’ont pas les mêmes moyens financiers et ne font pas l’objet de la même attention que les stars de cinéma, de la chanson, du football, du golf, du rugby, du cyclisme …

En plus, je découvre que malgré ma situation déplorable je suis autoproclamé « d'utilité publique » par quelques particuliers internautes reconnaissants.

En effet, je vous livre quelques commentaires déposés dans le « livre d ‘or » de mon site www.jurisconsulte.net

« Votre site est vraiment « d'utilité publique ». Merci pour toutes vos informations accessibles a tous. »

« Maître votre site est véritablement d'utilité publique. »

« Ce site est à la hauteur de votre rôle sociétal. »

« Bonsoir Maître, C'est avec plaisir que je découvre votre site et y dépose ce premier message. C'est aussi un honneur. Je trouve les rubriques riches, claires, bien mises en évidence. Il devrait devenir un site incontournable pour les praticiens et va faire belle concurrence à la société qui m'emploie, mais chut... Je vous souhaite un plein succès dans cette entreprise et enregistre dès à présent votre site dans mes favoris afin de pouvoir le consulter ou le recommander. Bien respectueusement. »

C’est tout de même réconfortant de penser qu’on est en train de «  crever de faim » , qu’on est dans une « merde noire », malade, qu’on n’a même plus assez d’argent pour acheter les médicaments nécessaires pour se soigner car on n’a plus de mutuelle devenue trop chère,  que nos organismes professionnels s’en moquent, mais qu’on reste cependant très utile à ses concitoyens.

N’est-ce pas là la magie de l’Internet  ou son paradoxe ?

Mais peut-être que, comme un artiste peintre du XIX ème siècle, ce petit avocat de banlieue parisienne très pauvre de son vivant deviendra célèbre après sa mort et ses chroniques se vendront très cher chez Drouot … (plaisanterie de très mauvais goût due en partie à mon état du moment)

Jusqu’à présent, et malgré mon grand âge,  je pensais benoitement que la réussite professionnelle d’un petit avocat indépendant libéral comme moi, arrivé presque au terme de son exercice,  était synonyme de ressources financières suffisantes  pour au moins assurer le fonctionnement normal de son cabinet et accessoirement se verser un petit SMIC.

Et bien non, pour moi André ICARD, avocat indépendant à Villejuif, ce n’est pas possible car cette excellente « e-réputation » de façade a été le prisme déformant de ma réalité économique et de ma vraie notoriété d’avocat.

En effet, le site Internet de l’avocat peut se révéler comme le fossoyeur de ses ambitions professionnelles, le miroir déformant de sa véritable notoriété et comme un amplificateur de compétences.

Sur Internet, tout est beau et les locaux grisâtres d’un cabinet de banlieue disparaissent, effacés par des images enchanteresses et des analyses très pointues qui font rêver et penser à une réussite florissante de l’avocat.

Mais ce n’est pas le cas.

A  ce propos, je pense à l’époux d’une cliente qui un jour, sans doute agacé par son infidélité supposée, a dit à sa femme lors d’un rendez-vous  à mon cabinet : « Je t’avais dit qu’il ne fallait pas choisir un avocat sur Internet, car  les bons avocats ne sont jamais sur Internet »(sic)

De plus, l’avocat internaute en quête de clients se posera  toujours la même question: « Pourquoi sur un million de visiteurs par an sur mon site Internet et tous les éloges virtuels reçus, seulement  10 sont devenu mes clients  et parmi eux aucun institutionnel ?»

J’ai une réponse à la première partie de la question « pourquoi un million de visiteurs ? » : « parce que c’était gratuit »

J’ose une réponse à la deuxième partie de la question « seulement  10 sont devenu mes clients  et parmi eux aucun institutionnel » : « parce que les particuliers aiment le luxe, ce qui brille, les beaux immeubles, les beaux locaux, les belles gueules et les belles voitures  et les administrations considèrent que même si tous les candidats avocats sont égaux devant les appels d’offres, certains sont plus égaux que d’autres… »

Pour ce qui me concerne, mon excellente « e-réputation » est en train de me tuer et ma mort est annoncée pour le 12 octobre 2015 vers 14 heures au Tribunal de grande instance de CRETEIL.

J'espère que vous serez physiquement présent(s) à mes funérailles professionnelles ce jour là.

Finir comme cela en liquidation judiciaire : quelle tristesse !

De toute façon, j’ai fait mon temps et puis je n’ai qu’à partir à la retraite comme disent certains !