Cet arrêt est commenté par :

- François-Xavier AJACCIO, Dictionnaire permanent « assurances », bulletin, juillet 2013, p. 8.

- Jean Luc Bouguier, ci-dessous, après l'arrêt.

Cour de cassation

chambre civile 3

Audience publique du mardi 4 juin 2013

N° de pourvoi: 12-19.203

Non publié au bulletin Cassation

Sur le moyen unique :

Vu le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 544 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 7 février 2012), que M. et Mme X... ont assigné en réparation d'un trouble anormal de voisinage leur voisin M. Y..., lui reprochant d'avoir endommagé leur mur séparatif en édifiant en limite de son fonds un mur destiné à contenir de la terre de remblais ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X... de leurs demandes, l'arrêt retient que si le mur construit sur le fonds de M. Y... ne l'a pas été dans les règles de l'art en ce qu'il n'est pas "auto-stable", il résulte des constatations de l'expert que les deux murs conjugués permettent d'obtenir un ensemble stable remplissant le rôle de mur de soutènement et que c'est uniquement dans l'hypothèse où M. et Mme X... enlèveraient le mur édifié sur leur propriété que la stabilité du mur de M. Y... se trouverait fortement compomise et que, dans ces conditions, M. et Mme X... n'établissaient pas subir un trouble de voisinage, a fortiori anormal;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait que le mur séparatif édifié sur le fonds de M. et Mme X... avait désormais, par suite des travaux réalisés sans égard aux règles de l'art par M. Y..., acquis pour fonction de contribuer à contenir la terre de remblais déversée sur le fonds de leur voisin, ce dont il résultait qu'ils ne pouvaient plus librement disposer de leur mur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte et le principe susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y... à payer à M. et Mme X... la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de M. Y... ;

COMMENTAIRE DE M. BOUGUIER

Cet arrêt apporte un éclairage particulier au trouble du voisinage.

Un maître d'ouvrage avait fait construire en limite parcellaire un mur destiné à soutenir les terres de remblai. Invoquant des fissures sur leur mur séparatif existant, les voisins assignèrent sur le fondement du trouble anormal.

L'expert judiciaire constata que le mur édifié n'était pas stable et ne pouvait à lui seul remplir sa fonction, mais que la conjugaison des deux murs rendait efficace le maintien des terres de remblai.

Bien évidemment, cela impliquait l'obligation de ne supprimer aucun des deux murs, et les voisins invoquèrent, d'une part, que cela créait une obligation d'entretien sur leur fonds, et d'autre part une impossibilité de disposer librement du mur, sauf à faire courir le risque au maître d'ouvrage de subir à son tour des désordres sur son terrain.

La Cour d'appel rejeta la demande. Elle observa que l'entretien du mur n'avait pas pour objet la préservation de la parcelle voisine, et surtout, qu'il ne ressortait du dossier aucune volonté des demandeurs de procéder à la démolition de ce mur, ceci d'autant moins que son maintien était nécessaire dans leur propre intérêt.

Comme souvent, le juge du fond était saisi d'un litige qui dépassait les strictes contraintes techniques. En pratique, aucun des voisins n'avait intérêt à modifier la situation nouvelle, car la suppression d'un seul mur, voire des deux, générerait des désordres bien réels sur les deux parcelles.

Cependant, l'enjeu est ici purement juridique : il y a atteinte au droit de propriété, et non à la propriété elle-même.

La 3ème chambre civile a donc cassé au visa de l'article 544 du code civil. L'impossibilité technique de démolir le mur existant sans engendrer de désordres constituait bel et bien une atteinte à l'exercice absolu de leur droit de propriété.

La décision n'est pas novatrice quant à la rigueur avec laquelle le juge fait respecter le droit de propriété. Une semelle débordant la limite séparative, un tirant placé sans l'accord du voisin, un balcon ou une corniche qui dépassent : ces cas sont fréquents et bien connus des professionnels.

Pour autant, à la différence des autres affaires, on note ici qu'il n'y avait pas d'empiètement, ni de surplomb. L'atteinte est hypothétique : c'est l'exercice éventuel et futur d'abusus. L'atteinte est aussi relative : la démolition est possible, mais elle générera des désordres chez le voisin dans la mesure où son remblai ne serait plus consolidé.

C'est en cela que l'affaire est singulière : le demandeur n'est, en vérité, pas la victime du trouble de voisinage. C'est le maître d'ouvrage qui serait victime de sa propre initiative si jamais le voisin usait de son droit sacré en rasant le mur vétuste.

Poussé à l'absurde, l'abusus revient alors pour le propriétaire de tout immeuble en ruine à reprocher aux riverains d'avoir édifié des constructions neuves en mitoyenneté au cas où il déciderait de la raser.

En ces temps où l'on parle de crise du logement dans notre pays, où le foncier se fait rare en zone urbaine, et où l'on évoque la nécessité de relancer la construction neuve, la solution paraît quelque peu anachronique.

Jean Luc Bouguier