Cour de cassation

chambre civile 3

Audience publique du mardi 11 juin 2013

N° de pourvoi: 12-17.834

Non publié au bulletin Cassation

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1638 et 1134 du code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués (Basse-Terre, 4 avril 2011 et 30 janvier 2012), que par acte authentique du 21 octobre 2004, l'association diocésaine de la Guadeloupe a vendu à la société Semsamar deux parcelles ; que la société Semsamar soutenant avoir découvert dans le cadre de la réalisation de travaux de construction l'existence de deux canalisations dont la présence ne lui avait pas été signalée par le vendeur, a, après avoir fait réaliser des travaux de dévoiement de ces canalisations, assigné l'association diocésaine de la Guadeloupe en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour débouter la société Semsamar de sa demande, l'arrêt retient que l'expert n'apporte aucun élément d'appréciation sur le rapport entre le coût des travaux et le coût général de l'opération, qu'eu égard à la nature et l'amplitude du projet immobilier envisagé par la société Semsamar, acheteur professionnel, et de la nécessité d'alimenter en eau l'ensemble ainsi projeté, le raccordement aux réseaux d'eau existants a nécessairement conduit cet acheteur professionnel à s'enquérir de leur emplacement préalablement à l'acquisition puis à la définition de l'implantation des immeubles, et que le manque d'information sur la charge représentée par la présence de l'une de ces conduites d'eau et imputable à l'association diocésaine ne saurait entraîner une éviction suffisante au sens de l'article 1638 du code civil ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le vendeur n'avait pas faussement affirmé dans l'acte de vente qu'il n'avait constitué sur le fonds aucune servitude et qu'il n'en existait pas à sa connaissance et si cette déclaration ne constituait pas une faute contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 4 avril 2011 et 30 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ;

Condamne l'association diocésaine de Guadeloupe aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille treize. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils pour la société Semsamar :

IL EST REPROCHE à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société SEMSAAMAR tendant à l'indemnisation du préjudice que lui avait causé l'existence de canalisations enterrées dans le fonds que lui avait vendu l'Association diocésaine de Guadeloupe ;

AUX MOTIFS QUE « aux termes de l'article 1638 du code civil, si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux il n'aime se contenter d'une indemnité ; qu'en l'espèce, la société Semsamar, qui se prévaut de l'existence de servitudes non apparentes non déclarées par l'Association Diocésaine lors de l'acquisition du fonds constitutif de terrain à bâtir et appartenant à cette dernière, ne sollicite pas la résiliation du contrat mais le paiement d'une indemnité ; qu'il revient dès lors à l'acquéreur de démontrer l'existence de servitudes non apparentes et non déclarées par son vendeur mais aussi d'une importance telle que l'acquisition n'aurait pas eu lieu, compte-tenu de ses objectifs s'il en avait connu l'existence ; qu'à cet égard, l'acte authentique relatif à la vente passée le 21 octobre 2004 entre l'Association Diocésaine de la Guadeloupe et la Semsamar, ne fait mention d'une quelconque servitude a fortiori d'utilité publique au vu du certificat d'urbanisme délivré au notaire rédacteur ; qu'il est cependant incontestable que la présence de deux canalisations d'eau enterrées d'un diamètre respectif de 300 mm et de 500 mm a été révélée, selon la Semsamar, en limite Nord et Est du terrain vendu à l'occasion des travaux de décaissement préalable à l'édification des immeubles à bâtir ; qu'il n'est pas davantage contesté que, le 14 février 1994, suivant convention passée par la société immobilière de la Guadeloupe et la Maîtrise de Massabielle représentée par l'évêque de la Guadeloupe, Mgr Cabo, après avoir pris connaissance du plan de piquetage d'une conduite enterrée devant être posée sur sa propriété de la Jaille, ce dernier, a autorisé la société immobilière de la Guadeloupe à occuper temporairement, pendant la durée des travaux, une bande de terrains de 6 m de large et accordé à ladite société une servitude portant sur une bande de terrains de 3 m de large en vue de la surveillance et de l'entretien de la conduite ; que cette convention n'a fait l'objet d'aucune publicité ; que les liens entre la Maîtrise de Massabielle, utilisatrice du fonds au titre d'équipements sportifs, et l'Association Diocésaine, propriétaire du fonds, sont indiscutables, la première, même dissoute, étant une émanation de la seconde au vu du procès-verbal du conseil d'administration de l'association produit aux débats, de sorte que l'association diocésaine représentée par l'évêque de la Guadeloupe, Mgr Cabo, ne peut prétendre ignorer l'existence de cette canalisation, enterrée avec son accord sur son fonds antérieurement à la passation de l'acte authentique ci-dessus qu'il est également établi que, compte tenu de la nature et de l'utilité publique de cette conduite d'eau, les prescriptions légales consécutives à l'implantation d'une telle conduite d'eau n'ont pas été mises en oeuvre par les autorités compétentes ; qu'en revanche, la preuve n'étant pas rapportée par la Semsamar de la connaissance par l'Association Diocésaine de l'existence de la deuxième canalisation, c'est à juste titre que cette dernière ne peut opposer à la première la clause contractuelle de non garantie explicitement retenue par les parties lors de la signature de l'acte authentique précité ; que par ailleurs, s'agissant de la canalisation préexistante, il résulte du rapport d'expertise de M. Ramzay que, la réalisation de l'ensemble immobilier retenue par la Semsamar et comportant huit bâtiments à usage de bureaux et de commerce, compte tenu du dénivelé moyen de 9 m, d'une pente orientée Nord-Sud et de l'accessibilité de l'ensemble en direction du Sud, supposait l'exécution de terrassements, pour partie à la suite d'un décaissement, de façon à obtenir une altimétrie moyenne d'environ 12 m ; qu'en effet, la canalisation enterrée en limite Nord se trouvait en position altimétrique supérieure au niveau moyen nécessairement retenu pour l'édification de l'ensemble immobilier, ce qui ne permettait pas la réalisation des ouvrages prévus sur cette partie du terrain et conduisait à leur déplacement faute de quoi l'emprise est importante sur le terrain d'assiette qui ne peut être utilisé ; qu'en cas de positionnement souterrain, il était nécessaire de retenir un accès très aisé et pas d'ouvrage important sur l'emprise ; que l'expert souligne qu'en présence de cette conduite et de la conduite révélée, il n'était pas possible de réaliser le projet de construction suivant les plans établis par les concepteurs ; qu'il ajoute qu'en raison de l'avancement des travaux de terrassement ainsi que la passation de l'ensemble des marchés après délivrance des autorisations et permis nécessaires et consultations des entreprises, il n'était pas possible de modifier le projet afin d'intégrer la présence de ces conduites à la suite de leur découverte ; que l'expert n'apporte cependant aucun élément d'appréciation sur le rapport entre le coût des travaux et le coût général de l'opération, étant entendu que le prix de vente représentait environ 2 500 000 € et le coût du dévoiement de la canalisation environ 63 000 € ; que par ailleurs, eu égard à la nature et l'amplitude du projet immobilier envisagé par la Semsamar, dont l'appelante rappelle à juste titre qu'il est un acheteur professionnel, et, en tout état de cause, de la nécessité d'alimenter en eau l'ensemble ainsi projeté, le raccordement aux réseaux d'eau existants a nécessairement conduit cet acheteur professionnel à s'enquérir de leur emplacement préalablement à l'acquisition puis à la définition de l'implantation des immeubles ; qu'ainsi, le manque d'information sur la charge représentée par la présence de l'une de ces conduites d'eau et imputable à l'Association Diocésaine ne saurait entraîner une éviction suffisante au sens de l'article 1638 du code civil et avoir pour conséquence la prise en charge du déplacement de cette conduite d'eau à titre de garantie » ;

1. ALORS QUE le vendeur d'un fonds qui affirme faussement dans l'acte de vente qu'il n'a constitué sur ledit fonds aucune servitude et qu'il n'en existe pas à sa connaissance, commet une faute contractuelle dont il doit réparation, quelle que soit l'importance de la servitude ou de la gêne qu'elle cause pour l'usage du fonds ; que pour dire que l'Association diocésaine de la Guadeloupe devait réparation à la SEMSAMAR du préjudice causé par la présence dans le sol des canalisations d'eau, le Tribunal avait considéré que dans l'acte authentique de vente des 1er avril et 4 mai 2004 le promettant avait déclaré " qu'il n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude sur le bien vendu et qu'à sa connaissance il n'en existe aucune " ; que le 14 février 1994 la SIG et la Maîtrise de Massabielle ", représentée par monseigneur CABO, évêque de la GUADELOUPE, ont signé une convention aux termes de laquelle ce dernier autorise la SIG à occuper temporairement, pendant la durée des travaux, une bande de terrain de six mètres de large et accorde à la SIG une servitude portant sur une bande de terrain de 3 mètres de large en vue de la surveillance et de l'entretien de la conduite ; que si la création de cette servitude a été autorisée par " la Maîtrise de Massabielle " qui n'a pas la qualité de propriétaire mais celle de simple occupant, il n'en demeure pas moins que le propriétaire, l'ASSOCIATION DIOCESAINE DE LA GUADELOUPE, ne pouvait ignorer avoir laissé créer cette servitude, puisque cette convention a été signée de monseigneur CABO évêque de la GUADELOUPE qui se trouve être aussi, par l'intermédiaire de son mandataire le père X..., le représentant du vendeur dans l'acte des 1er avril et 4 mai 2004 ; que puisque la servitude dont s'agit avait un caractère caché que l'acheteur ne pouvait deviner, l'ASSOCIATION DIOCESAINE DE LA GUADELOUPE lui doit sa garantie au résultat des dispositions contractuelles qui prévoient que " le promettant supportera les conséquences de l'existence des servitudes qu'il aurait conférées sur le bien et qu'il n'aurait pas indiquées aux présentes... " ; que dans ses conclusions d'appel, la SEMSAMAR se fondait expressément sur la clause figurant à la page 5 de l'acte de vente, au terme de laquelle le vendeur déclarait qu'il n'existait, à sa connaissance, aucune servitude autre que celles indiquées au présent acte (conclusions page 14) et que l'Association Diocésaine ne pouvait par conséquent invoquer sa bonne foi, notamment pour se prévaloir de la clause de non garantie, dès lors que, contrairement à ce qui avait été affirmé par Monseigneur CABO dans l'acte de vente, celui-ci était parfaitement informé de l'existence d'une servitude, pour l'avoir consentie lui-même, et qu'il avait caché l'existence de celle-ci à l'acquéreur ; qu'enfin, l'arrêt attaqué reconnaît lui-même que la servitude litigieuse était connue du vendeur, qui l'avait dissimulée ; qu'en infirmant le jugement à la confirmation duquel concluait la SEMSAMAR, aux motifs que le manque d'information sur la charge représentée par la présence de l'une de ces conduites d'eau et imputable à l'Association Diocésaine ne saurait entraîner une éviction suffisante au sens de l'article 1638 du code civil et avoir pour conséquence la prise en charge du déplacement de cette conduite d'eau à titre de garantie sans s'expliquer sur les conséquences de la faute contractuelle commise par la venderesse qui avait affirmé faussement n'avoir laissé créer aucune servitude sur le bien vendu et qu'à sa connaissance il n'en existait aucune, la Cour d'appel a privé de motif sa décision en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;

2. ALORS QUE la Cour d'appel qui, saisie par la SEMSAMAR d'une demande indemnitaire fondée sur les dispositions de l'article 1147 du Code civil, et de conclusions aux termes desquelles elle faisait valoir que Monseigneur CABO avait faussement indiqué dans l'acte de vente qu'il ignorait l'existence d'une servitude dont il connaissait en réalité parfaitement l'existence pour l'avoir consentie, ne pouvait débouter l'exposante sans examiner la demande indemnitaire fondée sur l'article 1147 du Code civil et reposant sur la fausseté des déclarations du vendeur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

3. ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; en l'espèce il résultait du jugement à la confirmation duquel concluait la SEMSAMAR que la promesse de vente des 1er avril et 4 mai stipulait que le promettant supportera les conséquences des servitudes qu'il aurait conférées sur le bien et qu'il n'aurait pas indiquées aux présentes ; que la Cour d'appel a constaté que l'évêque de la Guadeloupe, Monseigneur Cabo, représentant de la Maîtrise de Massabielle et de l'Association diocésaine avait conféré une servitude sur le fonds vendu pour le passage et l'entretien d'une canalisation enterrée et ne pouvait prétendre ignorer l'existence de cette canalisation enterrée avec son accord sur le fonds antérieurement à la vente ; qu'en déboutant la SEMSAMAR de son action en garantie lorsque l'Association diocésaine, venderesse, devait contractuellement sa garantie pour les servitudes qu'elle avait conférées sur le fonds vendu et qu'elle n'avait pas déclarées à la promesse de vente, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

4. ALORS QUE si l'héritage vendu se trouve grevé, sans qu'il en ait été fait de déclaration, de servitudes non apparentes, et qu'elles soient de telle importance qu'il y ait lieu de présumer que l'acquéreur n'aurait pas acheté s'il en avait été instruit, il peut demander la résiliation du contrat, si mieux n'aime se contenter d'une indemnité ; que la garantie légale est de droit dès lors que l'existence de la servitude non déclarée cause un préjudice à l'acquéreur ; que la Cour d'appel qui a constaté que la présence de la conduite mettait obstacle à la réalisation du programme immobilier prévu par l'acquéreur, qui a relevé que le déplacement de la conduite nécessaire à la réalisation du programme immobilier modifié avait été pour lui source de frais et qui a écarté la demande de garantie au prétexte que le manque d'information sur la charge représentée par la présence de l'une de ces conduites d'eau et imputable à l'Association Diocésaine ne saurait entraîner une éviction suffisante au sens de l'article 1638 du code civil et avoir pour conséquence la prise en charge du déplacement de cette conduite d'eau à titre de garantie, a subordonné la mise en oeuvre de la garantie à une condition, le caractère suffisant de l'éviction, que la loi ne prévoit pas, en violation de l'article 1638 du Code civil ;

5. ALORS QUE la Cour d'appel qui déduit le caractère prétendument « insuffisant » de l'éviction de la constatation que le prix de vente ayant été fixé à 2. 500. 000 €, et le coût du dévoiement d'environ 63. 000 €, l'acquéreur, professionnel, a « nécessairement dû » s'enquérir de l'emplacement des canalisations préalablement à l'acquisition et à la définition des immeubles, s'est déterminée par un motif hypothétique, impropre à établir qu'informée de l'existence de la servitude, la SEMSAMAR aurait néanmoins accepté de contracter, et a privé sa décision de motif et violé l'article 455 du Code de Procédure Civile.

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