Article initialement publié le 23 mars 2020 sur le Site du  https://village-justice.com. Republication à titre d'archive

 

Depuis le 17 mars 2020, la France est confinée. Les mis en cause dans des procédures pénales le sont souvent depuis plus longtemps. Mais si le confinement est une mesure prophylactique, l’enfermement est une menace pour la santé des détenus.

Dans ces circonstances, quelles doivent être les conséquences de la pandémie de Covid 19 sur la détention provisoire des personnes mises en cause dans des procédures pénales ?

« L’humanité, comme une armée en campagne, avance à la vitesse du plus lent. » (Gabriel Garcia Marquez, L’amour au temps du Choléra).

Comme l’a rappelé le Président de la République, nous sommes en guerre contre un virus. A l’évidence, ce dernier est plus rapide que les mesures pouvant être prises à son encontre. Plus lente encore est hélas la réponse apportée en termes de protection des détenus, a fortiori des détenus à titre provisoire, qui restent présumés innocent. Les prisons sont un lieu privilégié de développement des infections, du fait d’une promiscuité inhérente à leur fonction, et qui est encore aggravée par la surpopulation pénitentiaire.

D’ores et déjà, un détenu incarcéré à la prison de Fresnes est mort, victime du Covid 19. Trois personnels de l’établissement sont également malades : deux infirmières et la directrice des ressources humaines 

Face à ce défi de santé publique, la réponse du Ministère de la Justice sa cantonne à allouer des crédits pour téléphoner, des aides pour cantiner et… la gratuité de la télévision. Les parloirs famille sont suspendus. Les visites d’avocats, elles, sont maintenues. A croire que les avocats, comme leurs clients, bénéficieraient d’une immunité naturelle.

Plus sérieusement, un collectif d’avocats et de magistrats a appelé à la réduction du nombre de personnes incarcérées pour de courtes peines ou en fin de peine, notamment par le recours massif à la grâce individuelle, mesure qui concernerait les condamnés à titre définitif et non les personnes en détention provisoire 

S’agissant de ces derniers, le désengorgement carcéral relève non de grâces mais de mise en libertés, qui relèvent selon les situations procédurales, du binôme juge d’instruction / juge des libertés et de la détentions (personnes mise en examens), du Tribunal correctionnel (prévenus en attente de jugement) ou de la Chambre de l’instruction (Accusés en attente de comparution devant la Cour d’assises).

Sur un plan opérationnel, il appartient donc aux détenus ou à leurs conseils de déposer des demandes de mises en liberté auprès de la juridiction compétente.

La promotion 2020 de la Conférence du Barreau de Paris a mis à la disposition des avocats un modèle de demande de mise en liberté 

Ce modèle détaille parfaitement les enjeux juridiques posés par le maintien des détentions provisoires : - En Droit européen des Droits de l’Homme, atteinte aux Droits à la vie  et prohibition des traitements inhumains et dégradants  - En Droit interne, atteinte à la dignité des détenus  et garantie des conditions d’hygiène et de sécurité 

Naturellement, personne ne soutient que la détention provisoire doive être abolie, ou que l’ensemble des prisonniers de France devraient être immédiatement mis en liberté. Il est en revanche urgent que la situation à laquelle la France fait face conduise nos institutions judiciaires à revenir à l’application normale d’un principe simple, à savoir le caractère par nature exceptionnel de la détention 

Il en va de la santé des détenus, mais également de la responsabilité de l’Etat. La jurisprudence administrative admet le principe de responsabilité de ce dernier pour faute simple à la suite du suicide d’un détenu, et n’exige plus depuis 2003 la difficile démonstration d’une faute lourde de l’administration pénitentiaire  Mutatis mutandis, la responsabilité de l’Etat semble susceptible d’être engagée à raison de la contamination des détenus en prison.

Afin de permettre l’effectivité de la défense des détenus, il est souhaitable que l’article 148-6 du Code de procédure pénale avec souplesse : en principe, les demandes de mise en liberté doivent être physiquement déposées au greffe de la juridiction par l’avocat, exigence étrange en période de confinement.

Lorsque la personne ou son avocat ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffe peut être faite au moyen d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, modalité alternative aléatoire compte-tenu des difficultés de fonctionnement de la poste. Dans les circonstances actuelles, il est désolant que les demandes formulées par télécopie, courrier électronique, et naturellement par RPVA (réseau privé virtuel des avocats) ne soient pas recevables. Les demandes d’actes au juge d’instruction peuvent être transmises par RPVA, pourquoi pas les demandes de mise en liberté ?

Le désengorgement des prisons est une urgence démocratique et sanitaire. Le confinement à domicile est parfois vécu comme cent ans de solitude. Dans le cas des détenus, il s’agit d’échapper à la chronique de morts annoncées.

 

Alexandre-M. BRAUN

https://braun-avocat.com