Selon la jurisprudence administrative, le lien entre la maladie et le service doit être direct et certain, mais non nécessairement exclusif.
CE, 23/09/2013, n° 353093 ; CAA NANCY, 25/10/2018, n° 17NC00699

Plus exactement, le Conseil d’État a jugé que la maladie doit être regardée comme professionnelle « […] si elle présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service […] ».
CE, 13/03/2019, n° 407795

Les conclusions rendues dans cette affaire par le rapporteur public, M. Laurent CYTERMANN, sont éclairantes sur les éléments à prendre en compte pour apprécier l’existence d’un lien direct et certain entre une affection psychique, telle qu’une dépression et l’exercice des fonctions.

Comme point de départ de son raisonnement, ce dernier s’interroge comme suit : « […] Faut-il admettre que toute maladie psychique en lien avec le contexte professionnel est imputable au service ? […]. »

Pour répondre à cette question, M. CYTERMANN fait le parallèle avec les règles applicables au secteur privé.

A ce titre, il indique que :

« […] L’approche développée dans le secteur privé ne consiste pas à reconnaitre comme maladie professionnelle toute dépression consécutive à des évènements survenus dans le cadre du travail. La procédure de reconnaissance se fonde sur des éléments dont il est admis qu’ils sont particulièrement propres à créer cette souffrance psychique. En d’autres termes, pour qu’une maladie psychique soit reconnue comme une maladie professionnelle, il faut que le contexte professionnel soit pathogène. […]. »

Dès lors, le rapporteur public propose à la formation de jugement de réaffirmer la nécessité de « circonstances particulières tenant aux conditions de travail ».

Il considère cette approche comme « […] conforme au fondement de votre jurisprudence depuis votre décision CAMES, puisqu’elle fait reposer l’imputabilité au service sur le risque professionnel : pour établir le lien direct, il faut donc considérer ce risque. Elle ne fait pas supporter aux administrations les conséquences d’une décision relevant de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique. […]. »

A cet égard, la haute juridiction administrative a été amenée à considérer que :

« […] en jugeant néanmoins que la photologie dont souffrait Mme A… devait être regardée comme imputable au service, alors que le dossier qui lui a été soumis ne faisait apparaitre aucune circonstance particulière, tenant à ses conditions de travail, susceptibles de l’avoir occasionné, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de la cause […] ».
CE, 24/10/2014, n° 362723

Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public, M. Xavier DE LESQUEN, explique que :

« […] sont pris en compte des faits saillants, significatifs d’un incident, d’un disfonctionnement du service susceptibles d’affecter l’état psychique de l’agent mais également des mesures éventuellement prises à cette occasion […] ».

Ces termes se retrouvent dans une décision du 1er février 2017, dans laquelle le Conseil d’Etat retient qu’aucune « […] des pièces du dossier […] ne permettait d’identifier un incident ou un dysfonctionnement du service susceptibles d’être regardés comme pouvant constituer la cause de la maladie […] ».
CE, 1er/02/2017, n° 396810

Dans le même esprit, le Conseil d’Etat a récemment rappelé que l’exercice normal du pouvoir hiérarchique peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches, ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires ; ainsi, un comportement ou des propos tenus à l’égard d’un subordonné, notamment lors d’un entretien, lorsqu’ils n’excèdent pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne permettent pas de caractériser un accident de service.
CE, 27/09/2021, n° 440983

En résumé et comme indiqué par Mme Marie-Gabrielle MERLOZ, rapporteur public, dans ses conclusions sous l’arrêt n° 437254 du 22 octobre 2021 rendu par le Conseil d’Etat :

« […] Le juge de l’excès de pouvoir doit procéder à une analyse en 2 tempsIl doit d’abord s’intéresser au contexte professionnel afin de déterminer s’il est susceptible d’être à l’origine de la maladie. Pour reprendre la formulation de Laurent CYTERMANN dans ses conclusions sur cette affaire, c’est le cas si le contexte professionnel se révèle pathogène, caractéristique qui n’implique pas nécessairement que l’administration ait commis une faute. Et conformément à votre jurisprudence F… (CE, 23/09/2013, n°353083, aux T.) qui abandonne le caractère exclusif du lien entre la maladie et le service, vous vous en tenez à l’existence à un lien direct et certain (CE, 11/02/1981, Ministre de l’Intérieur c/ M…, n°19614, aux T.).

Le juge doit ensuite rechercher s’il est fait état d’éléments qui seraient de nature à détacher la maladie du service. Ces éléments peuvent être de 2 ordres. Il peut s’agir d’un « fait personnel » : cette notion, plus large que celle de faute personnelle retenue en matière d’accidents de service, permet de prendre en compte le comportement général de l’agent. Vous émettez également « toute autre circonstance particulière », ce qui englobe notamment, de jurisprudence constante, l’existence d’antécédents médicaux (voyez entre autres, la décision précitée Ministre de l’Intérieur c/ M… qui relève l’absence de prédispositions ou de manifestations pathologiques de même nature décelées antérieurement chez le fonctionnaire et, plus récemment, avec une autre formulation, la décision du 24 octobre 2014, SIEP de MOIRANS, n°362723, aux T. sur un autre point). […] »

Dans son arrêt n° 437254 du 22 octobre 2021, le Conseil d’Etat a censuré la décision des juges du fond, au motif qu’ils avaient éludé le second temps du raisonnement.

A cet égard, dans ses conclusions rendues dans cette affaire, le rapporteur public indique que :

« […] Il appartenait à la Cour d’examiner le comportement du requérant, non sous ce seul prisme, mais dans le cadre d’une mise en balance des comportements respectifs du fonctionnaire et de l’administration afin de déterminer, dans une logique de « tout ou rien » propre à ce type de contentieux, qu’elle était la cause prépondérante ou déterminante dans l’apparition de sa pathologie. Le lien de causalité médical entre la pathologie et le service constaté par la Cour ne suffit pas davantage puisqu’il conduirait, lorsque, comme en l’espèce, une pathologie dépressive est en lien avec le contexte professionnel, à admettre automatiquement l’imputabilité au service, écueil qu’a précisément entendu éviter votre jurisprudence. […]. »

Or, dans cette affaire, l’administration soutenait que dès le changement de présidence et de directrice, l’agent avait adopté une attitude d’opposition systématique.

Cet arrêt illustre donc le fait qu’un comportement personnel de l’agent, telle une attitude d’opposition systématique à la nouvelle hiérarchie, peut être regardé comme un fait de nature à détacher du service la survenance de la maladie, alors même que l’intéressé ne présentait antérieurement aucun état anxiodépressif.
CE, 22/10/2021, n° 437254

De même, la Cour administrative d’appel de LYON a récemment jugé que :

« […] alors même que certaines font par ailleurs état de la charge de travail et des nombreux déplacements qui lui incombaient, il résulte de l'ensemble de ces pièces médicales que le syndrome anxio-dépressif dont souffre Mme B... n'est pas lié à ses conditions de travail mais à des traits de sa personnalité, détachables du service. […]. »
CAA LYON, 25/01/2023, n° 21LY00628

Selon cette décision, lorsque les traits de personnalité de l'agent sont la cause de la maladie, cette circonstance est de nature à détacher la maladie du service, et ce quand bien même le contexte de travail présentait un caractère 'pathogène".

Il en résulte qu'une appréciation au cas par cas doit être effectuée, pour apprécier le lien entre la pathologie d'ordre psychique déclarée par l'agent et le service, l'une des deux conditions posées par l'article L 822-20 du code général de la fonction publique pour qu'une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles soit reconnue  imputable au service.

Alexandre TRONCHE
Avocat en droit de la fonction publique