Le décret de procédure n°2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire n’en finit pas d’égrainer ses jurisprudences.

Tantôt la Cour de cassation se montre magnanime envers les plaideurs ayant commis des erreurs matérielles, notamment dans l’usage du réseau privé virtuel avocat (RPVA) et admet la notification de conclusions sous un message mal intitulé, tantôt elle foudroie sur place le plaideur, notamment lorsqu’il omet de respecter les délais de procédure qui lui sont strictement imposés par les articles 902, 908 à 910 du code de procédure civile.

 

Deux arrêts rendus consécutivement les 21 et 28 janvier 2016 par la seconde chambre civile de la Cour de cassation illustrent cette sévérité et rendent plus délicate à aborder qu’hier la procédure d’appel.

En effet, la Cour de cassation emprunte des chemins ardus afin de restreindre encore les possibilités, pour le plaideur ayant oublié de respecter un des nombreux délais de procédure, de se rattraper et d’espérer, malgré tout, développer une défense efficace sans se heurter soit à la caducité de sa déclaration d’appel lorsqu’il est appelant, soit à l’irrecevabilité de ses conclusions lorsqu’il est intimé à titre principal, incident ou provoqué.

Sur chacun de ces deux points, la seconde chambre civile de la Cour de cassation s’est donc employée à réduire le champ d’action du plaideur.

 

I- Un appel caduc ne peut plus être réitéré

L’espèce mérite d’être analysée dans le détail.

Un appelant a interjeté appel de la même décision à deux reprises. Les deux instances d’appel furent ensuite jointes, ce qui n’a pas créé pour autant une procédure unique. Il ne concluait pas ensuite dans le délai de trois mois de la première instance, mais postérieurement dans le délai de trois de la seconde déclaration d’appel.

Or la Cour d’Appel de Montpellier a jugé que la caducité de la première déclaration d’appel, par application des dispositions de l’article 908 du code de procédure civile, rendait nul et de nul effet la seconde déclaration d’appel.

Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt (n°14-18631), la seconde chambre civile de la Cour de cassation estime, selon son arrêt prononcé le 21 janvier 2016, que la Cour d’Appel a légalement justifié sa décision en énonçant que la seconde déclaration d’appel, identique à la première comme ayant été formée à l’encontre du même jugement et désignant le même intimé, était privé d’effet tandis que la première déclaration d’appel était régulière, avait emporté inscription immédiate de l’affaire au rôle et fait naître les obligations de l’article 908 précité.

Cet arrêt manque malheureusement d’un chapeau dégageant un principe. Mais il est fort probable que d’autres de la même veine suivront et permettront aux processualistes de vérifier si la seconde chambre de la Cour de cassation entend graver ou pas cette jurisprudence dans le marbre du 5 quai de l’horloge.

De cet arrêt, le lecteur déduira que l’appel caduc par application des sanctions du décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 – notamment des articles 902 et 908 du code de procédure civile – semble ne plus pouvoir être réitéré.

 

Par cet arrêt la Cour de cassation entend-elle ainsi donner un nouvel effet à la caducité de droit judiciaire privée issue du décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 ?

Ainsi que l’écrit Monsieur l’avocat général Pierre Mucchielli, « le caractère rétroactif de la caducité est reconnu par une grande partie des auteurs et admis par des décisions de la Cour de cassation »

Les professeurs Cornu et Foyer écrivent que « la caducité produit des effets comparable à ceux de l’annulation, bien que la cause en soit postérieure à l’accomplissement de l’acte qu’elle atteint » (« La procédure civile » coll. Thémis PUF).

Pour sa part, Monsieur Callé précise (in Rep. Proc. Civ. Dalloz « la caducité n°118 et suiv.) : « l’acte atteint de caducité ne produit plus d’effets pour l’avenir.  (…), par principe, l’anéantissement de cet acte est rétroactif et que ce n’est qu’à titre exceptionnel que la jurisprudence ne lui reconnaît pas une portée rétroactive ». Pour Madame Fricéro, si les conséquences de la caducité ne sont pas définies de façon générale par le code de procédure civile, l’anéantissement caractérise la caducité des actes de procédure, sa portée variant en fonction de l’acte lui-même, puisque tous ses effets sont anéantis (cf. Jc.l. « Caducité » fasc. 680 n°82 et suiv.).

Quant à la Cour de cassation, l’Assemblé Plénière a jugé qu’une assignation atteinte de caducité ne pouvait interrompre le cours de la prescription (Ass. Plén. 3 avril 1987), la seconde chambre civile estimant encore récemment que la caducité d’une mesure d’exécution la privait rétroactivement de tous ses effets (24 septembre 2014 pourvoi n°13-11887).

Enfin, aux termes d’un arrêt du 13 mai 2015 (pourvoi n°14-13801), déjouant tous les pronostics, la seconde chambre civile allait jusqu’à estimer, nonobstant l’article 550 du code de procédure civile, que « l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal. » Elle ajoutait encore que la caducité de l’appel principal ayant été prononcée, « l’instance d’appel était éteinte », de sorte que la Cour d’appel ne pouvait pas être saisie d’un l’appel incident.

Mais grâce à cet effet rétroactif de la caducité, ne pouvait-il pas être jugé justement par la seconde chambre civile qu’une seconde déclaration d’appel pouvait être réitérée tant que le délai d’appel n’était pas expiré ?

L’auteur de ces lignes le pense modestement.

Madame Fricero et Monsieur Brenner l’écrivaient d’ailleurs très clairement tant à propos de la caducité prévue à l’article 902 du code de procédure civile que de celle prévue à l’article 908 (in « La nouvelle procédure d’appel » Lamy Axe Droit éd. 2010 n°55 & 114 – aussi N. Fricero Jc.l. « Caducité » fasc. 680 n°89 et suiv.) : « la caducité est un incident extinctif de l’instance à titre principal, qui n’interdit pas la formation d’une nouvelle déclaration d’appel si le délai n’est pas expiré »

La pratique avait d’ailleurs entériné cette analyse et les cours d’appel ne sanctionnaient pas cette réitération.

 

Un fois encore, sur la procédure d’appel, la Cour de cassation s’inscrit en rupture des pratiques et des analyses doctrinales. Elle semble bel et bien vouloir freiner l’appelant dans sa procédure qui devra, dès qu’elle est initiée, être très strictement accomplie.

 

 

II- L’irrecevabilité de toutes les conclusions de l’intimé

L’article 909 du code de procédure civile énonce que « L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident ».

Mais lorsque le législateur a instauré cette irrecevabilité pour conclure et former appel incident, il s’est gardé de préciser la nature des conclusions visées par lui.

Du moins, n’a-t-il pas apporté de précision particulière, sans inclure, ni exclure, quelque conclusions que ce soit : conclusions au fond devant la Cour ou conclusions devant le conseiller de la mise en état.

S’il paraît évident qu’il a visé les conclusions de l’intimé signifiées au fond en réplique sur le débat imposé par l’appelant en vertu de sa déclaration d’appel et des limites à l’appel qu’il a pu y fixer, ainsi que de ses conclusions postérieures à cette déclaration, il ne s’est pas positionné sur les éventuels autres débats qu’il peut encore imposer à cet appelant.

Autrement posée, après l’expiration des délais, l’intimé est-il encore habile à faire obstacle à l’appelant en saisissant le conseiller de la mise en état d’un incident ?

En droite ligne de l’avis n°1300004 de la Cour de de cassation du 21 janvier 2013, la chambre des déférés de la Cour d’Appel d’Orléans avait déjà en 2013, par deux arrêts (RG 12/3595 & 13/284), précisé que « les conclusions exigées par l’article 909 (…) sont toutes celles (…) qui déterminent l’objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance ».

Mais ces avis et jurisprudence ne permettaient que de qualifier les conclusions pour valider ou invalider le respect du délai de l’article 909.

Le 28 janvier 2016, la seconde chambre civile a été appelée à préciser que l’intimé, qui a vu ses conclusions jugées irrecevables comme tardives pour ne pas avoir respecté un des délais des articles 909 et 910 du code de procédure civile, ne peut pas soulever un incident d’instance et que le juge d’appel ne peut davantage le soulever à sa place – sauf cependant – ce que la Cour de cassation ne mentionne pas mais qui résulte de la lecture de l’article 125 du code de procédure civile - à ce que celui-ci relève de l’ordre public ou d’une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

En l’espèce, l’intimée avait soulevé, dans le cadre de ses conclusions au fond signifiées tardivement, le défaut de pouvoir du représentant de la personne morale appelante. Les conclusions au fond en réplique de l’intimée ayant été jugées irrecevables pour tardiveté et l’appel principal ayant été jugé recevable par le conseiller de la mise en état, c’est la Cour saisie sur déféré qui avait repris à son compte l’argument de l’intimé en relevant d’office le motif de l’irrecevabilité de l’appel et en déclarant l’appel principal irrecevable.

Dans un attendu clair, la seconde chambre civile (pourvoi n°18-18712) sanctionne la Cour d’Appel d’Angers et juge, au visa des articles 909 et 911-1 du code de procédure civile, que :

« Ayant laissé expirer le délai qui lui est imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour conclure, l'intimé n'est plus recevable à soulever un moyen de défense ou un incident d'instance. »

La leçon à tirer de cet arrêt, destiné à une publication au bulletin, est bien que l’intimé ne peut plus rien tenter après que ses conclusions ont été jugées irrecevables pour non-respect des délais règlementaires ni évidemment devant la juridiction au fond, ni même devant le conseiller de la mise en état par voie d’incident.

 

Maître Alexis Devauchelle,

Avocat au Barreau d’Orléans, spécialiste de l’appel

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