OUI : mais attention sous certaines conditions et sous le contrôle strict du juge administratif car la liberté de manifester est la règle et la restriction de police l’exception. Ainsi, les autorités publiques, chargées de garantir l’ordre public, ne peuvent apporter aux libertés publiques d’autres restrictions que celles qui sont indispensables pour atteindre cet objectif. L’idée d’une conciliation entre l’ordre public et les libertés publiques apparaît dès l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme selon lequel « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
Dans le célèbre arrêt « Baldy » du 10 août 1917, le Conseil d’Etat considère que l’ordre public ne peut porter atteinte aux libertés que si : « Les atteintes susceptibles d’être portées [aux libertés] ne sont admises que lorsqu’elles s’avèrent strictement nécessaires pour assurer le respect de l’ordre public ou pour opérer une conciliation avec une autre liberté. »
Le commissaire du gouvernement Corneille dans ses conclusions sur l’arrêt Baldy du 10 août 1917 précisait ainsi :
« Pour déterminer l’étendue du pouvoir de police dans un cas particulier, il faut toujours se rappeler que les pouvoirs de police sont toujours des restrictions aux libertés des particuliers, que le point de départ de notre droit public est dans l’ensemble les libertés des citoyens, que la Déclaration des droits de l’homme est, implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines, et que toute controverse de droit public doit, pour se calquer sur les principes généraux, partir de ce point de vue que la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ».
Conseil d'Etat, du 10 août 1917, 59855, publié au recueil Lebon (Baldy)
1° Le juge administratif saisi doit rechercher si les arrêtés de police ont bien été pris dans l’intérêt du maintien de l’ordre public.
Conseil d'Etat, du 19 février 1909, 27355, publié au recueil Lebon (abbé Olivier)
« Si le maire est chargé par l'art. 97 de la loi du 5 avril 1884 du maintien de l'ordre dans la commune, il doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois et il appartient au Conseil d'Etat saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté, rendu par application de l'art. 97, précité, non seulement de rechercher si cet arrêté porte sur un objet compris dans les attributions de l'autorité municipale, mais encore d'apprécier, suivant les circonstances de la cause, si le maire n'a pas, dans l'espèce, fait de ses pouvoirs un usage non autorisé par la loi.
En interdisant les manifestations extérieures du culte consistant en processions, cortèges et cérémonies, le maire ne fait qu'user des pouvoirs de police, qui lui sont conférés, dans l'intérêt de l'ordre public, par l'art. 97 de la loi du 5 avril 1884, auquel se réfère l'art. 27 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat.
L'art. 1er de la loi du 9 décembre 1905 garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public et l'art. 2 de la loi du 15 novembre 1887 interdit aux maires d'établir des prescriptions particulières applicables aux funérailles, en distinguant d'après leur caractère civil ou religieux ; d'autre part, il résulte des travaux préparatoires de la loi du 9 décembre 1905 et de ceux de la loi du 28 décembre 1904 sur les pompes funèbres que l'intention manifeste du législateur a été, spécialement en ce qui concerne les funérailles, de respecter autant que possible les habitudes et les traditions locales et de n'y porter atteinte que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l'ordre.
En conséquence, un arrêté municipal réglementant les convois funèbres doit être annulé, alors qu'il résulte de l'instruction que dans la commune aucun motif tiré de la nécessité de maintenir l'ordre sur la voie publique ne pouvait être invoqué par le maire pour lui permettre de réglementer, dans les conditions fixées par son arrêté, les convois funèbres et notamment d'interdire aux membres du clergé, revêtus de leurs habits sacerdotaux, d'accompagner à pied ces convois conformément à la tradition locale, et alors qu'il est au contraire établi par les pièces jointes au dossier, spécialement par une délibération du conseil municipal visée dans l'arrêté du maire, que les dispositions de cet arrêté ont été dictées par des considérations étrangères à l'objet, en vue duquel l'autorité municipale a été chargée de régler le service des inhumations.
Un maire ayant interdit toutes manifestations religieuses sur la voie publique à l'occasion des enterrements et son arrêté ayant été déféré au Conseil d'Etat, le pourvoi ainsi formé devient sans objet, depuis son introduction, un nouvel arrêté municipal a réglementé les convois funèbres et déterminé notamment les conditions, dans lesquelles le clergé pourrait y participer : ce nouvel arrêté a eu nécessairement pour effet de rapporter le premier arrêté. »
2° L’arrêt du Conseil d’Etat « Benjamin » du 19 mai 1933 a précisé les caractéristiques de l’entier contrôle par le juge administratif de la nécessité et de la proportionnalité des mesures de police.
L’arrêt Benjamin du 19 mai 1933 l’a explicité, en indiquant que « s’il incombe au maire de prendre les mesures qu’exige le maintien de l’ordre, il doit concilier l’exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion ».
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a considéré que l 'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre.
Dès lors, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen tiré du détournement de pouvoir, les requérants sont fondés à soutenir que les arrêtés attaqués sont entachés d'excès de pouvoir.
En l’espèce, pour interdire les conférences du sieur René X..., figurant au programme de galas littéraires organisés par le Syndicat d'initiative de Nevers, et qui présentaient toutes deux le caractère de conférences publiques, le maire s'est fondé sur ce que la venue du sieur René X... à Nevers était de nature à troubler l'ordre public.
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