Après avoir rendu hommage à Mademoiselle Bobard, dont le nom reste associé au respect de l'égalité des sexes dans la fonction publique, je voudrais aujourd'hui avoir une pensée pour une femme dont le comportement n'a pourtant pas été juridiquement irréprochable, mais dont le nom reste à jamais lié aux respect des droits de la défense, dès lors qu'une décision administrative revêt le caractère d'une sanction, la dame veuve Trompier Gravier.

La veuve Trompier-Gravier avait été nommée, par arrêtés du Préfet de la Seine des 13 mars 1924, 11 décembre 1924 et 22 janvier 1934, titulaire d'une autorisation d'occupation d'un kiosque à journaux sur le domaine public, sis boulevard St Denis à Paris. Celle-ci en avait confié la gérance à une certaine dame Lange à qui elle aurait soit-disant extorqué des fonds sous la menace de prendre un autre gérant. Alléguant le caractère gravement fautif du comportement de la veuve Trompier-Gravier, le Préfet de la Seine lui retira par un arrêté du 26 décembre 1939, à titre de sanction, l'autorisation dont elle bénéficiait.

La veuve Trompier-Gravier porta alors l'affaire devant le Conseil d'Etat qui, par un arrêt du 5 mai 1944, annula la sanction prononcée.

A n'en point douter, la sanction était sans doute justifiée sur le fond, mais le Conseil d'Etat a considéré, au plan formel de la légalité externe, « (...) qu'eu égard au caractère que présentait dans les circonstances susmentionnées le retrait de l'autorisation et à la gravité de cette sanction, une telle mesure ne pouvait légalement intervenir sans que la dame veuve Trompier-Gravier eût été mise à même de discuter les griefs formulés contre elle. La requérante, n'ayant pas été préalablement invitée à présenter ses moyens de défense, est fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise dans des conditions irrégulières par le préfet de la Seine et est, dès lors, entachée d'excès de pouvoir (...).». Ainsi, les droits de la défense n'avaient pas été respectés.

Aujourd'hui, 69 ans plus tard, grâce à l'audace de Mme Trompier-Gravier, tout le monde sait que toute sanction administrative prononcée sans qu'aient été garantis les droits de la défense encourt l'annulation. Et pourtant ...

SOURCE: Conseil d'Etat, Section, du 5 mai 1944, 69751, publié au recueil Lebon