Bien que les productions littéraires, artistiques ou scientifiques puissent s’exercer « librement, dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics et sous réserve des articles L. 121-6 et L. 121-7 » du code général de la fonction publique, en application de l’article L123-2 du code du code susvisé, les conditions d’exercice de ces activités sont soumises à certaines règles plus ou moins contraignantes.
1 – L’administration et le juge administratif vérifieront la réalité du caractère artistique de l’activité.
En effet, la création scientifique, littéraire ou artistique doit manifester la personnalité de son auteur.
Voir en ce sens la réponse du ministère de l’action et des comptes publics à la question écrite n° 10767 de Monsieur le Député Régis Juanico (Socialistes et apparentés – Loire ) publiée au JO le : 16/10/2018 page : 9273
« Si les articles de journaux peuvent être considérés comme des œuvres de l’esprit, au titre de la protection des œuvres littéraires, c’est à la condition qu’ils présentent une certaine originalité révélant la personnalité de l’auteur, une simple information n’étant pas protégée par le droit d’auteur. Or l’article 10 de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social dispose que le rôle du correspondant local de la presse régionale ou départementale est de contribuer à la collecte de toute information de proximité. L’information transmise par le correspondant local de presse ne saurait alors être considérée comme une œuvre de l’esprit dont la production peut être exercée librement par l’agent public. »
Conseil d’Etat, 20 juin 1973, Guillet, p. 423
Conseil d’Etat, 3 / 5 SSR, du 8 octobre 1990, 107762, publié au recueil Lebon
« si, en vertu de l’article 3 du décret loi du 29 octobre 1936, l’interdiction formulée à l’égard des fonctionnaires par le 1er alinéa de l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 d’exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit « ne s’applique pas à la production des œuvres scientifiques, littéraires ou artistiques », il ne ressort pas des pièces du dossier que l’activité de photographe que M. X… reconnaît avoir exercé cumulativement avec son emploi, ait revêtu un caractère artistique ; que la circonstance que l’activité privée ainsi exercée par l’intéressé se serait révélée financièrement déficitaire n’est pas de nature à lui enlever le caractère lucratif ; »
2 – La création intellectuelle ne saurait prendre une quelconque forme commerciale.
Est-ce à dire que l’administration peut interdire à un agent public de vendre un livre qu’il a écrit ?
Non, mais la jurisprudence du Conseil d’Etat en a fixé le cadre juridique :
- L’agent public ne doit pas bénéficier d’un véritable contrat de travail avec son éditeur afin d’éviter les situations dans lesquelles il se trouverait durablement liés par des liens de subordination ou d’intérêt à des organismes privés.
Conseil d’Etat, 4 / 1 SSR, du 28 septembre 1988, 66781, publié au recueil Lebon (Ministre de l’éducation nationale c/ Lemennicier)
« Il résulte des dispositions combinées de l’article 8 de l’ordonnance du 4 février 1959, alors applicable, et des articles 2 et 3 du décret du 29 octobre 1936 que les agents de l’Etat ne peuvent exercer à titre professionnel aucune activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. Si l’article 3 du même décret a prévu que cette interdiction ne s’appliquerait pas à « la production des œuvres scientifiques », l’ensemble des dispositions sus rappelées a eu pour objet d’éviter les situations dans lesquelles les agents de l’Etat se trouveraient durablement liés par des liens de subordination ou d’intérêt à des organismes privés. La production des œuvres scientifiques doit donc s’entendre comme la production autonome de telles œuvres. Et, M. L., qui a été recruté par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) en qualité d’ingénieur sans que son contrat comporte d’autres précisions concernant la production d’œuvres scientifiques ne peut être regardé comme entrant dans le champ d’application de l’article 3 du décret du 29 octobre 1936. Dès lors le ministre était, en tout état de cause, tenu de refuser à M. L. l’autorisation de cumuler une activité privée lucrative avec sa fonction de maître assistant à l’université de Paris IX. »
- L’agent public ne peut pas écrire ou éditer des ouvrages de nature à compromettre l’indépendance de ses fonctions, comme par exemple des ouvrages contenant de la publicité pour des entreprises qu’il est chargé de contrôler.
Conseil d’Etat, 2 / 6 SSR, du 19 mars 1997, 133338, mentionné aux tables du recueil Lebon
« La note par laquelle le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes enjoint à un contrôleur divisionnaire des fraudes de ne plus écrire d’ouvrages contenant de la publicité en faveur des professionnels qu’il était chargé de contrôler constitue une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En écrivant et en vendant des ouvrages contenant de la publicité en faveur des professionnels qu’il est chargé de contrôler, un contrôleur divisionnaire des fraudes méconnaît l’obligation d’indépendance à laquelle il est tenu dans l’exercice de ses fonctions. Légalité de la note de son supérieur hiérarchique lui enjoignant de mettre fin à ces activités. »
En effet, si la liberté créatrice semble absolue, la promotion mercantile du fruit de cette liberté est strictement encadrée.
Ainsi :
- La prise de direction d’un journal par un instituteur est illégale (Cour d’appel de Nancy, 8 mai 1934, Liccia, S., 1936, II, p.165) ;
- L’exploitation directe d’un brevet d’invention déposé par un fonctionnaire constitue une activité professionnelle prohibée (conseil d’Etat, avis, 8 mai 1969) ;
3 – Le Conseil d’Etat préconise donc aux agents publics concernés par ce type d’activité intellectuelle de céder ou de concéder sous forme de licence la commercialisation de leur invention.
- La Cour de cassation rappelle que les redevances perçues à l’occasion de l’exploitation d’une invention doivent être considérées comme la rémunération d’une activité indépendante.
Cour de Cassation, Chambre sociale, du 19 mars 1998, 96-18.974, Publié au bulletin
« Les redevances perçues à l’occasion de l’exploitation d’une invention doivent être considérées comme la rémunération d’une activité indépendante, quelle que soit la durée de cette activité qui, après avoir conduit à la découverte, s’est concrétisée dans la prise d’un brevet et s’est poursuivie dans son exploitation. »
- S’agissant des marques déposées, la Cour de cassation opère une distinction selon que les redevances que les redevances perçues sont ou non la contrepartie de l’engagement du titulaire de la marque de ne pas utiliser son nom à des fins commerciales.
Cour de Cassation, Chambre sociale, du 31 octobre 2000, 99-13.033, Publié au bulletin
« Ne constituent pas la rémunération d’une activité professionnelle non salariée, les sommes dont l’arrêt relève qu’elles ont été versées à un tiers par deux sociétés en contrepartie de son engagement de ne pas utiliser à des fins commerciales son nom dont elles sont ensuite devenues propriétaires pour l’avoir fait enregistrer à titre de marque. Dès lors la cour d’appel qui a maintenu le redressement de cotisations sociales opéré sur ces sommes par l’URSSAF n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé ensemble les articles L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle et R. 241-2 du Code de la sécurité sociale. »
Il est clair que les redevances, perçues par le propriétaire d’une marque commerciale, donnent lieu à paiement de cotisations de sécurité sociale au régime des travailleurs non salariés (Cass. soc. 13 février 1992).
Pour une position semblable, s’agissant des redevances perçues par des personnes exploitant une invention : (Cass. soc. 28 juin 1978).
La diffusion commerciale personnelle des œuvres étant impossible, le droit de représentation et d’exploitation doit être cédé par l’agent public à un organisme privé
Voir en ce sens la réponse du Ministère de la fonction publique, de la réforme de l’état et de la décentralisation à la question n° 31607 posée par Monsieur le Député Grosdidier François ( Rassemblement pour la République – Moselle), publiée au JO le : 11/12/1995 page : 5249
« Il résulte de cet article que la production de telles œuvres n’entre pas dans le champ de l’interdiction de cumul. C’est un droit pour chaque agent public. Par conséquent, cette activité n’est pas soumise a autorisation préalable de l’autorité administrative et l’agent concerne est en droit d’en retirer une contrepartie financière (…). En aucun cas elle ne peut permettre a un agent public d’exploiter ou de diffuser personnellement son œuvre sous une forme commerciale. Dans cette hypothèse, l’agent doit céder son droit d’exploitation, qui comprend les droits de représentation et de reproduction, a un organisme prive (art. L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle). Un tel contrat permet a l’auteur de retirer un bénéfice de la vente de son œuvre sans exercer lui-même d’activité commerciale incompatible avec sa qualité de fonctionnaire. »
POUR MEMOIRE :
Article L123-2 du code général de la fonction publique
« La production des œuvres de l’esprit par un agent public, au sens des articles L. 112-1, L. 112-2 et L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, s’exerce librement, dans le respect des dispositions relatives au droit d’auteur des agents publics et sous réserve des articles L. 121-6 et L. 121-7 du présent code. »
Article L112-2 du code de la propriété intellectuelle :
« Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code :
1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;
2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres œuvres de même nature ;
3° Les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;
4° Les œuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en œuvre est fixée par écrit ou autrement ;
5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ;
6° Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles ;
7° Les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;
8° Les œuvres graphiques et typographiques ;
9° Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;
10° Les œuvres des arts appliqués ;
11° Les illustrations, les cartes géographiques ;
12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ;
13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;
14° Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement. »
BIBLIOGRAPHIE :
Cumul et pantouflage dans les trois fonctions publiques – Manuel CARIUS – Editions Gestion publique – Guide d’action
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