Phénomène initialement perçu comme marginal, les cryptomonnaies ont désormais leur place dans le patrimoine des contribuables. Bien que l’administration fiscale s’y soit très tôt intéressée, le régime fiscal des cryptos suscite encore des questions.
L’évolution de la fiscalité
Dès 2014, l’administration fiscale s‘est préoccupée de taxer les gains issus des opérations liées à la cryptomonnaies, soit dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) pour les opérations réalisées à titre habituel, soit comme bénéfices non commerciaux (BNC) en présence d’opérations occasionnelles.
Cette approche avait notamment pour conséquence l’imposition des gains au barème progressif de l’impôt sur le revenu et aux cotisations sociales.
Fin 2017, l’envolée de la valeur du Bitcoin a conduit des contribuables à contester cette doctrine administrative. Dans une décision rendue en 2018, le Conseil d’État a censuré l’imposition en BNC des gains occasionnels pour les soumettre au régime des plus-values sur cession de biens meubles. Les gains habituels demeuraient soumis aux BIC.
Constatant l’inadaptation du régime des biens meubles aux actifs numériques, le législateur a créé, à compter du 1er janvier 2019, un régime autonome d’imposition pour les particuliers : celui des plus-values sur actifs numériques (cf. article 150 VH bis du Code Général des Impôts), soumises à la « flat tax » au taux de de 30%.
Deux régimes possibles d’imposition des gains professionnels à la frontière incertaine
Désormais, la fiscalité des cryptomonnaies repose sur une distinction essentielle entre gains non professionnels, relevant du régime des particuliers, et gains professionnels, soumis aux BNC (activité quasi-professionnelle) ou aux BIC (activité habituelle mais non quasi-professionnelle).
Depuis 2023, sont taxées en BIC les personnes physiques exerçant une profession consistant en l’achat-revente d’actifs numériques. Relèvent des BNC, les personnes qui, sans en faire leur profession, réalisent des opérations dans des conditions analogues à celles d’un professionnel. Cette définition vise à écarter le critère traditionnel d’habitude, inadapté au volume d’opérations parfois élevés des particuliers. Sont visés les contribuables disposant de compétences techniques spécifiques, utilisant des algorithmes de trading ou déployant des moyens informatiques comparables à ceux de professionnels.
Ces opérateurs restent soumis à une imposition au barème progressif de l’IR et aux cotisations sociales. Ils ont l’obligation de tenir une comptabilité et de souscrire un certain nombre déclarations : immatriculation en début d’activité, déclaration annuelle des résultats, déclaration en cas de transfert de domicile hors de France assimilé à une cessation d’activité.
Le risque qui pèse sur ces contribuables est celui de la qualification d’activité occulte, autorisant le fisc à exercer sur dix ans son droit de reprise.
Un régime d’imposition des particuliers caractérisé par le sursis C2C
L’article 150 VH bis du CGI s’applique aux personnes réalisant des opérations sur actifs numériques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé et ce, quel que soit en principe le volume des transactions.
L’une des caractéristiques majeurs du régime est le sursis dit « crypto-à-crypto » ou sursis C2C. Ainsi, ne sont pas taxables mais mis en sursis d’imposition les échanges d’actifs numériques sans soulte.
Ce sursis est limité aux opérations des particuliers et ne s’applique ni aux professionnels, ni aux actifs exclus de la qualification d’actifs numériques, ni aux opérations présentant un transfert différé ou incomplet de contreparties.
La taxation n’intervient qu’en cas de cession d’actifs numériques (ce qui suppose un transfert de propriété) à titre onéreux : en contrepartie de monnaie ayant cours légal, d’un service, de l’échange d’un bien autre qu’un actif numérique ou de l’échange avec soulte d’un actif numérique.
Le gain est alors soumis à la flat tax au taux de 30%, soit 12,8% d’IR et 17,2% de prélèvements sociaux. En ce qui concerne l’IR, le contribuable a toutefois la faculté d’opter pour le barème progressif.
Il faut souligner que la plus-value n’est pas déterminée opération par opération mais de manière globalisée, par référence à la valeur totale du portefeuille d’actifs numériques au jour de chaque cession imposable. Pour le calcul de la plus-value, le prix d’acquisition retenu est calculé en fonction de la part que représente la cession dans la valeur globale du portefeuille. Ce qui peut conduire à faire apparaître un gain imposable même en cas de vente d’un actif qui prise isolément constitue une perte.
Les moins-values subies au titre d’une année ne peuvent être imputées que sur les plus-values de même nature réalisées au cours de cette même année, sans possibilité de report sur les exercices ultérieurs ou d’imputation sur le revenu global.
Cette méthode de taxation implique une obligation de suivi précis et continu du portefeuille, tant pour la valorisation que pour la conservation de l’historique des investissements. Compte-tenu de la facilité qu’offrent certaines plateformes pour mener ce type de transactions et du volume qu’elles peuvent vite représenter, il est particulièrement conseillé aux particuliers d'adopter un outil de suivi afin de tracer les opérations imposables et être en mesure de déterminer le montant des plus-values, afin de circonscrire le risque de redressement.
Quant aux obligations déclaratives des particuliers, le formulaire n°2086 doit être souscrit en annexe à la déclaration d’impôt sur le revenu, afin de calculer la plus-value imposable.
En outre, la plupart des plateformes permettant de détenir et gérer des actifs numériques étant situées à l’étranger, le contribuable doit déclarer sur l’imprimé n°3916 tout compte à l’étranger, sous peine d’amende.
Des impositions complémentaires peuvent se rajouter à la taxation de la plus-value
À partir d’un certain montant de gain, l’intégration de ce gain dans le revenu fiscal de référence du contribuable peut entraîner une imposition complémentaire au titre de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) et de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).
Pour ce qui concerne la CDHR, elle vise les contribuables dont les revenus de l’année 2025 seraient, selon leur estimation, supérieurs à 250 000 € pour un célibataire ou 500 000 € pour un couple, montants qui peuvent être vite atteints avec les transactions sur cryptomonnaies. Les contribuables sont alors soumis à l’obligation de déclarer et de payer avant le 15 décembre prochain l’acompte au titre de la CDHR, soit 95% de la contribution attendue.
Enfin, il faut souligner un autre point de vigilance, souvent méconnu, en matière de cotisations sociales, relatif à la cotisation PUMA (Protection universelle maladie). Les contribuables réalisant des gains importants sur actifs numériques, sans percevoir de revenus d’activité suffisants, peuvent être redevables de cette cotisation, assise sur les revenus du capital, lors du dépassement de certains seuils.
Malgré l’adaptation permanente de la norme fiscale aux cryptomonnaies, il reste des incertitudes
La diversité des activités liées aux cryptomonnaies (mining, staking, farming, lending, trading…) et des produits (NFT par exemple) dépasse les catégories traditionnelles du droit fiscal. Chaque activité ou produit présente des mécanismes techniques spécifiques que le législateur intègre progressivement, avec un délai inévitable entre l’innovation et la norme.
Ce qui explique la persistance de zones d’incertitude et de risque, notamment sur la qualification de certaines opérations ou produits, sur les situations intermédiaires entre activité patrimoniale ou professionnelle, sur le suivi des opérations ou encore, en cas de transmission des cryptomonnaies par donation ou succession. La fiscalité des actifs numériques demeure donc un droit encore en construction.

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