Second et donc dernier volet de cette histoire de recel successoral où nous aborderons les questions suivantes :
- la question de la juridiction compétente pour connaitre d’une action diligentée par un ressortissant français à l’encontre d'un avocat anglais;
- l'application de la loi régissant ce différend: française ou anglaise ?
- la confidentialité des correspondances entre un avocat français et un avocat britannique.
Mais avant toute chose, souvenons-nous du billet précédent et rafraichissons-nous la mémoire : il est en effet essentiel de se rappeler que les neveux et nièces ont souhaité faire valoir leurs droits devant le juge français et à ce titre, ont fait assigner ma cliente, ressortissante française domicilié et résidant sur le territoire français, à comparaitre devant le Tribunal de Grande Instance territorialement compétent.
Au visa de l’article 778 du Code civil, les demandeurs sollicitaient, outre la déchéance de la qualité d’héritier, la condamnation de ma cliente à leur restituer les fonds auxquels ils prétendaient en leur qualité d’héritiers du de cujus.
L’avocat du recéleur, même s’il pouvait raisonnablement admettre le principe d’une mise en jeu de la responsabilité de sa cliente, ne pouvait néanmoins se résoudre à ne pas ferrailler avec ses confrères anglais dont la négligence avait directement causé un préjudice à sa cliente.
Après une mise en demeure adressée dans la langue de Sa Majesté la Reine, un confrère londonien dont je compris rapidement qu’il avait en réalité été mandaté par la compagnie d’assurances des avocats anglais selon moi responsables, m’adressa une correspondance aux termes de laquelle il me laissait entendre qu’une solution négociée vaudrait surement mieux qu’un long procès avec ses doses d’aléas et de surprises parfois.
Première question à la portée considérable : cette correspondance était-elle soumise à la confidentialité ou pourrait-elle, en cas de litige devant un juge, être versée aux débats ?
Le secret professionnel se trouve ancré au cœur de l’exercice de notre profession. Il porte en lui nombre de vertus dont celle essentielle ayant trait à la résolution pacifiée des différends qui requiert un climat de confiance, de sérénité et donc de secret.
L’article 5.3 du Code de déontologie du Conseil des Barreaux Européens énonce que « L’avocat qui adresse à un confrère d’un autre Etat membre une communication dont il souhaite qu’elle ait un caractère « confidentiel » ou « without prejudice » devra clairement exprimer sa volonté lors de l’envoi de cette communication. »
Il fallait donc que mon confrère britannique et moi-même, actions du caractère confidentiel de nos échanges ; ce qui ne donna lieu à aucune discussion majeure.
Dès lors qu’un cadre confidentiel fut défini entre les avocats, les pourparlers en vue d’une solution transigée pouvaient être sereinement initiés.
Le cadre de ces négociations tournait essentiellement autour de deux questions, à savoir :
- le juge français était-il exclusivement compétent au détriment du juge anglais ?
- le juge compétent, chargé de trancher les termes du litige qui pourrait lui être soumis, se devra-t-il d’appliquer la loi française ou la loi anglaise ?
A la première question, mon confrère et moi avons sans difficulté aucune arrêté une position commune qui consistait à reconnaitre la compétence des juridictions françaises et cela en raison des dispositions de l’article 14 du Code civil et surtout du Règlement DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL de « Bruxelles 1 Bis » du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale qui en matière délictuelle donne compétence à la juridiction où le fait dommageable s’est produit.
En l’espèce, la relation entre ma cliente et l’exécuteur testamentaire étant née d’une décision de justice rendue par une juridiction britannique et aucunement d’un accord de volonté réciproque, il était donc logique de considérer qu’une action en responsabilité engagée à l’encontre des avocats anglais ne pouvait qu’être que d’une nature délictuelle et non fondée sur l’existence d’un contrat.
Si la première question avait ainsi été résolue sans donner lieu à d’âpres débats entre juristes, la seconde, en revanche, fut l’occasion d’un désaccord majeur dans le sens où les deux avocats ne pouvaient ignorer que de loi applicable retenue, dépendait en réalité l’étendue du préjudice et donc in fine, le quantum des dommages et intérêts que ma cliente eut été en droit de solliciter.
Le droit anglais prévoit comme défense celle de la « négligence concurrente » (« contributory negligence ») ; principe de common law qui ne se retrouve pas (ou avec une infime parcimonie) en droit français et au terme duquel le montant des dommages et intérêts attribués à la victime d’un préjudice se trouve proportionnellement réduit à hauteur de sa propre négligence dans la réalisation de son préjudice.
Plus prosaïquement, mon contradicteur anglais arguait que ma cliente ne pouvait tenir pour vraie l’erreur grossière du cabinet anglais qui l’avait expressément qualifiée de seule héritière sur la masse successorale britannique ; ce qui, comme moyen de défense, n’aurait pas manqué de faire mouche si un juge français saisi du litige décidait d’appliquer la loi anglaise.
Néanmoins, et sans savoir avec certitude si j’avais pu réussir à convaincre ce confrère anglais, nous sommes parvenus à signer un protocole d’accord transactionnel satisfaisant pour nos clients respectifs.
Pour réfuter les arguments de mon alter ego, j’affirmais, en effet, que le Règlement de « ROME 2 » du 11 juillet 2007 relatif à la loi applicable était applicable à notre situation dans la mesure où l’article 4 de cette norme européenne énonce comme une règle générale que « sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »
Autrement dit, la loi française était pleinement applicable et la défense de « contributory negligence » brandie par mon confrère dans le cadre de nos pourparlers, devenait inopérante.
Incontestablement, le droit international privé est une mécanique complexe qui se doit d’être appréhendée par les avocats à même de conseiller et de défendre un particulier ou une entreprise dans un monde où la « globalisation » n’est pas qu’un concept éthéré, mais une réalité qui recèle de multiples conséquences tant juridiques que judiciaires.
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