Crime ou délit, telle était la question et voici la réponse de la chambre criminelle : le vol en bande organisée reproché à une personne placée en détention provisoire ne peut motiver une prolongation de la détention au-delà du délai de deux ans.
Les instructions judiciaires ouvertes pour vols en bande organisée sont nombreuses.
La bande organisée est définie par la loi comme « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions » (article 132-71 du Code pénal).
La bande organisée est une circonstance aggravante qui vient donner une nature criminelle à l’infraction reprochée.
Ainsi le vol, qualifié de délit, est-il puni d’une peine criminelle lorsqu’il est commis avec la circonstance aggravante de bande organisée (article 311-9 du Code pénal).
La peine est bien aggravée : de délictuelle, elle devient criminelle.
Pour autant, le vol reste un délit, il ne se transforme pas en crime par l’effet contaminant de la circonstance aggravante.
L'intérêt de la qualification juridique de l'infraction d'origine est majeur en ce que le Code de procédure pénale prévoit un régime de la détention provisoire différent selon la qualification juridique de délit ou de crime :
- l’infraction reprochée est un délit, la détention provisoire ne peut durer plus de 2 ans ;
- l’infraction est un crime, la détention provisoire peut durer au-delà de 2 ans, jusqu’à 4 ans. Les crimes pouvant venir prolonger la détention provisoire sont énumérés par ledit Code.
Dans un arrêt rendu le 13 septembre 2022 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (pourvoi n°22-84.037), la question posée était bien celle de savoir si la détention provisoire du mis en examen auquel est reproché un vol en bande organisée pouvait être prolongée au-delà d'une durée de 2 ans en vertu des dispositions du Code de procédure pénale propres aux crimes.
L’enjeu est de taille pour le détenu provisoirement !
La Cour de cassation apporte une solution claire : en matière de vol commis en bande organisée, la détention provisoire ne peut excéder le délai de deux ans. Deux ans, pas plus!
La Haute Cour écarte ainsi l’application de l’article 145-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale relatif à certaines infractions criminelles.
L’article 145-2 alinéa 2 du Code de procédure pénale dispose qu’en matière criminelle:
« La personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas. Les délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national. Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée. » (souligné par nous)
Dans son arrêt très pédagogique, la Cour de cassation rappelle que « l'expression « crime commis en bande organisée », dont l'interprétation doit être littérale, s'agissant d'une disposition allongeant la durée de la détention provisoire, suppose que les faits poursuivis puissent recevoir une qualification criminelle, indépendamment de la circonstance de bande organisée ».
Or, le vol restant un vol malgré la circonstance de bande organisée, ce texte ne peut pas lui être applicable.
Cet arrêt vient ainsi casser l’arrêt de la Chambre de l’instruction qui a une lecture bien différente du texte et qui considère à tort que la loi ne distingue pas entre la qualification de crime ou de délit de l’infraction initiale en visant l’expression « crime commis en bande organisée ».
Une telle interprétation est empreinte d’un certain civilisme mais ne parait pas conforme au principe de l’interprétation stricte en matière pénale. Dans l’expression litigieuse relevée, c’est bien la qualification de crime qui est choisie : pas celle d’infraction, ni celle de délit. Une lecture téléologique et extensive n’est pas concevable lorsque les dispositions en question prévoient un allongement des délais de la détention provisoire et sont donc clairement défavorables au détenu provisoirement.
Ce qui fait de cet arrêt de la Chambre criminelle une décision intéressante sur le plan des principes (arrêt de cassation) et d’une importance capitale d’un point de vue pratique pour la défense pénale de nos clients au quotidien !
Si cette décision fait l'objet de critiques doctrinales, on ne peut que saluer la pédagogie et le respect par la Haute Cour de l'application des principes d'interprétation littérale du droit pénal.
Les vols commis en bande organisée peuvent certes donner lieu à des investigations compliquées. Mais il faut avouer que généralement ces dossiers viennent à l'instruction judiciaire de manière relativement étoffée avec des techniques (telles que la géolocalisation, les écoutes téléphoniques) mises en place depuis des mois, voire une année parfois.
Le temps de l'instruction judiciaire viendra clarifier la participation des uns ou des autres aux faits, récolter les résultats d'expertises ADN. Mais le travail aura été globalement fait en amont par les services d'enquête avant la mise en examen de nos clients. Un vol reste une infraction dont la caractérisation est simple. Aussi, une privation de liberté de deux ans maximum dans ce type de dossiers paraît correspondre à la réalité du terrain; à ce que notre cabinet connaît en termes de pratiques et d'instructions judiciaires dans ces affaires de vols commis en bande organisée. Une détention provisoire de 4 ans pourrait paraître totalement disproportionnée. Ou cela voudrait tout simplement dire que le dossier de départ n'était pas assez solide...
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