Article de la Nouvelle République de novembre 2014

Samedi, les douanes ont intercepté une voiture avec 825 g d’héroïne à bord. En comparution immédiate, les deux occupants ont été condamnés.

Samedi 22 novembre, autoroute A 10. Une vielle Peugeot 406 arrive au péage de Chambray. Au volant, Lolita, frêle jeune femme de 29 ans.

A la place du passager, Léon, solide gaillard de 25 ans. Sous son siège… un sac en plastique contenant une substance marron, que les douanes confirmeront sans difficulté être de l'héroïne. Un total de 825 g, pour une valeur marchande estimée entre 12.000 et 16.000 euros.

Quatre-vingt-seize heures de garde à vue

Évidement, les deux jeunes sont placés en rétention administrative puis en garde à vue. Quatre-vingt-seize heures. Partis d'Orléans à destination d'Angers, chacun soutient ignorer la provenance de cette marchandise. Quant à en expliquer la présence… Aux enquêteurs, Lolita explique qu'un de ses amis, Abdelmajid, lui a demandé de l'emmener jusqu'en Bretagne puis, devant ses réticences face à un si long voyage, jusqu'à Angers seulement. Un changement de programme le matin même – embarquer Léon, qu'elle ne connaît pas, à sa place – lui serait même imposé, sans qu'elle ne trouve les ressources pour s'y opposer. La peur ? Une certaine crainte, en tout cas, l'homme sachant apparemment convaincre sans menacer. La drogue ? Pour elle, ce ne peut être que Léon qui l'a placée là, lorsqu'ils faisaient le plein de carburant. Elle n'y est pour rien. Léon non plus ne comprend pas ce qui arrive. Bien sûr que Lolita le connaît : ils se sont rencontrés voilà quelque temps. Ce trajet, c'était pour aller voir sa copine jouer avec son équipe à Brest. Une sorte de covoiturage jusqu'à la gare d'Angers, avant de prendre le train, peut-être. Deux versions opposées, donc, chacun rejetant la responsabilité sur l'autre ou sur Abdelmajid, qui serait l'instigateur de tout ça, son passé ne plaidant pas en sa faveur. En effet, dans son cas comme dans celui de Léon, la récidive est visée. « Il y en a forcément un qui ment », constate la présidente, Catherine Batonneau.

" Cette héroïne est bien à quelqu'un ! "

Et ce ne sont pas les explications du troisième prévenu qui vont aider à y voir plus clair, lui qui prétend avoir été parfois « un peu plus qu'un ami »pour Lolita, qui affiche une préférence pour la gent féminine depuis près de dix ans. Clairement, la situation laisse le procureur adjoint Bruno Albisetti perplexe : « Ces 825 g d'héroïne, ils sont bien à quelqu'un et ils doivent bien être livrés quelque part ! » Enclin à croire la jeune femme – plus constante dans ses déclarations et au parcours nettement moins chaotique que celui de son passager – le représentant du ministère public pense quand même qu'elle devait être au courant, d'autant plus qu'elle connaît le pedigree d'Abdelmajid, déjà condamné pour trafic de stupéfiants. A ses yeux, le récit de Léon dans le rôle du passager candide retrouvant sa belle à l'autre bout de la France ne tient pas la route. « D'autant que, pour aller à Brest depuis Orléans, on ne passe pas par Angers », ce qu'a confirmé l'entraîneur de l'équipe. Ses téléphones portables avec cartes prépayées, cette adresse commune au téléphone et au GPS à Montoire-de-Bretagne (Loire-Atlantique), son histoire pour rallier Brest… « Pas de preuve formelle, mais autant d'indices qui forgent une intime conviction ! » Pour lui, il ne fait aucun doute que les trois sont impliqués dans un trafic de produits stupéfiants, dont l'un en temps plus que complice. « Vous n'avez aucun élément intentionnel pour conclure qu'elle savait qu'elle transportait de l'héroïne, argue M eBenjamin Philippon, en défense de Lolita. Dire qu'elle aurait dû savoir, dû se méfier, ne suffit pas ! » Il estime que sa cliente « n'est finalement que le dindon de la farce », qui a agi par crainte et demande la relaxe ainsi que la restitution des scellés. « C'est bien beau de se fier à une intuition mais ça n'empêche pas de rechercher les incohérences dans toutes les déclarations », poursuit M eCécile Haize, aux intérêts de Léon. Rien ne prouve qu'il a fumé un joint comme Lolita l'affirme ; rien ne prouve que l'héroïne n'était pas déjà dans la voiture avant que son client n'y monte ; rien ne prouve que ces Texto soi-disant menaçants ne soient pas en réalité – et comme Léon l'affirme – des paroles de rap… Pour l'avocate, le ministère public n'a rapporté aucune preuve, ce qui justifie la relaxe tant des chefs de prévention que d'infraction douanière.

" Il n'y a rien dans ce dossier "

« Je m'associe pleinement aux demandes de ma consœur, enchaîne M eJoffrey Clocet pour Abdelmajid. Mon intervention sera inversement proportionnelle à l'importance qu'on voudrait donner à mon client. Il n'y a rien, absolument rien, contre lui dans ce dossier. Si ce n'est qu'il lui a rendu son GPS.  « Vous savez, quand un procureur vous dit " J'ai l'intime conviction ", ça en dit long… »  Relaxe demandée et obtenue, au bénéfice du doute, pour son client. Culpabilité en revanche pour les deux occupants de la voiture. Léon Lyode écope de deux ans d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt ; Lolita Angrand est condamnée à dix-huit mois dont douze avec sursis mise à l'épreuve de deux ans, avec obligation de travailler et d'acquitter les sommes dues au Trésor public. Les condamnés sont tenus solidairement de verser 9.600 € à l'administration des douanes. Et les scellés sont confisqués.

à chaud

En grève mais sur le front

Grève totale des avocats du barreau de Tours ! Hier pourtant, trois pénalistes étaient bel et bien présents – rabat rouge de rigueur – pour défendre les intérêts de leurs clients en comparution immédiate. « Ce qu'il faut noter, c'est que le barreau tout entier est mobilisé, uni. Mais, bien sûr, quand la liberté est en jeu, il est évident que nous répondons présents », ont expliqué en chœur M esClocet, Haize et Philippon pendant le délibéré. Hier soir, à l'heure où nous mettions sous presse, l'incertitude pesait toujours sur la présence des plaideurs à l'audience correctionnelle de cet après-midi. La session d'assises, quant à elle, devait se tenir normalement.

 

Olivier Brosset