Article de la Nouvelle République de février 2017

Ils étaient venus à six “ récupérer ” une moto volée à l’un d’eux six ans plus tôt. Le propriétaire en titre ne l’a pas entendu ainsi. Tous ont été condamnés.

Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre !Le constat, dressé par Jacques-Édouard Andrault en préambule de son réquisitoire, résume assez bien l'affaire. Celle d'une tentative de réappropriation qui tourne en débandade.

Les faits qui occupent le tribunal correctionnel ce lundi trouvent leur génèse en 2010, quand la moto de cross de Yann, une KTM SX 85, est volée au domicile de ses parents en Loir-et-Cher. Adolescent, il se l'est payée avec l'argent de ses premiers boulots. Affectivement, elle n'a pas de prix.
Il n'a qu'une idée en tête : la récupérer. Il guette les annonces de vente en ligne entre particuliers. Et finit par tomber dessus en décembre 2015, chez un certain Éric, dans le canton de Langeais.
Il prend contact, vérifie que les numéros de série sont les bons et informe la gendarmerie de sa découverte. Les militaires ramènent la KTM en question dans leurs locaux, puis finissent par la rendre à Éric, sur décision du parquet. Qui confirme qu'il l'a achetée de bonne foi.
Pour Yann, c'est l'incompréhension. Il contacte quelques amis pour aller récupérer son bien. Le 13 mars 2016, le groupe de six passe à l'action. Rendez-vous est fixé avec Éric en Indre-et-Loire pour « acheter » la moto. Deux « acheteurs » arrivent en Peugeot 307, puis quatre autres avec un gros 4 x 4 noir. « La moto, on va l'emporter », disent-ils. Ont-ils des battes de base-ball ou des pieds-de-biche à la main, comme le prétend Éric ?
Toujours est-il que l'un enfourche la moto avec l'intention de la charger dans le 4 x 4 un peu plus loin. Un scénario contrarié par la réaction d'Éric, qui monte dans son Ford Cmax (avec son fils et sa nièce, mineurs, venus avec lui) et prend le commando en chasse.

Digne d'une course-poursuite au cinéma

La suite est digne des courses-poursuites au cinéma. Coup de pare-chocs, tentatives de dépassement avec percussions et, finalement, sortie de route de la 307 qui finit dans un poteau EDF. Éric ne quitte pas son objectif de vue : il veut récupérer la moto qui est maintenant celle de son fils.
« J'avais pas envie que la moto disparaisse à nouveau », explique Yann à la barre. Prévenu de vol en réunion, il ne comprend pas que – légalement – Éric est le propriétaire de la KTM. Une injustice terrible à ses yeux.
Ses comparses sont dans le même état d'esprit : ils n'ont pas volé la moto de leur pote, ils l'ont juste aidé à la récupérer. Nuance.
A la barre, les versions s'affrontent. Les quatre premiers – Yann, Hamza, Léo et Florent – assurent qu'ils n'ont pas fait usage de violence, que c'est Éric qui est « devenu fou »et s'est lancé à leur poursuite, a provoqué la sortie de route, est à l'origine de leurs blessures (jusqu'à sept jours d'ITT pour l'un).
De l'autre, Éric assure qu'ils avaient des armes à la main, qu'ils ont casé la vitre de sa voiture et que, s'il a tourné en rond autour d'eux quand ils ont chargé la moto dans le 4 x 4, c'était pour les tenir à distance.
D'ailleurs, il a de lui-même cessé la poursuite (du 4 x 4) un ou deux kilomètres après que la Peugeot a fini contre le poteau. Pour s'enquérir de l'état de santé des occupants, argue-t-il. Oui, mais ils avaient déjà disparu, pris en stop par un automobiliste passant par là.
« Pourquoi avez-vous refusé qu'il vous emmène à l'hôpital si vous étiez blessés ?,interroge la présidente Christine Blancher. On était paniqués. On savait pas où on était. »
Rappelant deux principes élémentaires de droit – « On ne doit pas se faire justice soi-même »et « en fait de meuble, possession vaut titre »– le procureur retient la culpabilité des Yann et de ses comparses dans le vol en réunion et les dégradations, celle d'Éric pour les violences volontaires avec arme par destination.
Il fustige enfin : « C'était de la folie, sachant qu'il avait son fils de 14 ans et sa nièce de 12 ans avec lui. »Il requiert quatre mois de prison avec sursis et quatre mois de suspension de permis pour Éric ; quatre mois avec sursis pour Yann (et 300 € d'amende) ; deux mois ferme pour Hamza compte tenu de son casier ; et deux mois avec sursis pour Léo et Florent. Et la restitution de la moto à Éric, le légal propriétaire.
« Le seul à avoir des papiers en bonne et due forme, c'est Yann. Il ne peut donc y avoir vol », estime son avocat, qui plaide sa relaxe.
De l'autre côté, M eBenjamin Philippon, aux intérêts d'Éric, fustige « une véritable opération commando », menée à six contre un. Et que son son client était en son droit en voulant appréhender les individus auteur d'un délit.
Qu'ils aient quitté la route en se déportant volontairement sur son véhicule alors qu'il les dépassait ne devrait pas engager sa responsabilité. Lui aussi plaide la relaxe et la restitution du deux-roues.

cinq coupables

Après délibéré, le tribunal a déclaré les cinq prévenus coupables. Yann, Hamza, Léo et Florent de vol en réunion avec dégradation (ils écopent respectivement de quatre mois avec sursis et 300 € d'amende) pour le premier, trois mois d'emprisonnement ferme pour le deuxième et deux mois avec sursis pour les deux derniers.
Éric, coupable de violences volontaires (sans ITT, aucune pièce n'étant valablement rapportée) : « L'usage de la force n'était ni proportionné ni nécessaire. »Il est condamné à trois mois avec sursis et 300 € d'amende. Et – au grand dam de Yann – il récupère la moto.


 

Olivier Brosset