Afin de pouvoir bénéficier des mesures de report des loyers, une entreprise doit actuellement satisfaire aux critères imposés par l’ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité, dont les critères fixés par le Décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ont été modifiés par le Décret n° 2020-433 du 16 avril 2020.

A priori, ces mesures ne sont donc destinées qu’aux TPE :

- résidentes fiscales françaises ; - ayant débuté leur activité avant le 01/02/2020 ; - n'étant pas en liquidation judiciaire au 01/03/2020 ; - de moins de 10 salariés ; - avec un chiffre annuel inférieur à 1.000.000 d’euros ; Il est précisé pour les entreprises n’ayant pas encore d’exercice clos, que « le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ».

En outre, cumulativement aux critères susmentionnés, il s’agira d’entreprises :

- qui subissent une fermeture administrative ; - ou qui auront connu une perte de chiffre d’affaires de plus de 50% au mois de mars 2020, par rapport à mars 2019.

Les TPE qui « poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire » sont éligibles sous condition de produire « une attestation de l'un des mandataires de justice désignés par le jugement qui a ouvert cette procédure. ».

L’Ordonnance ne met pas en place une annulation ou une suppression de l’obligation de payer mais un report échelonné des loyers, factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux.

Le gouvernement a précisé que ce report sera échelonné sur les échéances ultérieures, de manière égale, sur une durée qui ne peut être inférieure à 6 mois.

Une chose importante, les entreprises bénéficiant de ces mesures ne pourront se voir opposer « des pénalités financières, frais ou indemnités ».

En effet, l’article 4 de l’Ordonnance précise que les TPE concernées :

« ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents à leurs locaux professionnels et commerciaux, nonobstant toute stipulation contractuelle et les dispositions des articles L.622-14 et L.641-12 du code de commerce ».

Ces mesures sont d’ordre public et toute clause contraire sera réputée non écrite.

De même, l’Ordonnance écarte toute application des dispositions de l’article L.622-14 du Code de commerce concernant la résiliation du contrat de bail commercial pendant la période d’observation et de poursuite des contrats en cours en procédure de sauvegarde judiciaire (applicable également au redressement judiciaire) et des dispositions de l’article L.641-12 du Code de commerce concernant ce régime en période de liquidation judiciaire.

En d’autres termes, aucune résiliation du contrat de bail ne pourra être opposée à ces TPE en cours de procédure collective.

Les loyers concernés sont donc ceux dont l'échéance de paiement intervient entre le 12/03/2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit, actuellement, jusqu'au 24/05/2020.

Néanmoins, le Décret n°2020-378 du 31 mars 2020 a ajouté une condition de forme : la nécessité pour le preneur qui demande l’étalement ou le report de produire au bailleur :

- soit une déclaration sur l’honneur indiquant qu’il respecte les critères imposés par le décret et de l’exactitude des informations déclarées ainsi que l’accusé réception de leur demande d’éligibilité au fonds de solidarité,

- soit une déclaration de cessation de paiements au sens de l’article 2 du règlement n° 651-2014 de la Commission du 17 juin 2014.

Cependant, si de telles mesures exceptionnelles existent, il convient de rappeler que le principe reste le même : les loyers sont dus même en période de Covid-19 et d’urgence sanitaire.

A ces mesures protectrices, d’autres solutions juridiques s’offrent aux entreprises.

Si la notion juridique de « force majeure » est très fréquemment mentionnée dans les supports de communication de nombreux cabinets d’avocats, il est fort à parier que son impact notamment sur le recouvrement des loyers impayés sera limité, que ce soit pour le preneur ou le bailleur.

La force majeure est définie, depuis l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, par l’article 1218 du Code civil :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.

Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

Les dispositions de l’article 1218 du Code civil ont codifié, en réalité, les préceptes posés par la jurisprudence. La jurisprudence qualifie un événement de « force majeure » justifiant la suspension ou, si le débiteur est définitivement empêché, la résolution du contrat, lorsque cet événement est imprévisible et irrésistible.

Concernant le critère d’imprévisibilité, celui-ci est intimement lié au champ temporel entourant la conclusion du contrat.

Ainsi, il est fort probable que le contrat conclu en France avant la propagation de l’épidémie et la mise en place des mesures d’urgence sanitaire satisfasse à la condition d’imprévisibilité.

A l’inverse, l’épidémie ne constitue plus, depuis la déclaration de l’OMS du 11 mars 2020, un événement imprévisible. En conséquence, il paraît peu probable que la jurisprudence puisse retenir le critère d’imprévisibilité pour les contrats signés après cette date.

Concernant le critère d’irrésistibilité, certains s’interrogent légitimement sur le fait de savoir si un preneur peut opposer la force majeure à son bailleur en raison de son impossibilité de jouir de son local professionnel ou commercial en raison des mesures de confinement (mise en œuvre du télétravail, fermeture administrative...).

En effet, le preneur étant créancier d’une obligation de jouissance des locaux, ne semble pas pouvoir opposer à son débiteur (le bailleur ici) un cas de force majeure en cas d’impossibilité de jouir des locaux dès lors que le bailleur délivre le bien, conformément à son obligation de délivrance, mais que l’activité est frappée d’une mesure d’interdiction administrative.

Il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation rappelle fréquemment le principe selon lequel le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure (Cass. com. 16 septembre 2014, n°13-20.306).

Le principe est donc que la force majeure concerne l'exécution d'obligations ayant pour objet une prestation « matérielle ».

La jurisprudence n’avait admis la force majeure que dans l’unique cas où l’impossibilité de payer relevait d’une impossibilité matérielle dans la mesure où la continuité du système bancaire n’était pas assurée, ce qui n’est pas le cas actuellement en dehors de cas très rares (Cass. 3e civ., 17 févr. 2010, n° 08-20.943).

Rappelons également enfin qu’il est de jurisprudence constante que la force majeure ne soit reconnue que dans des cas très limités même lorsque l'exécution de l'obligation est matériellement impossible et qu’elle peut faire l’objet d’une exclusion contractuelle.

Néanmoins, et dans le seul cas de locaux accueillant du public et faisant l’objet d’une fermeture administrative, l’exception d’inexécution liée au cas de force majeure opposé par le bailleur pourrait permettre, en théorie, au preneur de suspendre le paiement des loyers au cours de cette période.

En effet, une partie de la doctrine estime que l’obligation de fermeture pourrait vraisemblablement empêcher, de manière irrésistible et imprévisible, au bailleur la délivrance conforme du local.

Dans ce cas alors, l’impossibilité de délivrer le local aurait comme fondement un évènement de force majeure contre lequel le preneur pourrait opposer une exception d’inexécution.

Il convient d’être extrêmement prudent avec cette position puisqu’elle repose sur l’interprétation du Décret n°2020-293 du 23 mars 2020.

Nous supposons en effet que, compte tenu de l’impact économique de la crise sanitaire, les tribunaux n’auront d’autres choix que de prendre en compte la situation des baux commerciaux en période d’urgence sanitaire afin de modeler un régime juridique permettant d’obtenir des décisions adaptées à cette situation inédite, malgré l’obligation de paiement qui incombe au preneur.

En tout état de cause, son appréciation dépendra de la situation factuelle dans laquelle se trouve le preneur ou le bailleur.

En effet, la trésorerie du preneur aura très probablement une incidence sur la notion d’irrésistibilité, une entreprise ayant une trésorerie importante ou ayant obtenu un prêt de trésorerie ne pourra vraisemblablement pas soulever l’impossibilité irrésistible de payer pour justifier de son inexécution.

Il a également été avancé par la doctrine la possibilité pour le preneur d’opposer au bailleur la théorie de la révision pour imprévision.

Ce mécanisme, prévu à l’article 1195 du Code civil depuis la réforme du droit des contrats de 2016, permet à l’un des cocontractants de s’exonérer de son obligation lorsqu’un évènement rend sa prestation excessivement onéreuse. Il n’est cependant pas d’ordre public et peut être écarté contractuellement.

L’article 1195 du Code civil dispose ainsi que :

« si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Avant toute chose, l'imprévision ne concerne que les contrats conclus ou renouvelés après la réforme des contrats et donc à partir du 1er octobre 2016.

S’il convient avant tout de ne pas l’avoir exclu dans le contrat de bail, la révision pour imprévision n’est admise que si l’évènement n’était pas prévisible et que les changements de circonstances rendent la prestation excessivement onéreuse pour celui qui en est débiteur.

Le rapprochement entre l’imprévision et la force majeure est certain car la notion d’imprévisibilité est entendue de la même façon. C’est pourquoi, dès lors que la force majeure ne pourra être admise faute d’imprévisibilité de l’évènement reproché, l’imprévision sera de facto exclue.

En revanche, l’imprévision ne requiert pas que l’exécution du contrat soit impossible, mais qu’elle soit excessivement onéreuse. Très concrètement, on peut entendre la notion d’obligation excessive comme étant une obligation dépassant les capacités pécuniaires du débiteur ou bien dépassant la valeur de la prestation réciproque.

Le cas échéant, la partie lésée pourra solliciter de son cocontractant la renégociation du contrat. Cependant, le cocontractant n’est pas tenu d’accepter.

En outre, s’il accepte, les obligations réciproques ne sont pas suspendues, le preneur devant payer et le bailleur devant délivrer la chose.

En cas d’échec des négociations, il est également possible que les parties choisissent de résoudre le contrat ou qu’elles en demandent la révision au Tribunal.

Ce mécanisme très séduisant reste donc très fortement limité à la volonté du cocontractant mais également à la date de conclusion ou de renouvellement du contrat, ce qui rendra son application extrêmement compliquée et surtout hypothétique.

Quoiqu’il en soit, il sera toujours possible pour les parties de renégocier le contrat dès lors qu’une clause l’admet expressément dans le contrat de bail. À noter également que le recours au médiateur des entreprises est tout à fait recommandé dans cette hypothèse.

Le droit commun étudié, reste le droit spécial applicable aux baux commerciaux. En ce sens, l’article 1722 du Code civil admet que le preneur puisse suspendre le paiement des loyers dans le cas où le local est partiellement détruit :

« Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. ».

Or, les notions de cas fortuit et de destruction sont très largement appréciées par la jurisprudence. Ainsi, l’impossibilité d’user des locaux dont le preneur dispose à bail en raison d’un cas fortuit constitue un cas de perte de la chose de nature à justifier une diminution de loyer (Cass. 3e civ., 30 avr. 1997, n° 94- 17.941 ; Cass. 3e civ., 17 juin 1980, n° 79-10.049).

Nous pourrions, en conséquence, peut-être en déduire que l’impossibilité de jouissance temporaire et résultant d’un cas fortuit, comme c’est le cas en période d’urgence sanitaire, pourrait à tout le moins permettre d’obtenir une diminution du loyer.

Reste également la possibilité ouverte, en dehors de toute considération de crise sanitaire, de procéder à la renégociation du contrat de bail commercial au moment de la révision triennale, dans le cadre strict de l’article L.145-38 du Code de commerce.

Attention, lorsque que votre capacité financière vous le permet, à ne pas systématiser la négociation avec votre bailleur afin d’obtenir un report, car, en pratique, cela engendrera probablement des tensions avec le bailleur et risquera de reporter vos difficultés de trésorerie au terme des mesures protectrices prévues au cours de la période d’urgence sanitaire.

Dans l’hypothèse où la négociation n’aboutit pas, il conviendra alors d’engager une procédure judiciaire afin d’obtenir du Tribunal des délais de paiement. Cette voie étant d’autant plus recommandée lorsque l’entreprise ne satisfait pas aux exigences imposées par l’ordonnance et qu’elle ne peut bénéficier des divers mécanismes ci-dessus exposés.