Contrairement à la monnaie électronique, les monnaies virtuelles ou crypto-monnaies n’ont pas à ce jour de statut légal explicite, et leur encadrement par les pouvoirs publics reste embryonnaire.
Depuis des années, tous les commentateurs s’accordent pour écrire, de manière plus ou moins argumentée, que le bitcoin n’est pas une monnaie.
Selon le site economie.gouv.fr, à jour au 4/12/2020 :
« Sur le plan juridique, une crypto-monnaie n'est pas une monnaie : elle ne dépend d'aucune institution, ne bénéficie d'aucun cours légal dans aucun pays ce qui rend l'évaluation de sa valeur difficile et ne peut être épargnée donc constituer une valeur de réserve. »
Le 16 septembre 2021, Madame Christine Lagarde a déclaré « Cryptos are not money, full stop ! ». La meilleure réplique que j’ai pu lire venait de Monsieur Alexandre Stachtchenko : « Bitcoin is more than a currency, full stop ! »
Pour le juriste, et particulièrement le fiscaliste, le débat a pris une nouvelle tournure depuis le 7 septembre 2021. En effet, c’est le jour où le bitcoin est devenu la monnaie légale du Salvador, par l’entrée en vigueur de la loi du 9 juin 2020 dont vous trouverez ci-joint une traduction en français.
On peut particulièrement citer l’article 7 de la loi :
« Tout agent économique doit accepter le bitcoin comme moyen de paiement lorsqu’il est demandé par quiconque acquiert un bien ou un service. »
En France, quelle analyse peut-on mener de cet événement ? Et quelles en seraient les conséquences fiscales ?
1°/ Analyse du bitcoin en droit français depuis le 7 septembre 2021
Pour les non-professionnels, le régime fiscal des cryptomonnaies est régi par l’article 150 VH bis du CGI en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Schématiquement, ce dispositif vise « les actifs numériques », et met en place une imposition au taux de 30% portant sur les plus-values réalisées par un contribuable personne physique, sur son portefeuille d’actifs numériques pris dans sa globalité.
Les modalités de détermination des plus-values imposables sont très complexes et posent de nombreuses difficultés ou interrogations, mais le présent article a seulement pour but de se pencher sur la définition de l’actif numérique au sens de ces dispositions.
Ce dispositif fiscal porte exactement sur :
« les plus-values réalisées par les personnes physiques domiciliées fiscalement en France au sens de l'article 4 B, directement ou par personne interposée, lors d'une cession à titre onéreux d'actifs numériques mentionnés à l'article L 54-10-1 du code monétaire et financier ou de droits s'y rapportant ».
Il convient donc, pour appliquer cet article, de se reporter aux dispositions de l’article L 54-10-1 du code monétaire et financier qui dispose :
« Pour l'application du présent chapitre, les actifs numériques comprennent :
1° Les jetons mentionnés à l'article L. 552-2, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l'article L. 211-1 et des bons de caisse mentionnés à l'article L. 223-1 ;
2° Toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. »
Bien que ces textes puissent donner lieu à de multiples interprétations, on considère généralement que le 1° de l’article L 54-10-1 vise les actifs numériques représentant des « droits », alors que le 2° vise les « valeurs ».
Ainsi, ce qu’il est coutume d’appeler des cryptomonnaies rentrent dans la définition du 2° et non du 1° car ce sont des valeurs.
Détaillons ensemble les dispositions de l’article L 54-10-1 2° censé viser les cryptomonnaies, en détachant chaque morceau de phrase.
Ce texte doit se lire comme posant deux conditions cumulatives et trois exclusions.
Les deux conditions cumulatives sont les suivantes :
- être acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange
- et pouvoir être transférée, stockée ou échangée électroniquement.
A l’évidence, toutes les cryptomonnaies sont concernées.
Les trois exclusions sont les suivantes :
- ne pas être émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique,
- ne pas être nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal
- et ne pas posséder le statut juridique d'une monnaie.
Qu’en est-il du bitcoin ?
Manifestement, depuis le 7 septembre 2021, le bitcoin est la monnaie légale du Salvador. Il a donc le statut juridique d’une monnaie au Salvador, comme le franc suisse en Suisse, ou le rouble en Russie. On voit mal comment dire que le bitcoin n’aurait pas « le statut juridique d’une monnaie ».
Depuis cette date, ce n’est donc plus un actif numérique au sens de l’article L 54-10-1 du CMF, et il n’est donc plus concerné par les dispositions fiscales de l’article 150 VH bis du CGI.
Face à l’apparente évidence de cette analyse juridique, il faut néanmoins rester prudent. En effet, ni le législateur ni l’administration fiscale n’ont à ce jour officiellement mené ce raisonnement, et il est clair que cette situation n’avait pas été envisagée par le législateur. Il faut considérer que le texte de l’article L 54-10-1 du CMF est largement inspiré d’un document de 2014 de l’autorité bancaire européenne (notamment les numéros 18 à 30), dont il est une traduction maladroite. Même si l’exclusion des monnaies légales semble claire, nul ne peut prévoir avec certitude l’issue d’un contentieux sur ce point.
2°/ Conséquences fiscales
Les pouvoirs publics n’ont à ce jour pris aucune position officielle sur cette question. Une lecture attentive du Bofip montre que le bitcoin n’est nulle part expressément cité comme étant un actif numérique (et encore moins une monnaie). On ne peut donc pas se prévaloir d’une prise de position formelle de l’administration fiscale pour considérer que le bitcoin serait un actif numérique Ce silence des autorités pourrait toutefois prendre fin à tout moment. Mais en attendant, il convient d’appliquer la loi, puisque celle-ci est claire.
Selon mon analyse, voici quelques une des conséquences fiscales qui devraient découler de ce changement de nature juridique du bitcoin.
a) Pour les professionnels, en principe astreints à la tenue d’une comptabilité, le bitcoin devrait maintenant être comptabilisé comme une devise. Le 7 septembre 2021, il aurait dû être transféré du compte actifs numériques au compte devises étrangères.
Ses variations doivent donc être traitées comme des gains ou pertes de change. A la clôture, ces variations du résultat comptable entraînent la même variation du résultat fiscal.
La principale difficulté concerne le traitement fiscal du transfert des bitcoins du compte d’actifs numériques au compte devises étrangères. En effet, en première approche, il est à craindre qu’un tel transfert doive générer un calcul de plus-value imposable, soit selon le procédé PEPS, soit selon le CUMP selon l’option comptable choisie.
b) Pour un particulier, les bitcoins qu’il détenait le 6 septembre 2021 faisaient partie de son portefeuille d’actifs numériques au sens de l’article 150 VH bis du CGI. Le 7 septembre, ces mêmes bitcoins sont sortis de son portefeuille, sans aucune action de sa part, par le seul effet de leur changement de nature juridique. Il ne saurait s’agir d’un fait générateur de l’impôt puisqu’il n’a réalisé aucune cession.
Mais la situation n’est pas sans conséquences fiscales, loin s’en faut. En voici quelques unes :
1. Lors de la revente de bitcoin, le particulier va réaliser un gain de change. Contrairement à une idée reçue, les gains de change des particuliers ne bénéficient d’aucune exonération spécifique dans la loi. Dans le silence des textes, ils relèvent du régime de droit commun des plus-values sur meubles. On retrouve donc exactement le régime qui prévalait en matière de plus-values sur actifs numériques antérieurement à la loi de finances pour 2019 qui a introduit l’article 150 VH bis dans le CGI. Il pourra donc être exonéré dans certains cas, par exemple pour les cessions inférieures à 5.000 €.
2. Un échange de bitcoin contre une autre cryptomonnaie relèverait de même du régime des plus-values sur biens meubles et ne bénéficierait donc plus du régime de neutralité actuellement institué par l’article 150 VH bis du CGI.
3. Inversement, un échange d’altcoin contre du bitcoin constituerait une opération imposable au régime des plus-values sur actifs numériques de l’article 150 VH bis du CGI.
4. Enfin, plusieurs difficultés pratiques vont surgir dans le cadre des calculs de plus-values. On peut par exemple relever les difficultés suivantes :
- la détermination du coût d’acquisition des bitcoins vendus,
- la détermination de la durée de détention des bitcoins vendus,
- l’exclusion du coût d’acquisition des bitcoins pour le calcul du coût d’acquisition d’un portefeuille d’actifs numériques.
Comme on le voit, les conséquences de l’adoption du bitcoin comme monnaie légale par le Salvador devraient être très importantes en fiscalité française. Le législateur comme l’administration fiscale feraient bien de se saisir rapidement et sérieusement de ce problème au risque de voir les détenteurs de cryptomonnaies, et de bitcoins en particulier, fuir l’incertitude du régime fiscal français. Dans cette attente, les détenteurs de bitcoins devraient prendre en considération cette nouvelle situation dans la gestion de leur portefeuille. Dans certains cas, des optimisations sont envisageables.
Dominique LAURANT
21 octobre 2021
Traduction libre de la loi du 9 juin 2020 du Salvador
LOI BITCOIN
CHAPITRE I – DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Art. 1. Le but de cette loi est de réglementer le bitcoin en tant que monnaie ayant cours légal avec pouvoir libérateur illimité pour toute transaction, pour tout type de transaction que les personnes physiques ou morales publiques ou privées exigent de réaliser.
Ce qui est mentionné au paragraphe précédent ne fait pas obstacle à l’application de la loi d’intégration monétaire.
Art. 2. Le taux de change entre le bitcoin et le dollar des États-Unis (nommé par la suite USD), sera librement établi par le marché.
Art. 3. Les prix peuvent être exprimés en bitcoin.
Art. 4. Les contributions fiscales peuvent être payées en bitcoin.
Art. 5. Les échanges en bitcoins ne seront pas soumis à l’impôt sur les plus-values, comme toute monnaie ayant cours légal.
Art. 6. À des fins comptables, l’USD sera utilisé comme devise de référence.
Art. 7. Tout agent économique doit accepter le bitcoin comme moyen de paiement lorsqu’il est demandé par quiconque acquiert un bien ou un service.
Art. 8. Sans préjudice des actions du secteur privé, l’État fournira des alternatives permettant à l’utilisateur d’effectuer des transactions en bitcoin et d’avoir une convertibilité automatique et instantanée de bitcoin en USD s’il le souhaite. Par ailleurs, l’Etat favorisera la formation et les mécanismes nécessaires pour que la population puisse accéder aux transactions en bitcoins.
Art. 9. Les limitations et les opérations des alternatives de conversion automatique et instantanée de bitcoin en USD fournies par l’Etat seront précisées dans des règlements édictés à cet effet.
Art. 10. Le pouvoir exécutif créera la structure institutionnelle nécessaire pour appliquer cette loi.
DISPOSITIONS FINALES ET TRANSITOIRES
Art. 11. La Banque centrale de réserve et la Surintendance du système financier édicteront les règlements correspondants dans le délai mentionné à l’article 16 de la présente loi.
Art. 12. Ceux qui, par fait évident et notoire, n’ont pas accès aux technologies qui leur permettent d’effectuer des transactions en bitcoin sont exclus de l’obligation exprimée à l’art. 7 de cette loi. L’État favorisera la formation et les mécanismes nécessaires pour que la population puisse accéder aux transactions en bitcoins.
Art. 13. Toutes les obligations en argent exprimées en USD, existant avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, peuvent être payées en bitcoin.
Art. 14. Avant l’entrée en vigueur de la présente loi, l’État garantira, par la création d’un trust à la Banque de développement du Salvador (BANDESAL), la convertibilité automatique et instantanée du bitcoin en USD nécessaire aux alternatives prévues par le Etat mentionné à l’art. 8.
Art. 15. Cette loi aura un caractère spécial dans son application concernant d’autres lois qui règlent la matière, abrogeant toute disposition qui la contredit.
Art. 16. Le présent texte prendra effet quatre-vingt-dix jours après sa publication au Journal Officiel.
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