Je recense ci-après les principales difficultés rencontrées en fiscalité des cryptomonnaies, autres actifs cryptographiques, et WEB3 en général.
1) Pour la fiscalité des plus-values des particuliers, le système retenu par l’article 150 VH bis du CGI conduit à des calculs particulièrement complexes. Si le principe est simple (les échanges cryptos / cryptos sont neutralisés, et seules les sorties en cash ou par achat de biens ou services sont imposables) la mise en oeuvre est épouvantable. Il faut déterminer ce qui est un actif numérique et ce qui ne l’est pas, les évaluer, puis faire des calculs de plus-values presque impossibles à réaliser sans l’aide d’un logiciel tel que celui proposé par la société Waltio. Il pourrait être proposé la mise en place d’un régime fiscal optionnel d’imposition sur le prix de cession (sans calcul de plus-value) calqué sur celui des oeuvres d’art, d’objets de collection et métaux précieux.
2) L’article 150 VH bis du CGI précité, et son système de calcul des plus-values, porte sur les « actifs numériques » tels définis par l’article 54-10-1° du Code Monétaire et Financier (CMF). Si l’on applique strictement cette définition, le bitcoin ne serait pas un actif numérique, et certains NFTs le seraient. Il faudrait donc déclarer des plus-ou moins-values à chaque achat ou vente de bitcoin contre une autre cryptomonnaie ; et chaque détermination de plus-value sur actif numérique devrait tenir compte d’une évaluation de la valeur vénale des NFTs détenus à cette date. Il pourrait être proposé de modifier la définition de l’actif numérique, au moins pour y inclure le BTC. Il pourrait en outre être proposé de modifier le champ d’application de l’article 150 VH bis.
3) La fiscalité des NFTs est totalement incertaine, et semblerait à ce jour dépendre d’une analyse juridique à mener, NFT par NFT. Certains seraient des actifs numériques, d’autres des objets de collection, d’autres encore de simples biens meubles incorporels, d’autres éventuellement des oeuvres d’art, ou encore des titres de créance ou des parts de sociétés. Et dans chaque cas un régime fiscal différent doit s’appliquer. L’administration fiscale a été officiellement interrogée via des questions ministérielles à l’Assemblée Nationale et au Sénat ; elle n’a jamais répondu.
4) La distinction entre un professionnel et un particulier reste incertaine. Notons d’abord que la loi de finances pour 2022 est heureusement intervenue pour classer les opérations d’achat et revente de cryptos dans la catégorie fiscale des BNC et non plus des BIC à compter de 2023. Le trader crypto est ainsi dorénavant traité comme les autres traders. Dès lors, la jurisprudence traditionnelle applicable aux traders est maintenant transposable aux traders crypto. Cependant, cette jurisprudence traditionnelle est d’une part d’application incertaine, et d’autre part inadaptée aux techniques particulières offertes par certaines plateformes de trading, certains « bots », et la finance décentralisée. Dans bien des cas, il est donc encore très délicat de savoir si le contribuable relève de la fiscalité des particuliers ou de celle des professionnels en BNC.
5) Comme indiqué précédemment, la loi de finances pour 2022 est heureusement intervenue pour classer les opérations d’achat et revente de cryptos dans la catégorie fiscale des BNC et non plus des BIC à compter de 2023. Il en résulte que les traders cryptos sont passés d’un régime BIC en 2022 à un régime BNC en 2023. Dans une telle situation, l’application de la loi fiscale entraîne l’imposition immédiate de tous les profits latents au 31/12/2022. Une tolérance administrative expresse serait la bienvenue pour empêcher cette imposition intercalaire.
6) L’important développement de la finance décentralisée (ou DeFi) a vu naître diverses manières de faire fructifier un capital détenu en cryptomonnaies. En plaçant ses cryptomonnaies, on peut toucher (également sous forme de cryptomonnaies) ce qui s’apparenterait à des intérêts, parfois à des dividendes, à des attributions gratuites… Le droit positif n’aborde pas ces sujets. Fiscalement, pour les particuliers, on considère généralement (mais sans fondement textuel clair) que ces revenus ne sont pas taxables tant qu’ils ne sont pas sortis du portefeuille d’actifs numériques, soit en cash, soit par l’achat d’un bien ou d’un service. Cette situation pose deux difficultés : d’abord l’incertitude (cette non imposition des gains de DeFi pourrait être contestée par l’administration fiscale), mais surtout l’aspect international : d’autres pays pourraient adopter une analyse différente, entrainant potentiellement une double imposition à terme d’un même profit.
7) Schématiquement, les entreprises soumises à une obligation de tenue d’une comptabilité doivent concrétiser chaque événement patrimonial par une écriture comptable. En matière de DeFi, cette obligation peut facilement entraîner des centaines d’écritures quotidiennes aux qualifications variées. Ne pas y satisfaire correctement peut entraîner, en cas de contrôle fiscal, un rejet de comptabilité. Une tolérance permettant la globalisation de certaines opérations, à l’instar du Ticket Z des restaurateurs, serait bienvenue.
8) La vente initiale d’un NFT (peu après son émission sur une blockchain), réalisée par un professionnel, est une opération en principe soumise à TVA. Le professionnel résident de France devra donc soumettre cette vente à la TVA sauf dans le cas tout à fait exceptionnel d’un acquéreur clairement identifié comme étant une personne morale étrangère, ou une personne physique résidente d’un pays hors UE. De plus, il sera soumis aux règles de facturation. Afin de préserver une certaine compétitivité de la France sur ce sujet, un régime dérogatoire de faveur pourrait être envisagé.
9) Le minage (ou la contribution au réseau selon la terminologie de la DGFiP) relève des BNC et fait l’objet de quelques lignes particulièrement contestables au BOFiP. On comprend notamment que les déficits dégagés avant toute cession ne pourraient pas être déclarés, et par voie de conséquence pas reportés. Cette position semble assez clairement illégale. Il conviendrait que l’administration fiscale revoie entièrement sa doctrine sur le sujet.
10) Les cryptomonnaies étant des biens fongibles, leur prêt doit être qualifié de prêt à consommation, avec toutes les conséquences juridiques et fiscales qui s’y attachent. Tout particulièrement, la mise en garantie de cryptomonnaies est un fait générateur de l’impôt sur la plus-value. Cette situation empêche en pratique les emprunts en euros garantis en cryptomonnaies. Il pourrait être proposé une modification législative sur ce point.
11) Comme cela a été souvent souligné par le passé, l’apport en société d’actifs numériques entraîne l’imposition de la plus-value d’apport. Au contraire, l’apport en euros ou l’apport de titres, voire l’apport d’immeuble, sont fiscalement neutres (à certaines conditions). Il paraît évident qu’un régime de neutralité des apports d’actif numériques ne pourrait que favoriser l’économie nationale. A défaut, un sytème de crédit d’impôt ou d’exonération partielle, par exemple sous condition de remploi, permettrait aussi un transfert de richesses vers l’économie dite « réelle ».
12) L’attribution de jetons aux salariés, dirigeants, ou collaborateurs ne bénéficie d’aucun régime de faveur. Il s’agit là d’un problème majeur obligeant la vente des jetons pour pouvoir payer les impôts, avec un aléa impossible à gérer sur la valeur.
13) Aujourd’hui, les dépenses en carte de paiement avec débit en cryptomonnaie génèrent des plus-values imposables à chaque dépense. La complexité du régime fiscal en cause empêche concrètement toute utilisation de ce système. Un régime de taxation sur le prix de vente (comme pour les oeuvres d’art, les objets de collection ou les métaux précieux) résoudrait ce problème.
14) Le développement rapide de la tokenisation de titres pose diverses difficultés notamment en fiscalité internationale : par exemple, la notion de titre, exclue en France de la définition de l’actif numérique, est souvent différente dans les pays étrangers ; ce conflit de qualification peut entraîner une double imposition. En outre, comme pour les NFT, il faut mener une analyse minutieuse de chaque bien tokenisé ; lorsque ce n’est pas un actif numérique, son achat contre un actif numérique est donc générateur de plus-value. Il est donc urgent de revoir le champ d’application de l’article 150 VH bis.
15) Le développement des actifs cryptographiques entraîne corrélativement celui des DAO (pour « Decentralized Autonomous Organizations » ou « organisations autonomes décentralisées). Ces organisations d’un genre nouveau n’ont pas de cadre juridique ni de régime fiscal réellement adaptés. Certaines initiatives étrangères sont apparues, mais la France pourrait encore saisir l’opportunité d’une innovation fiscale en offrant un cadre clair.
16) Enfin, l’impossibilité de report des moins-values est une incongruité injustifiable.
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