L’article 1849 du Code Civil prévoit, pour les sociétés civiles, les pouvoirs du gérant en ces termes :
« Dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social.
En cas de pluralité de gérants, ceux-ci détiennent séparément les pouvoirs prévus à l'alinéa précédent. L'opposition formée par un gérant aux actes d'un autre gérant est sans effet à l'égard des tiers, à moins qu'il ne soit établi qu'ils en ont eu connaissance.
Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers »
I - Dans un nouvel arrêt qui reçoit les honneurs de la publication au Bulletin, la Cour de cassation revient sur les pouvoirs du gérant d’une SCI :
Peut-il de lui-même consentir une mise à disposition gratuite des locaux détenus par la société ?
Au cas d’espèce, une société civile immobilière est constituée entre deux associés en couple, dont l’une possède 99% des parts sociales, le minoritaire étant par ailleurs désigné gérant.
La société était propriétaire d’un immeuble à deux étages, le rez-de-chaussée étant donné à bail à une société (contrôlée par le minoritaire).
Les ennuis surviennent évidement à la séparation du couple, puisque le minoritaire, séparé de sa conjointe, s’est lui-même consenti un prêt à usage sur le bien immobilier de la SCI. En d’autres termes, celui-ci s’est lui-même autorisé à occuper, à titre gratuit, les locaux au premier et deuxième étage pour y habiter personnellement.
L’associée majoritaire saisit le juge pour obtenir la désignation d’un mandataire judiciaire missionné pour convoquer, à la place du gérant adoptant l’inertie comme stratégie, une assemblée générale extraordinaire au terme de laquelle ont été votées, à la majorité, les résolutions suivantes :
- La révocation de l’associé minoritaire en qualité de gérant.
- La propre désignation de l’associée majoritaire en qualité de nouvelle gérante.
Le minoritaire retorque par une demande judiciaire de remboursement de son compte courant, mais se prend par retour, une demande reconventionnelle de l’associée majoritaire visant à faire annuler la convention de prêt à usage, c’est-à-dire l’occupation gratuite des deux étages par l’ex-gérant.
Les juges du fond ont prononcé la nullité du contrat de prêt à usage consenti par la SCI au profit du minoritaire, le déclarant dès lors occupant sans droits ni titres. Ils ont par ailleurs ordonné :
- Le versement une indemnité d’occupation faute de libération des lieux dans un délai fixé.
- L’expulsion de l’ancien gérant
Mécontent, celui-ci se pourvoit en cassation avec l’argument suivant : Même si l’objet social ne prévoyait pas expressément la possibilité de conclure une convention de prêt à usage, cette possibilité était indirectement incluse.
Dès lors, la loi autorisant le gérant à engager la société par tous les actes entrant dans l’objet social, il n’y avait pas lieu à prononcer la nullité dudit contrat, ni l’expulsion de celui-ci.
La Cour de cassation, dans cet important arrêt, précise finalement :
Les juges du fond ont, à bon droit, relevé que les statuts de la SCI n’indiquaient pas, précisément, dans l’objet social, la faculté de mettre un immeuble à disposition gratuite des associés.
Dès lors, cette mise à disposition ne peut être décidée par le gérant seul, et doit faire l’objet d’une assemblée générale des associés statuant dans les conditions prévues par les statuts de la SCI.
A défaut, cette décision du gérant seul outrepasse ses pouvoirs.
II – Les pouvoirs du gérant de SCI sont sujets d’une étude approfondie par le droit prétorien. Ils font en effet l’objet d’un autre arrêt récent, s’agissant de la vente de l’immeuble appartenant à la société.
En effet, la 3ème Chambre civile a d’ores et déjà, dans un arrêt du 23 novembre 2023 (N°22.17.475) restreint les pouvoirs du gérant de SCI.
Il est d’ores et déjà acquis de ce qui précède, que le gérant voit ses pouvoirs limités à l’objet social de la société., qui fixe juridiquement son champ d’intervention. Les décisions outrepassant l’objet social doivent être votées en assemblée générale par la collectivité des associés.
L’enjeu de la rédaction de l’objet social est donc important, ce d’autant plus que vis-à-vis des tiers, les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant leur sont inopposables, qu’ils en aient connaissance ou non (Civ 3, 24 Janvier 2001, N°99.12.841).
La Cour avait alors pris position sur un objet social rédigé comme suit :
« L’acquisition, la propriété, l’administration, l’exploitation de tous biens immobiliers, la prise à bail à construction de tous immeubles en vue de la location ainsi que toutes opérations juridiques, administratives, financières et de gestion à caractère mobilier ou immobilier concourant directement ou indirectement à la réalisation de l’objet ».
Alors, en pareille hypothèse, le gérant pouvait-il vendre seul l’unique actif de la société ?
Celui-ci invoquait le droit d’accomplir toutes les opérations immobilières civiles qui se rattachaient à la propriété de l’immeuble, impliquant le droit d’en disposer, donc de le vendre.
Mais que nenni, la Cour dresse le constat suivant : Si la vente d’un immeuble n’est pas précisément indiquée dans l’objet social, elle ne peut être décidée et signée seulement par le gérant, lequel doit donc solliciter l’autorisation préalable de ses associés.
Dans ce cas : Il ne peut donc agir sans l’assentiment de la collectivité des associés.
III – Les pouvoirs du gérant de SCI sont donc limités en ce qui concerne l’occupation gratuite, et la vente de l’immeuble.
Attention donc à bien rédiger les statuts des SCI, à mettre à jour l’objet social au cours de la vie sociale, et à solliciter l’accord de vos associés le cas échéant.
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