Le point de départ de la prescription quinquennale opposée par les associés aux créanciers de la SCI ne peut être différent de celui opposable directement par la société elle-même.

 

 

La jurisprudence considère en effet que ce point de départ de la prescription des actions diligentées par les créanciers à l’encontre des associés ne peut être celui de l’épuisement des poursuites à l’encontre de la personne morale, préalable pourtant indispensable.

I. En matière de Société Civile Immobilière (SCI), c’est-à-dire société de personne, les associés sont indéfiniment responsables des dettes sociales, proportionnellement au nombre de parts détenues par chacun d’entre eux (Article 1857 du Code civil).

Certes, les statuts peuvent prévoir une répartition différente, mais celle-ci est strictement inopposable aux tiers (sauf s’ils les ont acceptées).

Ainsi, leur responsabilité n’est pas limitée à leurs apports contrairement aux autres types de sociétés.

Pour autant, et conformément à l’article 1858 du Code civil, les tiers créanciers ne peuvent poursuivre les associés qu’après avoir vainement et préalablement poursuivi la personne morale, et l’article suivant d’ajouter, que ces actions se prescrivent par 5 ans.

Cela signifie que le droit de poursuite contre un associé n’est que subsidiaire : c’est la société qui demeure débitrice principale, et donc doit être actionnée en paiement au préalable. Les deux poursuites ne peuvent, de surcroit, être simultanées.

En conclusion, les tiers créanciers peuvent intenter des actions contre les associés directement, mais disposent pour ce faire d’un délai de cinq ans.

Pour autant, la question s’est posée aux juges du point de départ de la prescription prévue par le législateur.

II. Une SCI dénommée « Hippopotame » (cela ne s’invente pas), contracte un prêt bancaire sur 20 ans. Ne respectant pas ses échéances contractuelles de remboursement, la personne morale se voit confrontée aux poursuites engagées à son encontre par sa banque, aux fins d’obtenir la saisie immobilière de l’immeuble acheté par la société. La vente amiable est autorisée, et le projet de distribution homologué par le juge de l’exécution le 3 janvier 2012.

Pour autant, la réalisation de la vente ne permet pas de solder la dette de la société… mais pour autant, l’établissement bancaire laisse filer le temps, et ne délivre un commandement de payer aux fins de saisie vente à la SCI que le 27 février 2017. Un procès-verbal de carence est malheureusement établi le 6 mars 2017, de sorte que la banque n’a d’autres choix que d’assigner l’associée en paiement du reliquat le 14 juin 2017.

Les dates ont ici toute leur importance pour le calcul de la prescription.

III. Un débat technique oppose les parties, sur le point de départ de la prescription opposée aux tiers créanciers par l’associée mise en cause.

Deux théories sont revendiquées :

- Le point de départ doit être considéré comme débutant dès l’épuisement des poursuites préalables à l’encontre de la société.

Le point de départ du délai de cinq ans laissé au créancier pour agir serait celui du jour où il aurait pleinement épuisé les poursuites à l’encontre de la société, et se retrouverait contraint, dans un second temps, de se retourner vers les associés de la SCI.

C’est en ce sens que s’est positionnée la Cour d’appel.

En effet, elle donnait raison à l’établissement bancaire, considérant dans ce cas d’espèce, que le point de départ de la prescription de l’action exercée par ce dernier, à l’encontre de l’associée personne physique au titre du prêt impayé par la SCI, était celui de la date à laquelle les diligences de la banque, à l’encontre de la société s’étaient avérées infructueuses, c’est-à-dire le jour de l’établissement du procès-verbal de carence, soit le 6 mars 2017.

A partir de cette date, la banque aurait disposé d’un nouveau délai de 5 ans pour agir contre l’associée de la SCI. Ainsi, l’assignation du 14 juin 2017 était à son sens, loin d’être couverte par la prescription quinquennale.

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Le créancier aurait donc tout intérêt à agir rapidement pour obtenir paiement de sa créance par la société, sous peine de ne plus pouvoir agir à l’encontre de ses associés.

C’est là tout l’intérêt du présent arrêt, ayant eu l’honneur de la publication au Bulletin (Cour de Cassation, 3ème Chambre civile, 19 janvier 2022, N°20.22.205).

IV. Fixant le point de départ de la prescription quinquennale au 6 mars 2017, date du procès-verbal de carence, suite au commandement de payer demeuré infructueux, l’assignation de l’associée personne physique en paiement du solde était selon les juges du fond, largement recevable. Ils condamnent donc cette dernière au paiement du solde de l’emprunt bancaire.

Mécontente, celle-ci se pourvoi en cassation, et heureusement !

Les juges de la Haute Cour cassent et annulent l’arrêt rendu par la Cour d’appel en toutes ses dispositions, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, décident de statuer directement sur le fond.

Ils rappellent donc que :

« (…) l’associé, débiteur subsidiaire du passif social, est en droit d’opposer au créancier la prescription de la créance détenue contre la société et que la poursuite préalable et vaine de la société ne constitue pas le point de départ de la prescription de l’action du créancier contre l’associé, qui est le même que celui de la prescription de l’action contre la société ».

En effet, et contrairement aux affirmations des juges d’appel, le tiers créancier ne dispose pas, après poursuites infructueuses de la société, d’un nouveau délai de 5 ans pour engager des poursuites contre les associés. Le point de départ ne peut être fixé au jour où le créancier a épuisé les poursuites à l’encontre de la personne morale. Cette théorie est donc écartée strictement par les juges suprêmes.

Pour autant, ils s’appuient sur une autre règle de droit pour considérer qu’en réalité, l’action était belle et bien prescrite.

Ils rappellent que : « (…) l’interruption de la prescription efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien ».

Ainsi « (…) la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription et l’interruption résultant de cette demande produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance ».

En d’autres termes, après homologation par le juge de l’exécution du projet de distribution, le 3 janvier 2012, un nouveau de délai de prescription de 5 ans s’ouvrait en effet pour la banque. C’est à cette date là que la demande en justice, ayant interrompu le délai de prescription, s’éteint.

Vous apercevez dès à présent l’issue de ce litige : Le point de départ commençant à courir à compter de cette date, l’établissement banque aurait dû initier son action avant le 3 janvier 2017. Ce qu’il n’a manifestement pas fait.

En l’espèce, le commandement de payer, et l’assignation étant tous deux postérieurs de quelques mois, l’associée était légitime à soulever la prescription de l’action.

La Cour de cassation l’évoque en ces termes :

« 12. Pour dire recevable l’action engagée contre Mme [X], l’arrêt retient que la distribution, à l’issue de la procédure de saisie immobilière, ne suffit pas à caractériser les vaines poursuites au sens des dispositions de l’article 1858 du Code civil et que le caractère infructueux des diligences du créancier est caractérisé par l’échec de la procédure de saisie-vente diligentée à l’encontre de la SCI le 27 février 2017, qui a conduit à l’établissement d’un procès-verbal de carence le 6 mars 2017, date qui constitue le point de départ du délai de prescription de l’action du créancier contre l’associé.

13. En statuant ainsi, alors que, l’effet interruptif de prescription résultant de la saisine du juge de l’exécution ayant pris fin le 3 janvier 2012, date de l’ordonnance d’homologation du projet de distribution du prix de vente, et un nouveau délai de cinq ans ayant couru à compter de cette date, la créance de la caisse était prescrite le 27 février 2017, date du commandement aux fins de saisie-vente, de sorte que l’action engagée par l’assignation délivrée le 14 juin 2017 à Mme [X] était irrecevable, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

En conclusion le point de départ de la prescription quinquennale à l’encontre des associés de la SCI ne peut être celui de l’épuisement des poursuites à l’encontre de la personne morale. L’action en paiement exercée par un créancier à l’encontre des associés d’une société civile immobilière se prescrit comme l’action en paiement exercée à l’encontre de la société directement. Pour autant, l’interruption du délai de prescription par une demande en justice, même en référé, permet d’ouvrir une nouvelle période de 5 ans permettant au créancier d’agir.

 

https://www.village-justice.com/articles/prescription-action-des-creanciers-contre-les-associes-sci,42073.html