Une République est une forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir est détenu par le peuple et ses représentants élus. Les républiques se caractérisent généralement par un ensemble de lois et de principes qui garantissent les droits et libertés des citoyens codifiés dans une Constitution.

La Constitution du 19 décembre 2024 consacre la 5ème République Gabonaise. 

Toutefois, d’aucuns s’interrogent sur l’existence des numérotations des précédentes Républiques. 

Les Républiques numérotées la Première, la Deuxième, la Troisième et la Quatrième ont-elles existées réellement ? Pourquoi subitement parle-t-on de la Cinquième République alors qu’il n’a jamais été question des précédentes Républiques ?

Cet article vous propose un bref éclairage sur la réponse à ces deux interrogations.

 

1. Histoire de la Première République

Avant son indépendance, le Gabon faisait partie des territoires d’outre-mer plus précisément des pays d’Afrique Équatoriale Française (AEF). Cette collectivité française avait été créée en 1946 avec l’Union Française en remplacement du statut de colonie.

En 1958, le Gabon, comme bon nombre de pays d’outre-mer, participait au référendum du 28 septembre 1958 portant sur la Cinquième Constitution française. A ce référendum, le « oui » l’emportait. Le 28 septembre 1958, le peuple français adoptait la constitution de la Cinquième République qui fut promulguée par le Président de la République le 4 octobre 1958.

Cette Constitution organisait les rapports de la République française avec les pays du territoire d'outre-mer en leur offrant trois choix :

- Soit de garder le statut de territoire d'outre-mer

- Soit de devenir départements d'outre-mer de la République

- Soit d’être groupé dans un État membre de la Communauté. 

Le Gabon choisissait dans un premier temps de devenir département d'outre-mer. Puis, sous une pression politique, il décidait de rejoindre la communauté des États membres.

Le 13 février 1959, quatre mois après le référendum constitutionnel français, en sa qualité d’État membre de la Communauté, le Gabon décidait d’organiser progressivement son indépendance avec la rédaction de sa première Constitution.

 

2. Première République

La Première République Gabonaise est née de la première Constitution gabonaise datée du 19 février 1959. Elle s’est appliquée jusqu'à la proclamation de l’indépendance du Gabon le 17 août 1960. Elle n’a duré que 19 mois. 

Cette Constitution conférait au Premier Ministre le rang et les prérogatives de chef d’État. 

Son régime politique était parlementaire. L’assemblée législative détenait la motion de censure qui pouvait déboucher sur un renversement du gouvernement. Cette motion de censure était prévue à l’article 34 : « La motion de censure est adoptée par les deux tiers des députés composant l'Assemblée législative. Elle entraîne la démission du Gouvernement. La motion de censure n'est recevable que si elle est déposée par un tiers au moins des membres composant l'Assemblée législative. »

La particularité de cette République c’est qu’elle était dépendante de la Cinquième République française. Dans son préambule on pouvait lire ceci :  « Le Peuple gabonais répondant à l'offre faite par la République française dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, conscient de sa responsabilité devant Dieu, animé par la volonté d'assurer la liberté et la dignité de l'être humain, d'ordonner la vie commune d'après les principes de la justice sociale, confirme la délibération de l'Assemblée territoriale qui, le 28 novembre 1958, a opté pour le statut d'État membre de la Communauté, proclame solennellement son attachement aux principes définis dans le préambule de ladite Constitution et notamment à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'à la déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. »[1]

 

3. Deuxième République

Le 17 août 1960, à 00h15, Léon Mba, alors Premier Ministre du Gabon, proclamait l’indépendance de la République gabonaise sous ces termes : « En invoquant Dieu, et à la face des hommes, par la délégation des pouvoirs que je tiens du peuple gabonais, et en vertu du droit de ce peuple à disposer de lui-même, je proclame solennellementl’indépendance de la République gabonaise ! »

La Deuxième République est consacrée par la Constitution du 14 novembre 1960. L’institution de la Présidence de la République est créée et le régime politique est parlementaire.

Le système parlementaire à une seule chambre aussi appelé monocaméralisme est maintenu. Il y a un équilibre des pouvoirs entre l’Exécutif et le Parlement. Ce dernier disposait du vote de défiance et de la motion de censure[2]. Le chef de l'État et son Gouvernement étaient responsables devant le Parlement. L’Exécutif, quant à lui, détenait le pouvoir de dissolution de l’Assemblée. 

C’est la République la plus courte de l’histoire constitutionnelle gabonaise. Elle n’a duré que deux jours. En effet, cette Constitution a été suspendue par le Président de la République car les députés avaient décidé d’actionner la motion de censure prévue à l’article 54.

 

4. Troisième République

La Troisième République a vu le jour avec la Constitution du 21 février 1961. Cette Constitution consacrait un régime autoritaire qui s’est imposé jusqu’au 26 mars 1991. Il n’y avait aucun équilibre des pouvoirs dans la mesure où le Parlement ne disposait d’aucun moyen de pression sur l’Exécutif.

Le 12 mars 1968, le Gabon instaure un régime de parti unique. À partir de cette date et jusqu'en 1990, les activités de l'opposition sont cantonnées à l'étranger.

 

5. Quatrième République

La Constitution du 26 mars 1991 est celle qui a régi le Gabon durant la période du 26 mars 1991 jusqu’au 30 aout 2023. Elle était adoptée par l'Assemblée Nationale le 15 mars 1991, après la réunion d'une Conférence Nationale ayant décidé de la suppression du système de parti unique. Elle consacrait un régime semi parlementaire ou semi présidentiel opérant une rupture avec la Constitution du 21 février 1961qui consacrait un régime autoritaire.

Dans ce régime politique, le Gouvernement était responsable devant le Président de la République et l'Assemblée Nationale. Le Premier Ministre dirigeait l'action du Gouvernement. L’Assemblée Nationale disposait d’une motion de censure à l’encontre du Gouvernement.

 

6. Transition vers la Cinquième République

La Transition a commencé au 30 septembre 2023, date de prise du pouvoir par les militaires, pour entamer sa disparition progressive au 3 mai 2025, date de l’investiture du Président de la République.  Durant cette phase, le Gabon était gouverné par trois textes fondamentaux juxtaposés. 

D’abord la Constitution du 26 mars 1991 puis la Charte de la Transition publiée au Journal officiel le 4 septembre 2023. 

La Charte de la Transition fonctionnait de trois manières. 

Soit elle opérait des renvois à la Constitution de 1991. C’était par exemple le cas en son article Premier du Préambule articulé de la manière suivante : « Outre les valeurs affirmées par la Constitution du 26 mars 1991 en son préambule, la présente Charte consacre les valeurs et principes suivants pour conduire la Transition… »  

Soit, face à son silence, c’était la Constitution de 1991 qui s’appliquait. Par exemple, le jeudi 23 janvier 2025, il était annoncé l’organisation de l’élection présidentielle au Gabon pour le 12 avril 2025. Le 3 mars 2025, le Président de la Transition annonçait sa candidature.

La Charte de la Transition ne prévoyant aucune disposition limitant les pouvoirs du Président de la Transition dès l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle, il me semble que c’était l’article 11 de la Constitution de 1991 qui s’appliquait. Selon ce texte:  « Si le président de la République en exercice se porte candidat... Il ne peut, en outre, à partir de l'annonce officielle de sa candidature jusqu'à l'élection, exercer son pouvoir de légiférer par ordonnance. » 

Ce pouvoir exceptionnel de légiférer par ordonnance était fixé à l’article 26 de la Constitution de 1991 sous les termes suivants : « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance ou les intérêts supérieurs de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend par ordonnance, pendant les intersessions, dans les moindres délais, les mesures exigées par les circonstances, et après consultation officielle du Premier ministre, du président de l'Assemblée nationale ainsi que de la Cour constitutionnelle. »

Il s’agissait d’un pouvoir normatif reconnu au Président de la République ou au Gouvernement en période d’urgence. En se passant des débats parlementaires, le Président de la République pouvait parfaitement prendre une mesure ayant une portée générale pendant cette période exceptionnelle. Il ressortait de l’article 11 de la Constitution de 1991 que l’exercice de ce pouvoir était strictement interdit au Président de la Transition dès lors qu’il était candidat à l’élection présidentielle. A travers ce texte, je tente d’illustrer la suprématie de la Constitution de 1991 sur la Charte de la Transition silencieuse sur un cas donné.

Si la Charte de la Transition laissait la place à l’application de la Constitution de 1991 lorsqu’elle opérait des renvois ou lorsqu’elle était silencieuse, il en était autrement lorsque les deux textes étaient contraires. La Charte de la Transition était hiérarchiquement supérieure en cas de conflit avec la Constitution de 1991. Cette primauté était consacrée à l’article 61 qui disposait qu’: « En cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 26 mars 1991, les dispositions de la présente Charte s’appliquent. La Cour Constitutionnelle de la Transition statue en cas de litige. »

En effet, la Charte de la Transition avait nettement écrasé les Institutions Constitutionnelles de l’État prévues par la Constitution de 1991 à savoir la Présidence de la République, le Gouvernement, le Parlement, la Cour Constitutionnelle, le Conseil Économique, Social et Environnemental.

Ces institutions ont toutes été abrogées et remplacées par la Présidence de la Transition, le Gouvernement de la Transition, le Parlement de la Transition, la Cour Constitutionnelle de la Transition, le Conseil Économique, Social et Environnemental de la Transition. Sur le plan politique, toutes les autorités, qui étaient en charge des institutions de la Quatrième République, ont été destituées. Cela a été le cas du Président de la République, des membres du Gouvernement, les Députés et les Magistrats à Cour Constitutionnelle.

 

7. Cinquième République

La Constitution du 19 décembre 2024 issue du Référendum du 16 novembre 2024 consacre un régime présidentiel renforcé. Elle est entrée en vigueur après l’élection du Président de la République. 

L’une des particularités de la Cinquième République c’est qu’une partie de la Constitution qui lui donne naissance s’est appliquée pendant la Transition pour permettre la mise en place de la Première Institution de l’État à savoir le Président de la République. 

En effet, les dispositions de son article 172 ce sont appliquées à l’élection présidentielle. Selon les termes de ce texte : « Les dispositions de la présente Constitution relatives à l'élection du Président de la République sont d'application immédiate, concomitamment avec celles de la Charte de Transition. »

Sur la période du 3 mars [3] au 2 mai 2025[4], le Président de la Transition a laissé la place au Président de la République élu de la Cinquième République[5]. Deux textes juridiques en sont la cause. L’article 37 de la Charte de la Transition fixait le terme du mandat du Président de la Transition après l’investiture du Président élu sous les termes suivants : « Le mandat du Président de la Transition prend fin après l’investiture du Président issu de l’élection présidentielle. » 

Et l’article 44 de la Constitution de 2024 articulé de la manière suivante : « Le mandat du Président de la République débute le jour de sa prestation de serment, qui a lieu dans les huit (8) jours ouvrés après la proclamation des résultats par la Cour Constitutionnelle et prend fin à l'expiration de la septième année suivant cette date. »

Ayant vu le jour pendant la phase de la Transition, la Constitution de 2024, s’est appliquée pendant cette période pour uniquement élire et investir la première Institution étatique qu’est le Président de la République. De ce fait l’effectivité de la Cinquième République a été reportée après l’élection du Président de la République. C’est ce qui ressort des dispositions de l’article 173 ci-après : « la présente Constitution entre en vigueur après l'élection du Président de la République. »

Dans l’ordre, la Cinquième République a démarré avec l’élection et l’investiture du Président de la République puis l’entrée en vigueur de la Constitution qui lui donne naissance. 

L’autre particularité de la Cinquième République c’est que la Constitution qui lui donne naissance n’a pas l’exclusivité en tant que texte fondateur durant quelques mois. 

En effet, bien que sur le fondement de l’article 37 de la Charte de la Transition, le Comité de la Transition pour la Restauration des Institutions (CTRI), dans son dernier communiqué n°073, ait mis officiellement fin à la Transition le 2 mai 2025, certaines Institutions de la Transition demeurent. De ce fait, toutes les Institutions prévues par la Constitution de 2024 ne sont pas fonctionnelles. Elles sont mises en attente le temps de leur renouvellement.

En effet, dans son article 171, la Constitution de 2024 prévoit que : « L’Assemblée Nationale de la Transition et le Sénat de la Transition demeurent en place jusqu’à l’élection du Bureau de chaque Chambre. La Cour Constitutionnelle de la Transition et le Conseil Économique, Social et Environnemental de la Transition demeurent en place jusqu’à leur renouvellement».

Intégré sous le titre XI intitulé « DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES », l’article 171 précité prévoit la continuité provisoire desdites institutions de la Transition sous la Cinquième République.

 

Pour conclure, on s’aperçoit que le passage d'une République à une autre au Gabon est lié à des changements constitutionnels majeurs comportant des régimes politiques différents. Chaque République, à travers son régime politique, tente d'adapter le cadre institutionnel aux réalités politiques et sociales, cherchant ainsi à répondre aux aspirations de la population gabonaise et aux défis du moment. 

Brioude le 6 mai 2025

Me Elodie MABIKA SAUZE

Avocat au Barreau de la Haute-Loire

 

 


[1] Constitution gabonaise du 19 février 1959

[2] Articles 51 et 54 de la constitution de 1960

[3] La date de l’annonce de la candidature de M. Brice Clotaire Oligui Nguema

[4] La date de l’investiture M. Brice Clotaire Oligui Nguema

[5] Brice Clotaire Oligui Nguema élu Président de la république avec 588.074 voix soit 94,85%. Sur 916.625 inscrits 642.632 ont voté