Il arrive souvent qu'un propriétaire souhaite reprendre des terres déjà louées par bail et que, dans la perspective de les mettre en valeur personnellement, il soit amené à déposer une demande d'autorisation d'exploiter au titre de la législation sur le Contrôle des structures des exploitations agricoles.
Dans cette hypothèse, le demandeur se trouve, de facto, en concurrence avec le preneur en place, ce dernier souhaitant, le plus souvent, continuer à exploiter ces parcelles.
C'est l'article L 331-3-1 du Code rural et de la pêche qui précise les différentes situations permettant de guider le Préfet dans la décision qu'il doit prendre, et notamment le I de cet article, lequel est ainsi rédigé :
"I.- L'autorisation mentionnée à l'article L 331-2 peut être refusée :
1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L 312;
2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place ;
3° Si l'opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d'exploitations au bénéfice d'une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l'article L 331-1 et précisés par le schéma directeur régional des structures agricoles (SDREA) en application de l'article L. 312-1, sauf dans le cas où il n'y a pas d'autre candidat à la reprise de l'exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place ;
....."
En premier lieu, ce texte n'est pas directif, dès lors qu'il indique que le Préfet "peut" refuser l'autorisation d'exploiter, ce qui sous-entend qu'il pourrait tout aussi bien l'accorder, y compris dans les situations évoquées par l'article L 331-3-1.
En tout état de cause, il ne peut refuser l'autorisation d'exploiter que dans les situations visées par ce texte.
Le 1° vise le cas du preneur en place "répondant à un rang de priorité supérieur au regard du SDREA". Ce qui signifie que la présence d'un preneur en place n'est pas, en soi, un motif de refus, sauf si preneur est mieux placé que le demandeur dans l'ordre de priorité fixé par le SDREA. A ce stade, il n'est pas aisé, à la lecture des SDREA, de vérifier si c'est le cas (ou non). En effet, les ordres de priorité fixés par les SDREA ne visent, bien souvent, que des "opérations", à savoir l'installation (ce qui ne peut le concerner, car, par essence, le preneur en place est déjà installé) ou l'agrandissement (ce qui, également, ne semble pas le concerner dès lors que le preneur ne vise que la conservation des terres louées et donc la surface agricole de son exploitation).
On pourrait toutefois objecter qu'il y a un risque de réduction de la surface de l'exploitation du preneur, mais cette situation n'est pas toujours prise en considération par l'ordre de priorités des SDREA.
Aussi, sauf à ce que le SDREA soit extrêmement précis sur ce point, il est souvent difficile d'identifier dans quel rang de priorité se trouve le preneur en place, dont le projet est de conserver la surface qu'il exploite. Face à une telle situation, on se demande si le Préfet ne doit pas, alors, accorder l'autorisation d'exploiter, y compris lorsque le projet du demandeur se trouve au dernier rang de priorité.
Le 2° amène à "mettre un bémol" quant à l'analyse ci-dessus. En effet, la loi dispose que le fait que l'opération envisagée "compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place" peut être un motif de refus de la demande d'autorisation d'exploiter. Pour faciliter la tâche du Préfet, les SDREA déterminent les seuils de viabilité (en surface, mais pas toujours). Dès lors que la reprise fait passer la surface de l'exploitation du preneur en place en deça du seuil préfectoral, le Préfet peut, alors, légalement, refuser l'autorisation d'exploiter au demandeur. On peut supposer qu'il en sera de même lorsque, avant la reprise par le propriétaire, la surface de l'exploitation du preneur est déjà sous le seuil de viabilité (la reprise par le bailleur fragilisant plus encore la situation du fermier).
Le 3° vise une situation réprouvée par le législateur, à savoir la perspective de l'agrandissement de l'exploitation du demandeur au-delà d'un seuil de surface considéré comme "excessif". Là encore, bien souvent, les SDREA fixent précisément ledit seuil. Une telle situation est alors un motif légal de refus de la demande d'autorisation d'exploiter. Le texte prend, toutefois, soin d'exclure les cas où il n'y a pas d'autre candidat face au demandeur et où il n'y a pas de preneur en place. En clair, le Préfet ne peut pas refuser l'autorisation d'exploiter à un demandeur qui agrandit, de façon "excessive", la surface de son exploitation, quand il n'y a ni demande concurrente, ni preneur en place.
Toutefois, un récent rendu par la Cour administrative d'appel de DOUAI (24 sept. 2025, n° 23DA02368) démontre que ce n'est pas si simple.
Mr A, qui était déjà associé-non-exploitant d'une Société civile d'exploitation agricole (Scea D) mettant en valeur une superfice de plus de 233 hectares, envisageait d'en devenir associé-exploitant (donc participant aux travaux) et a sollicité, à ce titre, une autorisation d'exploiter. Cette demande se justifiait d'autant plus que la SCEA avait pour projet un agrandissement d'une surface de plus de 11 ha (en fait, il s'agissait des terres appartenant à A, lesquelles étaient louées à un preneur en place, Mr B).
En pratique, Mr A sollicitait l'autorisation d'exploiter (au regard des critères personnels ou structurels fixés par l'article L 331-1 du CRPM) ainsi que la SCEA D du fait que le seuil de contrôle fixé par le SDREA était dépassé.
Dans les dossiers de demande d'autorisation d'exploiter, le preneur en place (Mr B) avait coché la case OUI en face de la question "Est-vous d'accord avec la reprise ?" posée dans la partie du formulaire consacrée à "L'exploitant en place", ajoutant qu'il "était d'accord avec la reprise des terres à compter du 1er novembre 2021".
Dans un premier temps, le Préfet rejette la demande au motif que la surface, après opération, excède le seuil d'agrandissement excessif fixe par le SDREA. Il ajoute également que les biens ne sont pas libres d'occupation du fait de la présence d'un preneur en place.
Après un recours gracieux infructueux et un jugement de non-lieu, la Cour administrative d'appel est saisie de l'affaire.
Comme cela était prévisible, la Cour fait le même constant concernant le dépassement du seuil d'agrandissement excessif.
Par ailleurs, elle écarte l'argument invoqué par la SCEA D selon lequel le fermier B aurait manifesté son accord à la reprise de ses terres à compter du 1er novembre 2021 (date envisagée de son départ à la retraite).
Elle considère que, malgré cette déclaration d'intention, le Préfet n'a pas commis d'erreur dès lors qu'il a statué en considération des éléments de droit et de fait à la date de sa décision et rejette, donc, la requête de la société.
L'arrêt doit être approuvé en ce que la renonciation du preneur aux droits nés de son bail était, pour le moins, équivoque. Il en aurait peut-être été différemment si ce dernier avait adressé au bailleur un congé dans ce sens, comme le prévoit d'ailleurs l'article L 411-33 du Code rural et de la pêche maritime.
La SCEA en sera quitte pour déposer une nouvelle demande lorsque le preneur aura quitté les lieux, demande qui devrait alors, en toute rigueur, être acceptée dès lors qu'il n'y aura alors plus de "preneur en place".
Eric GRANDCHAMP de CUEILLE
eric.grandchamp@gmail.com
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