On me pose souvent la question du sort du délai de prescription lorsque le débiteur décède.
Depuis 2017, et au visa de l’article 2224 du Code civil, la Cour de cassation considère que le décès constitue l’événement qui rend la créance exigible mais ne peut servir de point de départ de la prescription, tant que le créancier n’avait pas connaissance de la survenance du décès et de l’identité des héritiers débiteurs de l’obligation de remboursement.
Partant, la première chambre civile de la haute Cour décide que le point de départ de la prescription doit être fixé « à la date à laquelle le prêteur a connaissance de l’identité des héritiers de l’emprunteur » (Cass. 1re civ., 15 mars 2017, n° 15-27.574 : JurisData n° 2017-004480. – Cass. 1re civ., 11 mai 2017, n° 16-13.278 : JurisData n° 2017-008813. – Dans le même sens, Cass. 1re civ., 23 janv. 2019, n°& n bsp;17-18.219 : JurisData n° 2019-000621).
De la même façon, si le notaire informe le créancier de ce que la succession est vacante, c’est à compter de cette date que le délai de prescription court.
Un arrêt rendu le 4 juillet 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation vient illustrer cette jurisprudence (Cass 17-23. 352)
La cour d’appel de Paris avait déclaré irrecevable comme prescrites les demandes de la banque en considérant qu’elle ne démontrait pas s’être trouvée dans l’impossibilité d’accomplir dans le délai de deux ans après le prononcé de la déchéance du terme les diligences de nature à lui permettre d’agir en recouvrement de sa créance à l’encontre de la succession, soit en agissant utilement près du notaire pour faire établir la dévolution successorale, soit en faisant désigner un curateur à la succession.
La Haute Cour juge qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la banque était intervenue à plusieurs reprises auprès du notaire pour obtenir communication de la dévolution successorale et qu’elle n’avait été informée que le 21 juillet 2014 de la vacance de la succession, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.
Au regard de cet arrêt, peut-on aller jusqu’à considérer que le fait pour le créancier d’interroger le notaire est un acte interruptif de prescription ?
Ce serait sans nul doute aller trop loin dans l’interprétation de l’arrêt.
Ce qui importe selon la cour de cassation, c’est l’information qui est donnée au créancier par les tiers comme par exemple le notaire.
Mais cette information pourrait parfaitement venir de la consultation du fichier immobilier qui révélerait la publication d’une attestation immobilière après décès avec le nom des héritiers.
Ainsi, on ne peut qu’appeler les créanciers à la vigilance s’agissant des informations communiquées par les tiers (notaire, Service de publicité foncière, courrier officiel d’un avocat…) car ces informations déclenchent le délai de prescription et oblige donc le créancier à agir avec célérité !
F.BACLE
Avocat spécialiste en Droit des garanties, des sûretés et des mesures d’exécution,
Qualification spécifique « Vente et saisie immobilière »
Civ.1, 23 janvier 2019, n° 17-18219, Prescription et co-emprunteurs : quand le délai est suspendu à l’égard de l’un des co-emprunteurs, il l’est à l’égard de l’autre, Myriam Roussille, Gaz.Pal. du 11 juin 2019, n° 21, p.58 ; Jean-Denis Pellier, Dalloz actualité du 15 février 2019, Impossibilité d'agir et solidarité passive ; Jérome Casey, AJ Famille 2019, p.349, Le décès comme cause de suspension de prescription extinctive : la mort vous va si bien Monsieur le banquier... ; Dimitri Houtcieff, AJ Contrat 2019, p.129, La suspension de la prescription à l'égard d'un codébiteur produit ses effets à l'égard de tous
« Vu l'article 2234 du code civil, ensemble l'article 1203 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que, selon le second, le créancier d'une obligation contractée solidairement peut s'adresser à celui des débiteurs qu'il veut choisir ; que l'impossibilité d'agir doit être appréciée au regard du lien que fait naître la solidarité entre le créancier et chaque codébiteur solidaire, peu important que le créancier ait la faculté, en application de l'article 2245, alinéa 1er, du code civil, d'interrompre la prescription à l'égard de tous les codébiteurs solidaires, y compris leurs héritiers, en agissant contre l'un quelconque d'entre eux ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte sous seing privé du 10 juin 2007, la société Crédit foncier de France (la banque) a consenti à Bernard Y... et à son épouse, Mme Y..., un prêt relais d'un certain montant, dont elle a reçu un remboursement partiel le 17 décembre 2010 ; qu'après le décès de Bernard Y..., survenu le [...] , elle a, le 16 juillet 2013, assigné en paiement du solde du prêt Mme Y... ainsi que MM. Frédéric et Yann Y..., pris en qualité d'héritiers du défunt ;
Attendu que, pour déclarer prescrite l'action en paiement de la banque, l'arrêt retient que celle-ci n'était pas dans l'impossibilité d'agir à l'encontre de Mme Y..., ce qui aurait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription à l'égard de l'ensemble des codébiteurs solidaires ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la banque n'avait eu connaissance de la dévolution successorale de Bernard Y... que le 27 juin 2013, de sorte qu'elle s'était trouvée dans l'impossibilité d'agir contre les héritiers du défunt jusqu'à cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés »