On parle beaucoup plus du Père Noël aujourd’hui qu’en juillet dernier.

Fort de ce constat, le cabinet a décidé d’enquêter sur le premier réseau de franchise de l’histoire.

Le 5 janvier 1477, Charles le Téméraire, vaincu par René II, est tué sous les murs de Nancy.

Homme d'affaires accompli, le duc de Lorraine attribue immédiatement sa victoire à Saint Nicolas, déjà fêté un peu partout depuis le Moyen-Age.

Afin d'exploiter cette manne, René II créée l'une des premières sociétés anonymes (après la célèbre société des Moulins de Bazacle).

Si l'idée de la société commerciale à l'actionnariat anonyme est déjà ancienne, celle de faire exploiter l'activité par des tiers, en contrepartie du paiement de redevances, l'est moins : René II dépose plusieurs marques à l’INPI et à l’OHMI (Father Christmas, Santa Anna, Père Noël, Sinter Klass notamment), modélise le concept, rédige une bible, promet une assistance à ses affiliés : la franchise est née (bien avant Phildar, qui passe, à tort évidemment, pour le premier réseau de franchise en France).

Naturellement, la papauté réagit et attaque Père Noël SA pour actes de concurrence déloyale et parasitisme.

Elle se prévaut notamment des droits de l'Eglise sur l'héritage de Saint Nicolas, excipe de droits de propriété intellectuelle sur le mot "bible", et argue du fait que l'obligation d'assistance constitue un plagiat du fameux "tu aimeras ton prochain comme toi-même", déposé à l'OHMI par Jésus, fondateur et premier gérant de la société Vatican SARL.

Dans un célèbre arrêt du 24 décembre 1479 rendu par le Parlement de Paris (seul compétent en raison d’un traité de coopération militaire et commerciale conclu entre Jésus et Tibère), le pape Sixte IV, gérant de Vatican SARL, est logiquement débouté de ses demandes :

- Sur l’héritage de Saint Nicolas : le Parlement fait sienne l’argumentation de René II, consistant à dire que les droits de l’Eglise sur Saint Nicolas ne sont pas établis, puisque le testament dudit saint n’a jamais été retrouvé, pas plus que ses reliques, égarées pendant les croisades.

Le Parlement rappelle en outre que, quand bien même ces droits eussent été établis, l’Eglise ne pourrait pas s’en prévaloir, Saint Nicolas ayant lui-même plagié les Saturnales romaines, ainsi que d’autres anciennes fêtes païennes.

- Sur l’usage du mot « bible » : après avoir constaté que la société Père Noël SA utilise indifféremment les termes « bible » ou « manuel du savoir-faire » pour dénommer le document regroupant l’intégralité du savoir-faire de l’enseigne, le Parlement rappelle que les droits de propriété intellectuelle sur ce terme appartiennent à Dieu, certes père de Jésus, mais n’ayant aucun lien juridique ou contractuel avec la société Vatican SARL, si bien que c’est à tort que cette dernière croit pouvoir revendiquer un droit de propriété absolu sur ce terme.

- Sur l’obligation d’assistance : là encore, Vatican SARL est déboutée de l’ensemble de ses demandes, puisque le fameux principe « tu aimeras ton prochain comme toi-même » suppose nécessairement la gratuité du service et le désintéressement de celui qui le rend, toutes choses incompatibles avec le caractère commercial par nature de l’activité de Père Noël SA, cette dernière fournissant l’assistance critiquée en contrepartie du paiement par les franchisés d’une redevance d’exploitation, proportionnelle au chiffre d’affaires réalisé.

Enfin, le Parlement rappelle qu’en tout état de cause, l’intérêt du consommateur final s’oppose à ce qu’une seule société dispose du monopole d’un marché déterminé, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence : c’est l’origine, inexplicablement méconnue, de notre réglementation européenne actuelle en matière de droit de la concurrence, et plus particulièrement du célèbre article 101 TFUE.

Lourde défaite judiciaire donc pour Vatican SARL, qui sera en outre condamnée au paiement d’une sévère indemnité de procédure.

Forte de cette victoire, Père Noël SA régularise, lors du salon Franchise Expo 1480, près d’une centaine de contrats de franchise.

Las, une autre société, Luther Gmbh, créée pendant la Réforme (qui n’est en fait qu’un prétexte pour créer une nouvelle activité commerciale destinée à prendre des parts de marché tout à la fois à Vatican SARL et à Père Noël SA. Chose étonnante, aucun historien n’en parle), met en place un nouveau concept, directement concurrent du fameux Père Noël : le Christkind, ou Enfant Jésus.

C’en est trop pour Vatican SARL, laquelle, sûre de son fait, attaque Luther Gmbh en justice.

Méfiante, Vatican SARL, soutenue en sous-main par Père Noël SA, avait assigné au Tribunal de Saint-Pierre, à Rome, soulevant in limine litis l’incompétence du Parlement de Paris, motif pris que le fameux traité Jésus/Tibère lui serait inopposable, Jésus n’étant, à l’époque de la conclusion du traité, qu’un vulgaire anarchiste et non un chef d’Etat.

Fatale erreur, que l’adversaire exploite aussitôt : puisque Jésus est un anarchiste, Vatican SARL doit être annulée, cela d’autant plus que, lors du dépôt de bilan de la SAS Joseph et Fils, société de menuiserie célèbre sous Hérode, dont Jésus était actionnaire, Jésus avait revendu une partie des actifs de Joseph SAS à Vatican SARL.

Or, on sait que l’article L 642-3 du Code de commerce interdit à un débiteur, ainsi qu’aux membres de sa famille, de racheter les actifs d’une société liquidée.

Pressentant un nouveau désastre judiciaire, sauvée par une transaction de dernière minute, Vatican SARL, préférera se recentrer sur le culte de la Vierge et abandonnera définitivement le terrain aux sociétés Père Noël SA et Luther Gmbh.

Notons au passage le joli succès de cette nouvelle marque, dopée par de fortes actions de communication, notamment en France à partir de 1638 (Louis XIII avait réussi à décrocher l’exclusivité du développement de la marque pour la France), qui bâtira sa réputation sur des produits industriels présentés comme artisanaux : gourdes, statuettes, cartes postales, médailles, etc… ;

Consciente du danger potentiel d’une exploitation de l’enseigne sous franchise, Vatican SARL lui préférera un développement par l’intermédiaire d’agents commerciaux, dont le plus célèbre reste Bernadette Soubirous, redoutable commerçante inscrite au RCS de Lourdes, qui a écumé la région pendant un certain nombre d’années.

Mais revenons à nos moutons : sévèrement concurrencée par Luther Gmbh, Vatican SARL périclite dangereusement, si bien qu’elle est contrainte de se placer en procédure de sauvegarde.

Le réseau passe en quelques années de 453 à 12 franchisés, ce qui fait treize avec le franchiseur, dont les franchisés mécontents n’hésitaient pas à dire qu’il avait le QI d’une huître. D’où les huîtres vendues treize à la douzaine, mais passons.

Regroupés en association, les franchisés mécontents attaquent le franchiseur en justice pour erreur sur la rentabilité du concept.

Dans une décision remarquée et particulièrement motivée du 13 juin 1572, le Tribunal de Commerce de Paris juge :

« que les circonstances économiques difficiles rencontrées par Père Noël SA ne sauraient à elles seules exonérer cette dernière de sa responsabilité vis-à-vis des demandeurs ;

Qu’il est constant que le savoir-faire, élément essentiel d’un contrat de franchise, est par nature évolutif ;

Qu’au surplus, la franchise est la réitération d’un succès commercial, et présuppose nécessairement celui de ses franchisés, sauf faute imputable à ces derniers ;

Qu’en l’espèce, le Tribunal constate que le concept concurrent proposé par Luther Gmbh est ancien, si bien qu’il appartenait à Père Noël SA de faire évoluer son savoir-faire, de manière à offrir une alternative crédible et pérenne à l’offre Christkind.

Que le Tribunal relève que le concept de Père Noël SA n’a subi aucune modification majeure depuis sa création, la société franchiseur se bornant désormais à percevoir les redevances de franchise.

Qu’en conséquence, le Tribunal constatera que l’échec patent des franchisés de l’enseigne est moins la conséquence de la crise économique actuelle que de la passivité coupable du défendeur ;

Qu’enfin, le Tribunal relève que le franchiseur n’allègue ni ne démontre aucune faute de la part des sociétés demanderesses dans la mise en œuvre du concept, laquelle serait seule susceptible de l’exonérer de sa responsabilité ;

Qu’il est constant que les sociétés demanderesses ne se seraient pas engagées avec l’enseigne si elles avaient eu connaissance de la rentabilité réelle de l’activité franchisée, inférieure de plus de 60 % aux prévisionnels communiqués par le franchiseur ;

Qu’en conséquence, il convient de constater l’erreur de chacune des sociétés demanderesses quant à la rentabilité de l’activité franchisée, dont le Tribunal tirera toutes conséquences en prononçant l’annulation des contrats de franchise litigieux ;

Qu’à titre tout à fait surabondant, le Tribunal rappelle que le savoir-faire est secret, substantiel et identifié ;

Qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le savoir-faire Père Noël SA a définitivement perdu son caractère secret pour devenir public, si bien que l’un des éléments constitutifs des contrats litigieux faisant défaut, ceux-ci doivent de plus fort être annulés ».

Les bases du droit moderne de la franchise sont jetées. Tout y est : erreur sur la rentabilité de l’activité (encore discutée en doctrine aujourd’hui, certains auteurs prétendant que seule la voie du dol serait ouverte), caractère évolutif du savoir-faire, causes d’exonération de responsabilité du franchiseur, etc…

Sonné par cette décision, ainsi que par le matraquage fiscal dont sa société faisait l’objet, le dirigeant de Père Noël SA décide de transférer le siège social de son entreprise en Laponie, paradis fiscal réputé.

Les années qui suivent sont consacrées à la refonte totale du concept.

Ce sera d’abord Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine et donc actionnaire majoritaire de Père Noël SA (rappelons que la société est détenue depuis René II à 80 % par les ducs de Lorraine), qui s’enflammera pour la grande robe de chambre de soie rouge, le bonnet de nuit, et surtout le passage par la cheminée.

Sa fille Marie (dont les liens familiaux avec la Vierge, marque phare de Vatican SA, ne sont que très lointains puisqu’elle eut dix enfants) affinera le procédé en éteignant le feu dans la cheminée avant d’y passer.

Enfin, l’ère de la Révolution Industrielle, mais aussi le recul de la religion, consacrent l’effacement du Christkind commercialisé par Luther SA et le succès fulgurant du nouveau concept de Père Noël ;

S’appuyant sur d’efficaces campagnes de communication (en partenariat avec Coca Cola notamment), Père Noël SA affine le concept : la société créée une centrale d’achat et de référencement, permettant aux franchisés d’obtenir les meilleurs conditions d’achat de traineaux et de rennes.

Des accords horizontaux, conclus avec les plus grandes marques de distribution (Au Bon Marché, la Samaritaine, etc…), permettent aux franchisés de l’enseigne d’augmenter leurs revenus, jusqu’alors exclusivement générés par les services de transport de cadeaux, en procédant à l’emballage de ceux-ci, dans des centres de tri gérés par des lutins facétieux.

Les franchisés Père Noël SA, à l’instar de certains chanteurs sur le déclin, proposent aussi des prestations d’animation en supermarché.

Bref, ce n’est qu’après une lente et douloureuse évolution que le concept Père Noël SA a su s’imposer, presque sans partage, sur un marché désormais bien assis.

Hélas, cette belle ascension pourrait être remise en cause si l’Autorité de la Concurrence, saisie par le master franchisé français (SAS Le Splendid), devait entrer en voie de condamnation à l’encontre de l’enseigne.

Nous ne manquerons pas, la semaine prochaine, de vous commenter cette décision, attendue avec inquiétude par l’ensemble des enseignes.