En cette fin de règne, les presses du Journal Officiel tournent à plein régime (ancien) : une armée de décrets d'application des lois les plus contestées du ci-devant monarque est sortie de terre en quelques jours.

A tel point d'ailleurs qu'il nous faut saluer cette nouvelle énergie, à laquelle nous n'étions plus habitués. Certains esprits forts s'en plaindraient presque : on veut que le gouvernement agisse, il ne fait rien. On veut qu'il ne fasse rien que ses cartons, il agit.

Bref, entre les décrets relatifs à l'aide juridictionnelle, à l'exercice de la profession de mandataire judiciaire ou d'avocat, on a eu la surprise de trouver, au JO n°0107 du 6 mai 2017, le décret d'application tant attendu de l'article 64 de la loi 2016-1088 du 8 août 2016.

Celui-ci avait secoué le petit monde de la franchise, puisqu'il prévoit, "dans les réseaux d'exploitants d'au moins 300 salariés en France, liés par un contrat de franchise mentionné à l'article L 330-3 du Code de Commerce qui contient des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées" la création d'une instance de dialogue.

Nous ne reviendrons pas sur la pertinence de ce texte, certains éminents confrères y ayant déjà pourvu.

Rappelons seulement quelques points de bon sens, qui ont donc tout naturellement échappé au législateur :

- Prévoir la création d'une telle instance revient de fait à nier l'indépendance juridique des entreprises franchisées d'une enseigne, et donc à remettre en cause l'essence même de la franchise ;

- Appliquer la loi aux réseaux de franchise, c'est bien. Mais qu'en est-il des réseaux d'agents commerciaux, de sociétés coopératives, de licenciés, d'affiliés ou de concessionnaires ? Certes, Biocoop, Volvo ou Thomas Cook sont des réseaux microscopiques, c'est bien connu, mais cela justifie-t-il que le législateur s'en désintéresse à ce point ? Qu'en est-il des réseaux de franchise ne relevant pas de l'article L 330-3 du Code de Commerce ? Pour être d'école, le cas n'est pas impossible : il suffit de gommer (au moins sur le papier...) toute obligation d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour y échapper.

- Qu'est-ce qu'une clause "ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées ?" (l'une des conditions d'application de la loi) ; la plupart des contrats ne prévoient-ils pas, justement, la plus totale indépendance du franchisé sur ce point ?

- Il est certes louable de favoriser le dialogue, mais encore faudrait-il que le sujet concerne les membres de l'instance. Qu'il nous soit permis de douter que les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés du franchiseur captivent les franchisés, et inversement.

Bref, les franchiseurs voulaient croire que les décrets d'application ne sortiraient jamais : c'est raté.

Que prévoit-il ?

- Les modalités de mise en place de l'instance de dialogue

On évitera de reproduire le texte, pour rappeler uniquement ses principales dispositions :

- L'instance de dialogue est créée à la demande des organisations syndicales représentatives ou de la section syndicale de l'entreprise. Un bon conseil aux franchiseurs : faites-vous discrets.

Premier problème, et non des moindres : qu'est-ce qu'une "section syndicale au sein d'une entreprise du réseau d'exploitants" ? La question n'est pas neutre, puisque la création de l'instance de dialogue, et donc l'application du texte, est conditionnée à la réponse qu'on y apportera.

Rares sont les réseaux dans lesquels une entreprise franchisée va constituer une section syndicale (la plupart des unités franchisés comptent une vingtaine de salariés ou moins). Mais le franchiseur, qui est, de loin, l'entreprise comptant le plus de salariés (et donc susceptible de comporter une section syndicale en son sein), peut-il être considéré comme une "entreprise du réseau d'exploitants" ? Rien n'est moins sûr.

D'abord, le franchiseur n'exploite pas nécessairement l'activité, et ne peut donc, de ce fait, être considéré comme un exploitant de l'activité. Le premier conseil que l'on donne à un candidat franchiseur est justement de séparer la tête de réseau et les pilotes, si bien que le code APE du franchiseur est souvent différent de celui de ses franchisés : la branche dont relèvera le franchiseur ne sera donc pas nécessairement la même que celle dont relèvent les franchisés.

Ensuite, et même s'il n'existe pas de définition juridique d'un réseau de franchise, il est logique de considérer que le franchiseur ne fait pas partie du réseau, constitué uniquement des franchisés, succursales et pilotes de l'enseigne.

Cela est tellement vrai que la loi Doubin distingue soigneusement, dans les informations à fournir au candidat franchisé, celles relatives à l'entreprise franchiseur et celles relatives au réseau.

Pire encore, l'article 3 du décret, qui prévoit les conditions de validité de l'accord, dont il subordonne la validité à plusieurs signatures, sépare soigneusement la signature du franchiseur de celle des autres entreprises du réseau.

Mais balayons ces difficultés avec le plumeau de l'indifférence et poursuivons.

- Que se passe-t-il si le franchiseur estime que les conditions de réunion de l'instance ne sont pas réunies ?

Le franchiseur en informe "par tout moyen [un franchiseur facétieux peut donc valablement donner l'information par pigeon voyageur ou héraut d'armes] les employeurs des entreprises du réseau et l'organisation syndicale demanderesse".

La décret ne semble fixer aucun délai au franchiseur pour informer les employeurs franchisés du réseau de la demande de l'organisation syndicale, ni même pour répondre à cette demande.

Or, et en fait de délai, le législateur en a prévu un pour élever les contestations relatives à la mise en place de l'instance de dialogue. Il est de deux mois, à compter de la date de notification de la demande. Si. L'article 9 du décret prévoit en effet que "lorsque le franchiseur ne sollicite pas la constitution d'un groupe de négociation, cette déclaration est recevable dans un délai de deux mois suivant la date de notification de la demande prévue à l'article 1°".

Résumons :

- Dans un cas sur mille environ (si nous envisageons les choses avec optimisme), une organisation syndicale demande au franchiseur la constitution d'un groupe de dialogue ;

- Si l'organisation syndicale en question n'a pas eu la bonne idée d'informer les franchisés de cette demande, personne n'en est informé ;

- Le franchiseur est en charge de l'information de ses franchisés ; il n'a pas de délai pour délivrer cette information, si bien que les franchisés ne peuvent rien faire puisqu'ils ne savent rien. D'ailleurs, que pourraient-ils contester, puisque le franchiseur n'a rien répondu ?

- Le franchiseur attend sagement deux mois et, au bout de deux mois et deux jours, répond à l'organisation syndicale : c'est non.

- Le délai de recours est expiré, fin de partie.

Après avoir démontré la redoutable efficacité de notre législation moderne, on donnera un petit conseil aux organisations syndicales :

1- Aviser le franchiseur ;

2- Avant l'expiration du délai de deux mois, et si le franchiseur n'a pas répondu, introduire un recours, solliciter un sursis dans l'attente de la réponse du franchiseur, afin de sauver le délai, quitte à faire condamner sous astreinte le franchiseur à fournir sa réponse par la même occasion ;

- Les règles de composition et de fonctionnement de l'instance

Dans les deux mois de la demande de l'organisation syndicale et lorsque les conditions sont satisfaites (ne nous demandez pas ce qu'il se passe si le franchiseur ne répond pas ou s'il n'est pas d'accord, le décret ne dit rien à ce sujet), le franchiseur rameute ses troupes (franchisés et organisations syndicales).

Dans un bel élan social, solidaire et coopératif, le franchiseur réunit dans le mois suivant le délai de deux mois qui lui même suit la demande de l'organisation syndicale, un groupe de négociation, dont on ignore ce qu'il va bien pouvoir négocier ; mais on va dialoguer autour d'un petit café, c'est toujours ça.

Deux collèges doivent être créés : côté employeurs et côté salariés. On ignore le nombre de membres, mais nous n'en sommes plus là...

Une fois que ces collèges sont créés, qu'ils ont dialogué et qu'ils sont parvenus à un accord, la validité de ce dernier est subordonnée à :

- sa signature par le franchiseur ;

- sa signature par "une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli [...] au moins 30% des suffrages exprimés, quel que soit le nombre de votants".

- sa signature par des employeurs dont les entreprises représentent au moins 30% des entreprises du réseau et emploient au moins 30% des salariés du réseau.

- l'absence d'opposition, dans les huit jours de la signature des accords, d'une organisation syndicale.

On notera au passage la conception légèrement stalinienne de la démocratie de notre législateur, qui semble avoir réservé aux seuls syndicats le droit de s'opposer à l'accord, mais pas au franchiseur, et encore moins aux franchisés. Réjouissons-nous cependant de cette légère entorse aux règles démocratiques, en songeant que le dialogue social, dont la loi El-Khomri fut l'expression la plus parfaite, est à ce prix.

Mais heureusement, et dans les 15 jours de l'opposition éventuelle de l'organisation syndicale, d'autres organisations syndicales, ou même le franchiseur et/ou les franchisés, voire un salarié, pourront s'opposer à l'opposition devant le tribunal d'instance du siège social du franchiseur, ou du 15° arrondissement de Paris si le franchiseur a son siège social à l'étranger.

Si les négociations traînent en longueur, et n'aboutissent pas dans les six mois, le franchiseur dresse un constat de désaccord.

Avec sa clairvoyance habituelle, le législateur n'a pas prévu de délai pour cela. Et c'est bien dommage, car l'établissement de ce constat est la condition de l'application du régime supplétif prévu par le texte.

Précisons qu'il ne semble pas y avoir de recours prévu dans l'hypothèse d'une instance réunie mais ne parvenant pas à trouver d'accord, sans que le franchiseur n'établisse de constat de désaccord.

On pourrait donc arriver à la situation cocasse d'une instance réunie, en désaccord permanent, sans pouvoir appliquer le régime supplétif, puisque le franchiseur n'est pas tenu de convoquer l'instance de dialogue tant que le constat de désaccord n'est pas établi.

Cela dit, une telle position du franchiseur ne tiendrait pas longtemps, et là encore, il pourrait y être contraint en référé. Mais devant quelle juridiction ? Le Tribunal d'instance, compétent en cas de contestations relatives à la mise en place et au fonctionnement de l'instance de dialogue ? Le texte ne semble pas avoir prévu cette possibilité. Une autre juridiction ? Bien malin sera celui qui nous donnera son nom...

- Les dispositions supplétives

Elles s'appliquent en cas de désaccord ou lorsque l'accord conclu en application du régime de base est dépourvu de "dispositions relatives aux matières qu'elles régissent". Ignorant ce que le législateur a voulu dire, nous le renvoyons à ses responsabilités.

Dans cette partie du texte, le législateur prévoit un nombre de représentants, la périodicité de leur désignation, et même le délai de transmission par les franchisés des noms des salariés souhaitant siéger, qui passe de 15 à 45 jours. La différence de délai ne s'expliquant pas plus que le reste du texte, nous nous en tiendrons là, une bordée de horions ne rendant pas son destinataire plus intelligent.

Le plus amusant est sans doute ceci : si une entreprise dont un membre siège au sein de l'instance quitte le réseau, le membre en question est remplacé par "le premier représentant dont le nom figure sur la liste mentionnée au III de l'article 5".

Soucieux de vous épargner ce supplice, nous n'avions pas évoqué l'existence de cette liste, "établie en alternant entre un représentant issu de l'entreprise qui compte le plus de salariés et un représentant issu de l'entreprise qui compte le moins de salariés".

On voit d'ici la farce, en cas de sortie de masse de franchisés : la liste n'est pas amenée à évoluer (le texte ne le prévoit pas), le réseau, si.

Après avoir eu une sorte de chambre introuvable (dont on présuppose qu'elle a été réunie, ce qui tient déjà de l'exploit), on a une chambre vide.

- Prise en charge des frais de fonctionnement

Ces frais sont engagés par le franchiseur (qui devra donc disposer d'une solide trésorerie...) et ensuite partagés pour moitié avec les entreprises du réseau. Les syndicalistes, eux, ne payent pas...

- Les recours

Pompeusement affublée du sobriquet de "dispositions transversales", l'organisation des modalités de recours est, elle aussi, transversale...

Le tribunal d'instance, statuant en dernier ressort, est compétent pour statuer sur les "contestations relatives à la mise en place et au fonctionnement de l'instance de dialogue social".

Nous invitons le lecteur à se reporter au texte, qui susciterait presque l'hilarité si le sujet n'était pas sérieux : délai de recours de quinze jours dans un cas, deux mois dans l'autre, le point de départ du délai étant à chaque fois différent.

Certains recours ne sont même pas prévus, si bien qu'il est aisé au franchiseur d'éviter la constitution de l'instance de dialogue.

Quant au point de départ du recours, c'est celui au profit duquel il est dirigé qui l'enclenche...

Certes, le législateur nous habitue depuis de longues années à une production législative de la plus grande qualité. Une petite pause ne serait cependant pas superflue.

Mais au fait, à quoi sert cette instance ? A dialoguer. De quels sujets ? De tout et de rien, elle dialogue, c'est tout. Ah, si. Selon l'article 64 de la loi, elle "formule toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés dans l'ensemble du réseau".

ça ou rien... Elle cause, quoi. Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas mais elle cause.

Bref, encore une loi d'une redoutable efficacité, qui sera aussi vite oubliée qu'elle est inefficace.

On poste en cadeau le lien vers le décret :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=E227636F2DB5FC66E70DD31D5EB832B6.tpdila07v_2?cidTexte=JORFTEXT000034598931&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000034598275