Le projet de loi Travail/ El Khomri comporte un chapitre intitulé « Adaptation du droit du travail à l’Ere du numérique ».

Dans ce chapitre III du projet de loi (article 25), il est prévu des modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer des temps de repos et de congés.

Cet article n’entrera en vigueur qu’au 1er janvier 2018, selon l’article 25 du projet de loi.

1) L’accord SYNTEC du 1er avril 2014 prévoit une « obligation de déconnexion » des salariés

En effet, la convention collective SYNTEC (telle que révisée par l’avenant du 1er avril 2014 qui a été par arrêté du 26 juin 2014) prévoit déjà, en son article 4.8.1 une véritable obligation de déconnexion dont l’employeur doit assurer le suivi :

« Article 4.8.1 - Temps de repos et obligation de déconnexion

Les modalités définies ci-dessous seront intégrées au règlement intérieur de l'entreprise

Les salariés concernés ne sont pas soumis aux durées légales maximales quotidiennes et hebdomadaires. Ils bénéficient d'un repos quotidien minimum de 11 heures consécutives et d'un repos hebdomadaire de 35 heures (24 heures + 11 heures) minimum consécutives.

Il est rappelé que ces limites n'ont pas pour objet de définir une journée habituelle de travail de 13 heures par jour, mais une amplitude exceptionnelle maximale de la journée de travail.

À cet effet, l'employeur affichera dans l'entreprise le début et la fin d'une période quotidienne et d'une période hebdomadaire au cours desquelles les durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire visées ci-dessus devront être respectées.

L'effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance.

L'employeur veillera à mettre en place un outil de suivi pour assurer le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire du salarié.

Il s'assurera des dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition.

Il est précisé que, dans ce contexte, les salariés en forfait annuel en jours, en concertation avec leur employeur, gèrent librement le temps à consacrer à l'accomplissement de leur mission.

L'amplitude des journées travaillées et la charge de travail de ces salariés devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail des intéressés.

Si un salarié en forfait annuel en jours constate qu'il ne sera pas en mesure de respecter ces durées minimales de repos, il peut, compte tenu de l'autonomie dont il dispose dans la gestion de son temps, avertir sans délai son employeur afin qu'une solution alternative lui permettant de respecter les dispositions légales soit trouvée ».

2) Le projet de Loi Travail vise à garantir un « droit à la déconnexion » du salarié pour assurer le respect des temps de repos et de congés

2.1) 23% des cadres disent ne jamais se déconnecter et 63% affirment que les Technologies de l’information et de la communication perturbent leur vie personnelle et familiale.

L’utilisation du numérique dans le monde du travail est désormais incontournable mais mène bien souvent à une véritable dérive : le « grignotage » de la vie privée par la vie professionnelle qui, porté à son paroxysme, peut  déboucher sur les biens connus Risques Psycho Sociaux (stress, burn-out, harcèlement moral voire suicide lié au travail).

La situation en France est particulièrement alarmante à cet égard : plusieurs sondages ont fait état de l’intrusion du numérique dans la vie privée des salariés.

Entre autres, un sondage APEC publié en décembre 2014 dévoile que 23% des cadres disent ne jamais se déconnecter, 22% rarement et 63% affirment que les TIC (Technologies de l’information et de la communication) perturbent leur vie personnelle et familiale.

Aussi, après une prise en compte croissante des risques psychosociaux, il semblait opportun, dans le cadre d’une réforme de grande ampleur du Code du travail, de déterminer les contours d’un droit à la déconnexion des salariés.

2.2)Rapports Combrexelle et Mettling

Dans cette optique, le Gouvernement s’est vu remettre deux rapports :

Le premier, de l’ancien Directeur général du travail Jean Denis Combrexelle, préconise le développement de la négociation collective dans l’élaboration des normes sociales visant à assurer aux salariés un droit à la déconnexion.

Le second et plus récent, dit rapport Mettling, du nom du Directeur général adjoint d’Orange chargé des ressources humaines, préconise une prise de conscience collective et met notamment en avant le fait que « savoir se déconnecter est une compétence qui se construit également à un niveau individuel, mais qui a besoin d’être soutenu par l’entreprise ».

2.3) Article 25 de la loi Travail : Droit à Déconnexion dans la NAO

Conformément à l’esprit de ces deux rapports, l’actuel projet de Loi Travail prévoit en son article 25 (inséré dans le chapitre II intitulé « adaptation du droit du travail à l’Ere du numérique ») que la négociation annuelle obligatoire (NAO) prévue à l’article L. 2242-8 du Code du travail portera sur « Les modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion dans l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés.

A défaut d’accord, l’employeur définit ces modalités et les communique par tout moyen aux salariés de l’entreprise.

Dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, ces modalités font l’objet d’une charte élaborée après avis du comité d’entreprise ou à défaut, des délégués du personnel, qui prévoit notamment la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation des salariés à l’usage des outils numériques à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction. ».

3) Un « droit à la déconnexion » timide et inabouti

Il convient toutefois d’analyser plus en détail ce projet de réforme.

Celui-ci prévoit que les modalités du droit à la déconnexion devront entrer dans le cadre de la NAO sans pour autant préciser quelles devront être ces modalités et sans non plus que la conclusion d’un accord soit impérative, laissant ainsi le dernier mot à l’employeur en l’absence de consensus avec les syndicats.

On ne peut donc malheureusement que déplorer la timidité de ce projet de réforme, et ce à double titre :

  • sur la forme d’abord, bien qu’intégré au champ de la NAO, le droit à la déconnexion pourra en pratique être organisé unilatéralement par l’employeur et ne sera soumis à avis des représentants du personnel que dans les entreprises d’au moins 300 salariés 

    sur le contenu ensuite, et à l’instar du rapport Mettling, aucune mesure contraignante n’est prévue à ce jour pour assurer ce droit à la déconnexion des salariés.

Pour les entreprises d’au moins 300 salariés, l’article 25 prévoit que les modalités du droit à déconnexion font l’objet d’une charte élaborée après avis du comité d’entreprise ou à défaut, des délégués du personnel, qui prévoit notamment la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation des salariés à l’usage des outils numériques à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction.

Dans ce projet, l’accent est plutôt mis sur des mesures de sensibilisation et d’ « autocontrôle » des salariés plutôt que sur des mesures concrètes mises à la charge de l’employeur.

Cette approche est problématique notamment s’agissant des cadres, principaux destinataires de cette mesure. En effet, il est naturel que ces derniers, face à la complexité du marché de l’emploi, se doivent d’être compétitifs et donc 100% connectés et investis.

Dès lors, peut-on raisonnablement espérer qu’un « autocontrôle » puisse effectivement garantir le respect des temps de repos. Ne devrait-on pas plutôt préférer une régulation institutionnalisée ?

Enfin, l’initiative en la matière n’est pas nouvelle, le Gouvernement aurait en effet pu s’inspirer de certains acquis conventionnels.

Contrairement à ce qui ressort du projet de Loi Travail /El Khomri, l’exercice du droit à la déconnexion tel que prévu par la convention collective SYNTEC repose sur des mesures concrètes et contraignantes à charge de l’employeur ; ce qui nous semble plus à même de garantir l’effectivité du droit à la déconnexion.

Reste aujourd’hui à savoir en quels termes cette réforme sera définitivement votée. Et si le législateur s’inspirera de l’accord Syntec. A suivre.

 

Frédéric CHHUM, Avocats à la Cour (Paris et Nantes)

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